Tu toques et entrouvre la porte du bureau, il est en train de trier des dossiers, sans doute, c'est bientôt l'heure de partir, après tout - selon les horaires que t'a communiqué la secrétaire. Le pauvre va penser que tu le harcèles. N'est-ce pas un peu ce que tu fais ? Ta secrétaire m'a dit que tu n'avais plus de rendez vous. Tu fermes la porte derrière toi et cette fois tu n'es pas stupide, tu te places entre la porte et lui. J'ai des questions à te poser et cette fois tu ne pourras pas m'esquiver, Hazel.
Mais ce n'est pas grave, parce que Cephei est du genre collant. Cephei n'abandonne jamais. Quand Hazel le voit entrer dans son bureau, il soupire longuement et se laisse tomber contre le dossier du fauteuil en cuir, excédé.
* Bonsoir, aussi, si tu veux. Je vais bien, c'est gentil de me demander. Et toi ?
Il fut un temps où Hazel n'était pas aussi cassant. Enfin, si, il a toujours été comme ça - c'est de famille. Mais pas avec Cephei. Enfin, ils n'étaient certainement pas là pour ressasser un passé que Hazel aurait préféré oublier.
* Quel ton intimidant ! Je suis soufflé.
Agacé, c'est le mot. De toutes façons, Hazel n'est jamais rien d'autre que cassant et tendu, dans ce bureau maudit. Oh, il aurait pu se relocaliser, mais ce n'est pas exactement sa priorité en ce moment. Mais il faut se rendre à l'évidence : malgré la peinture fraiche de quelques mois et les changements de meubles, il voit toujours le sang éparpillé de Dallas et la perte de contrôle qu'il a eu sur Procyon.
* Bon, vas-y, vide ton sac. Je t'écoute.
...
Oui, bonsoir. Mes excuses. Tu as l'air troublé, tu as l'air plus troublé que tu ne devrais l'être. C'est Hazel qui te fait cet effet, tu le sais et ça t'embête, d'habitude tu aurais été plus calme, plus réfléchi, mais il te faisait perdre tes moyens. Tu approches et pose tes mains sur le bureau.
Qu'est-ce qu'il se passe dans cette fichue ville et pourquoi une actrice m'a dit de me méfier de toi, Hazel ? Pas que tu l'ais spécialement écouté puisque te voilà dans le bureau de celui dont tu devais te méfier. Tes sourcils froncés dessines des rides qui vont finir par s'ancrer sur ton visage.
Je sais qu'on ne s'est pas quittés en de très bons termes, Hazel, autant la dernière fois au tribunal qu'à la fac, et je sais que tu ne veux pas en parler, mais je suis mort d'inquiétude pour toi et tu me manques, s'il te plait parle moi.
* Quoi ? Je suis avocat. Aux Clématis, en plus ! Et ça t'étonne qu'une actrice te dise de te méfier de moi ?
Sa main vient se poser contre sa joue alors qu'il juge ouvertement Cephei du regard; un soupir lui échappe.
* Sérieusement. Tu t'es marié, puis tu as divorcé Olympe Mallone en personne et c'est toi qui t'inquiètes pour moi ? On a vu plus crédible.
Non, il n'est pas mort une fois.
Non, il n'a pas dévoré Madison Celestial, enfin, ce qu'il restait d'elle. (Nausée.)
Non, il n'a pas arraché sa main à Dallas Decoeur.
Non, on ne brûle pas des cadavres sous le manoir Solar.
A l'aide, Cephei. A l'aide.
Donne-lui un élément de réponse et ça le calmera, comme un chien avec un os
* Je recherche mon père. C'est pour ça, les absences, les comportements étranges. Tu saisis pourquoi je ne t'en ai pas parlé ?
Il sait que c'est out of character. Il le sait.
Mais avec un peu de chance... cela fait un moment, depuis la fac.
...
Hazel ? Retrouver son père ? Hazel ? Marcher sur les pas de celui qui l'avait tant terrifié qu'ils ne pouvaient pas l'évoquer, il y avait de cela des années ? Cette information est étrange, tu n'as pas oublié tout ça. Tu n'as rien oublié de vos discussions enflammées sur le droit pénal astérien ou sur le dernier livre de ton père. Tu aurais pu lui amener le Soir du Loup mais tu n'y as pas pensé, et il l'a déjà sûrement. Pourquoi est-ce que tu penses à ça, Cephei ! Mais, pourquoi ? Il t'a fait du mal, non ?
Est-ce que c'est juste un appel à l'aide ? Est-ce que c'est juste un moyen de te tester, de voir si tu t'en souviens ? Tu as crispé tes doigts sur le bord du bureau, encore plus mort d'inquiétude que tu ne l'étais déjà.
Laisse moi t'aider dans ce cas, laisse moi te... Laisse moi te voir, t'écouter, te protéger. Peu importe. Nous faisions une bonne équipe, autrefois.
