et c'est reparti pour un tour...

Winchester Nova n'a pas envie d'être là, mais il n'a pas le choix. il avait envoyé quelques messages entre deux phases de sommeil, réveillé par la douleur en se tournant sans y penser sur son épaule gauche. et il n'a pas pu se rendormir de suite, en pensant encore une fois au Lieutenant Bathsheba. il faut vraiment qu'il le fume. et il espère ne pas être seul pour la tâche, comme le laisse supposer la réponse qu'il voit en se réveillant à cause de sa blessure à l'estomac, cette fois.

pas de sommeil. pas de repos. mais il n'en a pas besoin, il a trouvé tout ce qui lui fallait. il a trouvé un but, il a trouvé quelqu'un, il a trouvé une vengeance à accomplir. il faut qu'il reste en vie.
il faut qu'il reste en vie pour protéger Lysandre Hydra.
il faut qu'il reste en vie pour vivre avec son étoile.
il faut qu'il reste en vie.

s'entraîner, ce n'est pas assez, il faut qu'il sache ce que le Lieutenant lui voulait, il faut qu'il en sache assez pour avoir de quoi se défendre la prochaine fois.

et le mieux placé pour ça, c'est cet enfoiré de Richard Breckenridge.
putain.

c'est pour ça que Winchester Nova entre dans le Lucky Cat à vingt heures cinquante neuf, une cigarette au coin de la bouche qu'il n'a pas éteinte avant d'entrer.

on a des choses à se dire. il parle immédiatement en entrant, il sait que personne n'a vu la vendeuse depuis plusieurs semaines, il sait qu'à l'intérieur il n'y a que son... "partenaire".

accueilli par des insultes et une sale gueule, c'est dans l'ordre des choses. Winchester Nova ne mérite pas mieux que ça, à vrai dire, et il n'est pas habitué à mieux, de toute façon.

ça le fait sourire, ça lui rappelle sa dernière discussion avec le patron du Lucky Cat, ils pouvaient s'échanger tranquillement des insultes, et lui cherchait juste à retrouver le tueur des CDC. est-ce qu'il était plus heureux, avant tout ce qui lui est tombé sur le coin de la gueule ? pas vraiment. de toute façon, il n'a plus le choix.
il est là, et il va se démerder pour rester sur Terre encore un peu plus longtemps. (avec Lysandre) (avec son étoile) (son étoile).

donc il accepte les reproches avec une grimace qui se veut un sourire. qu'est-ce que ça peut lui foutre, à la gamine ? elle vient plus ici. et là, il sourit franchement, oui, il n'est pas si ignorant que ça, il reste un enfant des CDC.

il tire une nouvelle fois sur sa cigarette, par provocation, mais s'avance vers la porte sans plus de protestation, sans même s'attendre à un traquenard. si Richard Breckenridge avait voulu le fumer, il l'aurait fait la première fois. il n'aurait pas attendu qu'il le recontacte deux mois plus tard. maintenant, le Sous-lieutenant Nova marche un peu plus lentement, pas entièrement remis, mais plutôt mourir que de boîter en terrain ennemi.

on pourrait s'attendre à plus méfiant, à vrai dire, pour un homme qui a failli se faire abattre froidement par un de ses collègues, mais il est persuadé que Breckenridge l'aurait attaqué immédiatement, il y a longtemps. donc le simple fait d'avoir reçu cette invitation, et d'avoir pu franchir la porte de la boutique sans encombres, c'est bon signe.

on va éviter les formules de politesse et aller droit au but, tout de suite. ça, c'est ce qu'il veut, vraiment. éviter toutes les insultes de la dernière fois, après tout, elles ont déjà été dites, alors pas besoin de se répéter, pour se concentrer sur ce qui compte. sur leur but, pas si différent que ça. c'est la théorie, tout ça, mais en pratique, c'est dur de faire le premier pas...

il le fait, pourtant. je suis allé voir ce petit pédé d'Hydrée Bathsheba qui est croupier à l'Aquila, pour lui poser deux, trois questions et lui faire peur. sauf qu'un autre est arrivé et m'a tiré dessus. il déglutit. parfois, quand il force trop, ses plaies saignent encore. le Lieutenant Bathsheba.

maintenant, la bombe est lâchée.

oh, qu'est-ce que c'est inconfortable, d'être le premier à avouer.

Winchester Nova n'offre pas juste des informations, mais aussi un aveu de faiblesse. il s'est fait prendre par surprise. et par un flic en plus, bonjour la honte. un Lieutenant, tout de même, pas un troufion qui fait la circulation et colle des PV, mais les blessures sont quand même là. pas juste des plaies saignantes dans sa chair, mais des déchirures dans son égo.

et, comme une récompense pour en avoir parlé, il reçoit enfin quelques informations sur les Bathsheba. c'est vrai, il ne s'était jamais posé de question, pourquoi il connaissait vaguement le Lieutenant de nom, et croisait de temps en temps le petit enculé de croupier, sans jamais essayer de faire le rapprochement entre les deux.

