Winchester Nova est une merde.

c'est ce qu'il pense, depuis un moment, depuis... sa rencontre formelle avec le Lieutenant Bathsheba. comment il a pu se faire avoir ainsi ? l'effet de surprise ne justifie pas tout, non. il s'est laissé aller. il s'est ramolli. il a cru que sa vie était finie, que ça ne valait plus le coup de se battre pour quo que ce soit, alors pourquoi rester sur ses gardes ?

quelle erreur de petite merde arrogante.

et puis, l'appel de Lysandre Hydra. les mots qui avaient pris tout leur sens. les phrases incompréhensibles, et pourtant tout semblait s'emboîter parfaitement dans ses pensées brouillonnes. elle était là, sa vie, depuis tout ce temps. il est là, son chef, celui qui donne les ordres. le Lieutenant était parti depuis quelques années, mais il est là, juste là, celui qu'il doit maintenant suivre. tout était plus clair. ces quelques années d'errance devaient le mener là, à cet homme. le sous-lieutenant Nova sait où il va.

mais ça ne va pas vraiment. il a répondu à l'appel sur un lit d'hôpital. il a découvert ses frères et sœurs d'arme en grognant de douleur. il a eu honte, d'être ainsi. pas devant les autres, mais devant son étoile. honte d'être dans un état pareil, incapable de le défendre immédiatement, alors qu'il a juré. sur son honneur, sur son cœur, sur son sang, il a juré.


c'est pour réparer ces erreurs, qu'il est là, au bord du lac, au petit jour, pour ne croiser personne. son arrêt maladie était déjà terminé, mais il a posé tout ses jours de congés jamais utilisés depuis des années pour continuer d'éviter le travail (et ses supérieurs).
le fusil dans ses mains pèse tellement sur son épaule gauche qu'il appréhende le recul, mais il serre les dents. assis, les jambes croisées, les coudes appuyés sur ses genoux relevés, il retient son souffle. l'œil collé dans le viseur de ce modèle de précision proche de celui qu'il utilisait dans l'armée, qui devient immobile, centré sur un canard qui barbote vers la rive, de l'autre côté.

_____________________________clic
_________________________________BANG


la détonation ricoche sur les arbres, la surface de l'eau, le sol, le ciel,
avant même que la balle n'atteigne l'oiseau, qui s'abat subitement.
un cliquètement métallique accompagne la douille qui tombe aux pieds de Winchester Nova.

il n'entend rien, il ne voit rien,
il ne sent plus rien d'autre qu'une douleur immense. la crosse a percuté violemment son épaule gauche, la douleur assourdissante se propage tout le long de son bras et lui arrache un bref cri, seul bruit qui parvient à ses oreilles sifflantes malgré les bouchons d'oreille.

les oreilles de Winchester Nova sifflent, malgré les protections, et il a mal, mal, un mal de chien, il sent même son épaule gauche s'échauffer, et devine que la plaie saigne à nouveau, et c'est encore plus douloureux que le reste, de devoir faire face à ses propres faiblesses.

il est si occupé par toutes ces pensées qu'il ne réagit d'abord pas, en entendant le martèlement de sabots qui se rapprochent de lui, et il bouge à peine à la première apostrophe. et puis, il se retourne subitement, en entendant son nom, et il ressent tout : le poids de l'énorme bête, son poil marron qui luit au soleil, l'odeur de la sueur de l'animal, et l'homme juché dessus, qui l'interpelle, étonné, peut être, mais pas sans reproche. il faut quelques secondes de plus pour que le Sous-Lieutenant Nova comprenne ce qui lui arrive.

enfin, péniblement, il se relève en grognant un peu, frustré qu'on le regarde d'aussi haut, mais même debout, rien n'y fait, l'effort est inutile. alors il enlève ses bouchons d'oreille, s'époussette un peu et réfléchit avant de répondre. c'est nouveau, il essaye maintenant de réfléchir avant de sortir des conneries plus grosses que lui, ou des insultes plus moches que lui. surtout que Lucian Ledermann ne mérite rien de tout ça, au fond. il est juste de patrouille le mauvais jour et ce n'est... pas un mauvais gars, honnêtement.

bonjour, Sous-Lieutenant Ledermann, il salue poliment, avec le respect que l'on doit à un collègue de rang similaire. je profite de mes congés pour me mettre un peu au vert. la ville, les patrouilles, les immeubles... ça devient fatiguant, à force, n'est-ce pas ? il force (mal) un sourire (flippant), il ne sait pas exactement sur quel pied danser, à vrai dire.

en tant normal, il aurait clos rapidement la conversation en jetant quelques vacheries qu'il entend circuler sur le Sous-Lieutenant dans les couloirs pour qu'il lui fiche la paix, sans vraiment les penser.

maintenant, il s'est promis qu'il réfléchirait plus, et qu'il serait moins con. il a quelque chose à défendre, quelque chose à protéger. quelque chose sur lequel il ne doit attirer aucun ennuis. et depuis quelques semaines, des ennuis, au sein de la Police, il en a de sacrés... s'il pouvait éviter d'éveiller des instincts assassins chez tout ses collègues...