Hazel se rend compte que Cephei le voit encore comme la jeune adulte, à peine sortie de l'adolescence, qui aime les romans policiers et ses cours de droit et qui s'habillait tout en blanc - qui ne parlait pas énormément, voire pas du tout, et qui faisait terriblement tache au milieu des autres étudiants.
Alors, oui.
Mais non.
Mais vous vous voyez avouer à votre ami de faculté que vous êtes devenu un sniper hors pair et que vous terrorisez la population polarisienne depuis des mois, vous ? Hazel reste terriblement silencieux.
Maintenant, il peut faire un choix.
Il fait son choix.
* Cette actrice, elle t'a parlé des étoiles, n'est-ce pas, il murmure, las.
...
Tu l'as prise pour une folle, Aoibheann. Elle en a parlé, oui, et ensuite ? Tu hoches la tête doucement, s'en suit un très bref silence où tu réfléchis aussi vite que tu le peux avant de pousser un soupir. Que. Dois. Tu. Lui. Dire.
Hazel était ton ami, l'est-il toujours ? Tu n'as pas d'intérêt à lui cacher quoi que ce soit, si ? Est-ce qu'il y aura des conséquences ? La voix de ton père résonne, tout aussi las : Cephei, il y a toujours des conséquences. Mais tu es sûr, tu es sûr que c'est ce que tu veux. Alors tu poses ta deuxième main sur le bureau. Elle a parlé d'une histoire d'astres incarnés qui parcourent la terre, et que la sienne était une... Pléiade, je crois ? Impossible de me souvenir laquelle. Tu avais googlé Alcyone et tu l'avais aussitôt oubliée. Ironique, quelque part. Elle n'avait pas eu le temps de dire grand chose, mais tu avais senti la détresse émaner d'elle. Mais son sourire ne t'avait pas inspiré confiance, et elle n'aurait jamais dû te parler d'Hazel.
Parler d'Hazel était l'erreur d'Alcyone.
Alcyone, je crois ? Un silence. Ne me dis pas que tu es lié à tout ça. Et pourtant tu le sais déjà, pas vrai ? Hazel n'est pas un petit blagueur.
Il s'était encore mis dans une merde noire ;
Il avait encore fait quelque chose, dit quelque chose que Zalera ne devait surtout pas savoir. Zalera, ou n'importe lequel de ses sous-fifres, pour être honnête.
Ca commençait à faire beaucoup. A qui allait sa loyauté ? Il pose son regard sur Cephei, droit et juste Cephei. Cephei dont il s'était toujours méfié, parce qu'il pouvait... sentir quelque chose sur lui. Un regard rouge. L'aura d'un lié, quelque part. Un lié, ou une étoile était mêlé aux affaires de Cephei sans qu'il ne le sache, et ça depuis l'adolescence.
En tous cas,
c'était son intuition.
* Mon hobby est de tuer des étoiles depuis quelques mois.
Hazel et sa vieille manie d'annoncer des choses terribles avec ce même ton détaché, las, excédé.
* Les étoiles tombent du ciel et forment un cercle avec huit liés, les liés ont tous un pouvoir surnaturel différent, yadda yadda... je pense que j'ai suffisamment entendu cette histoire. Regard méfiant, presque empli de jugement. Pas toi, j'imagine. Bref. J'ai été... je sais pas comment te faire visualiser ça. Possédé ? Par l'une d'entre elle. Procyon. Cephei, sérieux, tu googleras plus tard, écoutes-moi. J'ai été possédé, on m'a tiré dessus, je suis mort, on m'a ramené à la vie, Procyon était parti, je chasse les étoiles et leurs liés depuis.
Gros, gros silence pour le laisser digérer. Hazel joint calmement les mains, anormalement serein.
* Mon père adoptif était une étoile.
Ca, c'était pour l'achever.
...
Alors,
... ?
Que pouvais-tu bien dire à tout ça, Cephei ? Hazel était fou ? Hazel était un bon menteur ? Sûrement. Hazel était en train de te faire une petite blague ? Hazel trouvait vraiment toutes les excuses possibles et imaginables pour te faire fuir et te rayer de sa vie ?
Non, non. Hazel aurait choisi une méthode tellement plus simple, tellement plus courte, tellement moins demandeuse en énergie, en salive. Tout cela ne lui ressemblait pas. Et, honnêtement Hazel, je suis content d'être assis.
Il te fallut un peu de temps pour encaisser. Procyon. Les étoiles. Des liés. Des pouvoirs. Ça ressemblait à de la mauvaise littérature, à celle dont Evie te parlait toujours, celle que Lou lisait en cachette. Bon sang, dans quoi tu t'étais embarqué, cette fois ? Il ne s'agissait plus du travail, d'un contrat sur ta tête ou de quoi que ce soit, là c'était différent, c'était surnaturel. Étais-tu trop pragmatique pour croire à tout ça ? Sûrement que oui. Néamoins...
