les yeux plissés, le regard de Divine remonte doucement, des mains du client, qu'elle tient pour  « lire ses énergies », à sa cravate un peu froissée, jusqu'à ses épaules, où elle devine les mains de Fauve qui s'y posent. elle ne voit pas le miroir posé derrière elle, elle fait attention à ne pas le regarder, car même si elle connait le truc, ses yeux sont toujours victimes de l'illusion et s'effraient vite.
son cœur s'emballe trop vite pour un rien maintenant, la moindre ombre derrière elle quand elle marche, le moindre bruit de pas en trop, son cœur bat vite et elle part en courant.

après tout ça, le client part vite, persuadé d'avoir senti la présence de sa mère qui l'a quitté trop vite,
la jeune médium devrait se sentir mal, d'oser facturer une telle supercherie, mais non,
il faut bien qu'elle vive, elle aussi.

l'odeur lourde de l'encens pèse encore sur l'air de la chambre, mais les épaules de Divine se détendent quand Fauve sort du miroir, et se plaint gentiment, oh, elle ne sait pas exactement sur quel pied danser, avec lui, elle n'a jamais su, alors elle le laisse s'étendre sur son lit sans rouspéter comme elle l'aurait fait avec un autre invité, et va déplacer le miroir et ouvrir les rideaux pour entrouvrir la fenêtre, quelques centimètres, pas plus, jamais plus depuis qu'elle a entendu cette balle siffler à ses côtés,
de peur qu'une nouvelle siffle à nouveau sans rater sa cible.

il n'y a pas la place pour eux deux dans la chambre étudiante, elle qui est si pourtant si petite, mais lui est trop grand, trop étranger, trop... bizarre.
elle est tout de même heureuse de ne pas être seule, après des semaines cloitrées à n'accepter que les consultations par vidéoconférence et à ne contacter les autres membres du Cercle que par messagerie chiffrée.

assez heureuse pour se plier aux demandes de l'esprit du miroir, et lui tendre une petite bouteille d'eau qu'elle gardait dans le mini-frigo sous son bureau. laisse m'en un peu, j'ai trop parlé.

assise sur sa chaise, attendant la bouteille, elle compte les billets laissés sur le bureau, sourire au lèvres, tout y est, même si au lieu de tout empocher, elle tend cette fois un peu moins de la moitié à Fauve.  merci, tu es un excellent revenant ! le compliment est étrange, mais sincère.

avec sa chevelure sans couleur, et cet air presque éthéré, on dirait bien un fantôme sorti d'un miroir, comme elle le fait croire aux plus riches et vulnérables. pourtant, il se tient là, juste devant elle, mais il est loin, trop loin. Bérangère, Ruvik, Spica, elle peut les sentir, elle ferme les yeux et peut toucher le lien qui les lie à elle, mais Fauve... mon pauvre Fauve, on dirait que la ficelle s'est rompue quand tu t'es perdu dans le monde des glaces, et Divine n'a jamais cherché à la recoudre depuis.

c'est presque un inconnu, qui se tient là, devant Divine.

pourtant, elle a promis à son étoile qu'elle s'attacherait aux autres, qu'elle les aiderait, qu'elle ferait de son mieux. au début, elle se sentait si perdue, elle en voulait même au Destin de l'avoir liée à tout ces gens qu'elle apprécie plus ou moins... plutôt moins. puis la douce chaleur de Bérénice l'avait guidée. elle avait fait fondre sa résistance, petit à petit.

avec Fauve, pourtant, les murs qui entourent son cœur sont toujours là. elle ne se souvient même plus exactement comment il était, avant sa disparition dans le miroir. elle était sûre qu'ils ne le reverraient plus jamais, sans pour autant sentir la douleur de leur lien se couper, peut être juste car il n'avait jamais vraiment été là. certaines nuits, en pensant aux autres membres du Cercle, elle se demandait si Fauve avait jamais été là. et puis il était revenu, avec des mots terrifiants,
elle avait refusé d'entendre la prophétie. elle ne voulait pas savoir qu'une menace s'approche.

maintenant, c'était trop tard pour fermer les yeux. sa confiance aveugle avait failli la tuer. failli les tuer.

Fauve la rassure. elle n'a jamais demandé pardon, à aucun d'entre eux, et celui qu'elle a voulu fuir le plus lui dit que ça va aller. Divine veut répondre, dire que c'est faux, qu'ils ne s'en sortiront pas, qu'ils ne sont pas assez liés, que c'est sa faute, que...
elle ne sait plus quoi penser. alors elle ravale sa salive, et se contente d'offrir un sourire faux, et un regard perdu. oh, oui, ça va aller.

c'est quelque chose qu'elle a rarement ressenti, alors c'est dur de mettre des mots.
elle a honte.

gênée, elle baisse les yeux, et murmure tout bas. je suis désolée.

désolée de ne pas m'être rapprochée de vous. désolée de vous mettre en danger. désolée de ne pas faire assez pour vous. désolée de n'avoir pensé qu'à moi, alors que vous êtes là, juste à côté.

aïe.