ça a pourtant l'air très profond, leur lien. une histoire de secte, c'est vraiment... sordide ? étrange ? ça lui évoque vaguement quelque chose, une intervention armée, mais il n'était pas rabaissé au rang de flic, non, il était encore fier militaire, et se souciait peu des conflits internes au pays. le Sous-lieutenant Nova réfléchit. pour de vrai. il termine sa cigarette, préoccupé, en écoutant ce que veut bien lui dire Breckenridge. ça le fait chier de l'admettre, mais il estime que c'est une source fiable, au sujet des Bathsheba. après tout, lui aussi, il est au rang des victimes, et malgré toute sa bonne volonté (non), Winchester Nova ne peut réprimer un sourire. ça fait plaisir, de savoir qu'il n'est pas le seul à s'être fait casser la gueule.

mais il risquait bien plus gros, lui, et l'autre enflure le sait aussi. c'est sûrement ça qui le fait sourire comme un vieux vautour qui tourne autour de sa proie agonisante.

l'agonie, il en est pourtant bien loin. c'est pas passé loin, mais je suis encore là. j'ai pas prévu d'être le prochain fait divers. maintenant j'ai une raison de vivre.
maintenant j'ai une raison de vivre.
maintenant j'ai une raison de vivre.
(ne dit rien à Breckenridge. ne dit rien à personne)

je dois survivre, pour éliminer tous les dangers qui pèse sur LUI.
les Bathsheba sont un danger.

je veux plus jamais entendre parler de ces connards, mais si l'un d'eux est chaud pour tuer sur un flic, il va pas avoir des remords la prochaine fois. ... c'est peut être même pas son coup d'essai, j'en sais rien. en pleine réflexion, les sourcils froncés, il prend machinalement une autre cigarette, et en tend une à Breckenridge. (rien à foutre de la gamine de la caisse). Hydrée Bathsheba, c'est un petit couillon gringalet, je m'inquiète pas trop, et il a l'air assez asocial, il doit pas avoir beaucoup de liens avec les autres. le Lieutenant, ça m'emmerde un peu plus. il a un prénom en N ou M, faut que j'me rappelle... c'est franchement un mec bien placé, et il sait tirer sans hésiter. c'est les deux seuls que je connais, j'ai jamais croisé de grand baraqué. ça m'étonne un peu, t'es pas le genre de gars qu'on vient emmerder pour rien. ... t'as rien fait pour l'attirer ?

t'avais pas une jupe trop courte ? il blague intérieurement, mais ne dit rien, pour ne pas briser la trêve si fragile qu'ils viennent de signer implicitement.

c'est étrange.

c'est étrange, dans le sens de : ça pue la merde.

ils ne devraient pas s'entendre, les deux. oh, ils sont assez semblables, mais c'est comme deux rats qui se battent pour la propriété d'une poubelle. il n'y en aura qu'un, à la fin. sauf qu'une famille de chats galeux débarque, et maintenant on essaye de sauver son espèce en oubliant les différends.

si la menace disparait, Winchester Nova se jettera sur Richard Breckenridge sans hésiter, lui cassera les doigts, l'étranglera, lui fera manger ses dents, il y a tant de possibilités, il le fera, c'est promis. mais pour l'instant, il souhaite sincèrement que le type reste en vie. ce sera par ma main, pas une autre.
ce qui était un simple échange d'informations devient quelque chose de plus, et il déteste ça autant qu'il en a besoin. il se dit que ce sera un couteau de moins pointé sur son dos, prêt à frapper.

il pense à ses anciens camarades, à l'armée, puis il essaye de chasser l'idée,
c'est ridicule.
pourtant, il sourit.
et il réfléchit. (la cigarette se consume lentement entre son index et son majeur, il n'y pense plus)

ça s'est pas passé comme prévu, c'est tout. si tu parles au croupier sans le blesser, je pense pas que ça fasse rappliquer le frangin de suite.

si.
si, Winchester Nova, tu es dans la merde.

tu es marqué au fer rouge depuis que tu as laissé des empreintes rouges de ton sang sur la porte d'Hydrée Bathsheba, depuis que ton épaule rougit au moindre effort, depuis le début, en fait. et Richard Breckenridge aussi est dans la merde. alors il n'y a pas d'autre choix que d'accepter son sort, et de s'enfoncer un peu plus.

je croyais que j'étais déjà un fouille merde. il ricane. ils sont dérangés, mais je pense pas qu'ils se contentent de survivre. ils ont gardé le nom, ils doivent garder un but commun... j'ai pas envie de retourner voir le petit bâtard tout de suite, mais je peux essayer de me renseigner sur le Lieutenant. il grimace. ils n'ont aucune réelle piste, à part ces trois individus mortellement dangereux. le seul moyen de se renseigner, c'est... d'avoir du bol, ou d'aller les voir directement. la secte a été dissoute, il reste aussi peut être le dossier quelque part au commissariat central...