J'imagine que ça a un lien avec tous les meurtres de ces derniers mois. Les connexions commençaient à se faire, et inévitablement ton cerveau avait recommencé à tourner à plein régime. Tu cherches à le retrouver pour l'éliminer, donc ? Tu demandes, très calme. Sans doute le calme de l'œil du cyclone. Tu ne sais pas ce qu'il restera de toi, après ta discussion avec Hazel.
Tout ceci te donne bien moins l'impression d'être une mauvaise blague. A peu près, oui. Possiblement. Je ne sais pas si je réussirai, pour être honnête. Enfin, Cephei. Tu as l'impression que ton cerveau est extrêmement lent. Tu as l'impression que tu es sur le point de perdre Hazel pour toujours, et ça te fait peur.
* Tu m'en empêcherais ? Tu peux toujours me mettre derrière les barreaux, si tu veux me protéger. J'ai un paquet de têtes à mon actif, malheureusement.
...
Qu'est-ce qui compte le plus, pour toi ?
Hazel, ta famille, les gens que tu aimes ou ce besoin maladif de justice après lequel tu cours depuis des années ?
La présence des armes que tu remarques tour à tour ne t'effraie pas. Tu doutes qu'Hazel te supprime, tu en doutes et pas parce que tu sais des choses et que tu penses qu'il se défilera, mais à cause des enfants. Pourrait-il vraiment te supprimer de sang froid, en sachant qu'Evie et Lou sont à la maison en train de t'attendre ? Tu ne sais pas. Peut-être.
Peut-être que finalement tu ne sais rien sur Hazel. Peut-être que ce que tu pensais avoir saisi d'Hazel t'a toujours échappé. Peut-être que ce que tu pensais être Hazel, votre relation, votre attachement, votre confiance n'était qu'un nuage de fumée. Et pourtant. Hazel en vient à tout te raconter, là, maintenant, parce que tu ne lâches pas l'affaire, mais il pourrait t'envoyer bouler autrement. Sans doute que tu ne te serai pas acharné pendant des mois et des mois et des années. Allez savoir.
Honnêtement, je n'ai qu'une question, Hazel. Tu hésites pourtant longuement avant d'ouvrir la bouche à nouveau. Est-ce que... Mh. ... Serais-tu heureux si tu arrivais à l'éliminer ? Lui, et les autres ? Serais-tu soulagé ? Serais-tu libre ?
Tu penses à sa fille, comment fais-tu pour la regarder dans les yeux quand il sait qu'il a tué des gens. Est-il lui même responsable de tous ces morts sur lesquels tu enquêtes ? Les affaires à l'arme blanche, sûrement pas, mais les autres ? Hazel, sniper ? Tu ne peines pas à imaginer, bien au contraire. Ça te semble être une évidence.
Si ta réponse est oui, dis moi comment t'aider.
* Ne fais pas ça, il lui conseille doucement. Je n'ai pas envie de te mêler à ça.
Surtout Cephei. Parce que... hm.
* Et puis, en quoi est-ce que tu me serais utile ? Quelles compétences as-tu que je n'ai pas déjà, Cephei ? Et avant que tu le dises, je t'arrête, non je n'ai pas besoin d'un soutien moral. Ni d'un babysitter pour Liza.
...
Écoute, je ne suis pas en train de te dire que je vais commencer à tirer sur tout ce qui bouge et qui t'approche. Est-ce que c'est si rassurant de t'entendre dire ça ? Tu ne sais pas. Tu n'as pas l'impression de te reconnaître. Mais en revanche je tiens à toi Hazel, ça n'a jamais changé. Tu pensais que ça te coûterait plus de l'avouer. Tu penses à Benjamin Baldwin, un instant. Je veux juste que vous ayez un endroit où rentrer, toi et Liza si les choses ne vont pas. Tu ne sais pas ce que tu peux offrir de plus. Ou du moins, tu ne sais pas ce qu'il pourrait accepter de plus. Un bref silence. Je veux juste que tu saches que je te crois, et que je suis là si tu as besoin de moi. Que tu l'as toujours cru, d'ailleurs.
* Je sais que tu me crois, il finit par lâcher, sec. Ce n'est pas le problème. C'est...
Il te regarde, de haut en bas. Cherche ses mots, ne les trouve peut-être pas. Un soupir frustré, et il se lève de son bureau, comme pour se donner de l'élan, un peu de motivation.
* C'est une entreprise dangereuse. Et si Liza est au courant, c'est par la force des choses. Tu ne pourras pas... ne mêle pas Evie et Lou à ça, ne t'en mêle pas. Considère tes options, Cephei.
Il s'approche et te tend une carte de visite, marquée du nom Zalera Solar.
* Considère ce que tu as à gagner, et ce que tu as à perdre. Un battement, un silence. Et sors de mon bureau.
Terminé de mon côté.