Divine ne savait pas ce qu'elle venait de déclencher, elle ne s'y attendait pas, mais... elle ne peut pas échapper aux reproches de Fauve, là, tout de suite, et à ce qu'elle ressent comme... presque de l'animosité. elle n'en sait rien, elle n'a pas de réel lien avec Fauve. alors elle ne peut que baisser la tête et écouter.

il est plus exigeant que Ruvik, Fauve, beaucoup plus. ou peut être juste que Ruvik l'a toujours ménagée, volontairement ou non, comme Bérangère, et que c'est la première fois que quelqu'un lui dit vraiment ce qu'il pense. quelqu'un qui ne l'aime pas, qu'elle n'aime pas, mais qu'elle est obligée d'écouter, sans pouvoir tout esquiver d'un revers de la main.
peut être que c'est la seule personne qui peut l'engueuler, car c'est la seule qu'elle est obligée d'écouter. Fauve ne la rassure pas comme les autres, non, il la bouscule.

elle n'a pas envie d'entendre tout ça, Divine, elle veut d'abord tout rejeter en bloc, elle secoue à peine la tête. elle n'a même pas la force de nier, car au fond, les mots durs de Fauve ne sont pas mensongers. même s'il dit qu'il l'admire, les mots sont durs à entendre pour elle, oui. car il a raison, elle n'en a toujours fait qu'à sa tête, et ce n'est que maintenant qu'elle réalise les conséquences terribles... ça peut être une malédiction pour tout le Cercle... mais aussi sa force, c'est vrai, d'avoir été capable de vivre de longs mois sans crainte, de ne pas se terrer au fond de sa chambre comme elle le fait maintenant.

mais elle n'a pas envie d'admettre que Fauve a raison, pas tout de suite.

qu'est-ce que je peux faire ? qu'est-ce qu'on peut faire, chacun de nous ? on ne sait pas quand la catastrophe va arriver, ni même ce que ce sera, ni... rien ! une ruade craintive, pour ne pas s'avouer vaincue tout de suite, pour ne pas avoir à dire que c'est elle qui a tord, et lui qui a raison. on a tenu jusque là... pour combien de temps, encore ?

ça n'allait pas si bien que ça, avant... avant tout ça, mais elle y repense parfois. c'est trop tard, mais ça n'est pas la vie qu'elle voulait. elle ne voulait pas avoir peur de tout, mais elle ne voulait pas avoir à apprendre à dompter cette peur non plus. elle ne voulait pas avoir à devenir plus forte que ce qu'elle n'est capable.

est-ce qu'elle regrette vraiment ?
parfois, oui. sans jamais en vouloir à personne à part elle et ses propres faiblesses, mais oui, elle regrette.

non, ils ne peuvent rien faire. Divine sait qu'elle ne pourra pas sauver les autres, avec son pouvoir, elle ne peut rien contre les fusils et les balles. Fauve non plus, que pourra-t-il ? se cacher, au mieux ? ils ne savent qu'effacer leurs traces, mais elle a vu de très près que ça n'a pas suffit. (à cause d'elle)

c'est dur, de faire confiance, mais ça la rassure un peu, d'apprendre que ce n'est pas évident pour Fauve non plus. mais la suite la surprend énormément. de grands yeux écarquillés, l'air incrédule. je... c'est vrai ? elle est réellement étonnée. elle n'y aurait pas pensé une seule seconde.

mais elle n'avait réfléchi à ce à quoi Fauve avait pu penser, à vrai dire, peut être un peu par peur de se perdre aussi. elle avait déjà parfois du mal à se rappeler qui elle était, mais... ça peut vraiment aider ? de penser aux autres ?

elle pense à Avant, une éternité, un souvenir lointain... un peu terne.
elle n'existait pas vraiment, elle, Divine. c'est Mademoiselle Scion, la voyante, la folle, la médium, l'escroc, la tarée, la fille aux cartes, le nom qui apparait sur les relevés téléphoniques, l'arnaqueuse, l'allumée, la sorcière.

mais Eux ? ne t'en fais pas, mon ange. Divine, ça va aller. Monte, Divine ! tu as passé une bonne journée, ma chérie ? Div'. ma puce. mon ange. mon ange. mon ange.

juste, Divine.
c'est elle.

elle s'en veut. elle a si peu de choses en commun, si peu avec Fauve. si ça n'avait été qu'elle... est-ce qu'il aurait pu s'en sortir ? non, sûrement pas... c'est plus fort qu'elle, elle prend les mains de Fauve dans les siennes. elle n'est pas encore tout à fait convaincue, ses tords sont anciens, mais elle a envie d'essayer d'y croire.

ils la voit indépendante, inconsciente, sûre d'elle.
elle veut l'être vraiment, elle veut être avec eux pour le croire aussi.

... d'accord. elle finit par prononcer ce mot. juste ce mot.