oh, Sous-Lieutenant Ledermann, vous êtes un peu trop gentil et tolérant... Winchester Nova sait qu'il s'est renseigné. c'est peut être la seule personne, avec part le type qui s'occupe des contrats, simplement pour savoir combien d'heures il retirerait sur sa fiche de paie. est-ce pour ça qu'il lui offre une justification ? ou simplement car il ne craint plus la mise à pied ?

le temps passe plus lentement que prévu, je croyais que l'on était déjà en automne, avec toute cette pluie, bien piètre excuse, à laquelle personne ne croira, mais cela fait partie du protocole. il faut bien qu'il réponde quelque chose.

il ressent pourtant quelque chose d'impossible à nommer, à l'idée que l'un de ses semblables puisse se réjouir qu'il n'ai pas laissé sa peau là bas. il ne préfère pas y penser, et se contente de repousser la sécurité sur son arme, et se relever péniblement. il est faible, il s'en veut une fois de plus, se déteste un peu pour avoir du mal à simplement se mettre debout. mais une fois qu'il l'est, pour de vrai cette fois, il fait une esquisse de salut militaire, probablement la plus grande forme de politesse qu'il puisse adresser à un collègues. il n'a rien contre Lucian Ledermann, rien du tout. oh, il a tout entendu, tout écouté, plus ou moins contre son gré, a parfois posé des questions. il n'a pas empêché les insultes, mais il n'a rien dit.

est-ce que ça faisait mal, Sous-Lieutenant ?
est-ce que vous aviez envie de partir, sans jamais passer à l'acte ?
est-ce que vous aviez mal au ventre dès que vous vouliez dire quelque chose, vous aussi ?

il en faut plus que ça pour m'avoir, pitoyable bravade creuse, il sait très bien qu'il a juste été chanceux. beaucoup d'autres ne s'en seraient jamais tirés. beaucoup auraient baissé leur garde en voyant l'uniforme, le même que l'on porte, c'est normal, non ? même lui, méfiant, échaudé, avait naïvement cru qu'il y aurait des tirs de sommation. quel imbécile.

le mal est entre leurs rangs, mais cette fois ce n'est pas la corruption dénoncée par les journaux puis étouffée. ce n'est pas l'arrivée de ces bêtes de guerre galeuses comme lui. c'est plus haut. c'est propre. respectable. médaillé, félicité, diplômé.

ils ne sont pas exactement collègues, mais...
Winchester Nova pose les yeux sur l'uniforme du Sous-Lieutenant, perché sur sa bête docile.

faîtes très attention à vous, Ledermann. on est parfois surpris, et... stop. il sait qu'il ne faut pas trop en dire. personne ne le croira, personne n'a jamais imaginé qu'il essaye un jour de dire la vérité, de dire quelque chose qui ne sert pas son intérêt immédiat. en parlant ainsi, il n'attend pas un allié. il espère juste... ne pas tressaillir à chaque fois qu'il verra un gilet pare-balles floqué "POLICE". on sait jamais.

le salut du Sous-Lieutenant Ledermann est à revoir, mais ça fait juste sourire Winchester Nova. à une autre époque, il l'aurait peut être repris sèchement, mais ce n'est ni le lieu, ni la date, ni les bons uniformes. alors il s'en amuse juste, simplement un peu contrarié de se rappeler qu'il le domine de presque une tête, maintenant qu'il est descendu de son cheval. il aurait peut être du rester en selle, ça lui aurait donné une excuse...

il serait presque gêné par le remerciement, il ne sait pas exactement s'il fait une fleur à Ledermann. il ne lui en veut pas de venir discuter, mais il est juste un peu embêté d'avoir été interrompu pendant son entraînement. ... il essayera de connaître les heures de patrouille de la police montée, ou trouvera un autre endroit plus loin dans la forêt, la prochaine fois.

s'il n'a plus le droit de tirer pour aujourd'hui, il n'a qu'a repartir, alors il accepte l'invitation de faire un bout de chemin ensemble. très bien, juste une minute... il se penche sur son fusil laissé au sol, démonte soigneusement chaque partie pour le ranger dans l'étui qui trainait un peu plus loin à ses pieds. ça ne prend pas longtemps, il n'a pas besoin de réfléchir. il ne pense pas à ses mains, mais à la question qu'il pense avoir entendue. alors comme ça, il veut savoir ?

à nouveau debout, l'étui jeté sur son épaule intacte, Winchester Nova est intrigué. la fusillade ? est-ce qu'il a le droit de lui dire ? ... est-ce qu'il veut lui dire ? est-ce qu'il ne va pas le condamner, en lui disant ? tant pis. j'avais des questions à poser au croupier Bathsheba, aux CDC. son frère est venu me tirer dessus.

il n'ose pas dire que c'est le Lieutenant Bathsheba, il a peur de passer pour un menteur. il ne sait même pas si le Sous-Lieutenant Ledermann le connait, de toute façon. il se permet juste une dernière remarque, les yeux fixés droits devant sur le chemin. c'est plus pour lui même que pour les oreilles de Ledermann, mais peut être que ça lui évitera des ennuis.

je croyais que c'était obligatoire, les tirs de sommation... bon, après, j'ai pas vraiment fait l'école de police.