ça craint.

ils vont crever.

imaginer le Breckenridge s'allier à un flic... ha ! si on survit tout les deux à ça, tu me suceras, chaton ? cette fois, il rit franchement. (tout pour ne pas penser à la mort imminente) (tout pour ne pas penser à perdre son étoile) (tout sauf la mort) (breckenridge pour éviter la mort) (pas la mort)
(pas la mort)
(pas la mort)
(pas la mort)

Winchester Nova bouillonne, ces derniers jours, ces dernières semaines.

il a été élevé pour la guerre, et ne connaitra jamais la paix. il n'a pas réussi à dormir paisiblement, il n'y arrivera plus après l'attaque, il est toujours prêt à... quelque chose, sans savoir quoi. rester immobile, c'est la mort, comme pour ces requins qui ne peuvent plus respirer si on les empêche de nager.

mais pour une fois, Winchester Nova n'a pas envie de partir en courant de chez Richard Breckenridge.

cette fois, il reste, il attend.
il écoute.
il réfléchit.

(il pouvait le faire avant ? est-ce que c'est nouveau ?)
(est-ce à cause de Breckenridge ?)

et puis, il se plie au jeu, respecte les règles, presque sagement, même si cette pensée le dégoute immédiatement. ok, je te laisse le petit enculé. (réflexion studieuse, autre vague de dégoût, pourtant il continue) encore un autre Lieutenant ? mh, on en a pas tout le tour du cul non plus, au commissariat, surtout vu la mort des deux... s'il est du central, je vois de vue qui c'est. je dois aller fouiller là bas, de toute façon, pour les archives, je verrai ce qui se dit sur lui dans les couloirs. je crois que c'est un mec plutôt carré, on verra.

"on".

on.

(c'est sorti naturellement, puis immédiatement rangé au fond de la tête du Sous-Lieutenant Nova pour ne pas y repenser plus tard par accident)

c'est entendu, j'irais voir dans les archives si on a le nom d'un leader encore en vie, quelque chose du genre. c'est peut être ce que je demanderai au gamin, à ta place. je pense pas qu'on soit les seuls à avoir croisé ces enculés de Bathsheba et à en avoir fait les frais... il reste peut être un donneur d'ordres.

c'est à peu près ce qu'il voulait faire, en allant le voir la seconde fois. après avoir appris que Breckenridge était emmerdé par un autre Bathsheba, il se demandait s'ils étaient liés par quelque chose et voulait poser la question avant de... avant.

mais maintenant il est là.
(maintenant ils sont deux)

qu'est-ce qu'il veut, Winchester Nova ? qu'est-ce qu'il vient chercher auprès de Richard Breckenridge ?

il aurait pu suivre son éducation, se jeter à corps perdu dans la servitude à Lysandre Hydra, oublier tout le reste, mais il a encore trois plaies qui saignent dès qu'il fait un effort trop intense, dès que le recul de son fusil projette la crosse contre son épaule. ça, il ne peut pas l'oublier, et ne peut pas pardonner.

et il y a Richard, juste là, qui l'encourage dans cette vengeance stupide sans queue ni tête, sans autre motif que la violence, qu'un œil pour un œil. qui le suit là dedans. non, qui ouvre le chemin. Winchester Nova est presque entièrement convaincu, presque prêt à le suivre, mais se sent obligé d'une dernière ruade avant de s'avouer apprivoisé, le même rictus moqueur placardé sur ses traits abimés. oui, je t'amène ça demain, avec un café et des croissants, chaton.

demain ? oui, il devrait aller se renseigner demain. est-ce qu'il le fera ? j'ai d'autres trucs à faire, certains présents ici bossent, contrairement à d'autres... le retour des provocations à peine cachées, des mots mouillés d'acide. le Sous-lieutenant Nova est sur la défensive. tentative pathétique de ne pas trop vite se ranger du côté de l'ennemi d'hier. peut être l'allié d'après-demain, mais pas tout de suite,
pas encore.

pourtant, ils le savent tous les deux, ils vont risquer leur vie dans quelque chose de plus grand qu'eux, de plus fou. et ils le font quand même. la grimace moqueuse de Winchester Nova a disparu, il hoche simplement la tête, l'air de nouveau grave et sérieux. il sait ce qu'il fait.

ils savent ce qu'ils font.

j'ai quelque chose à protéger. je sais ce que je fais.

Winchester Nova ne se sent plus aussi mal, auprès de Richard Breckenridge. il a toujours les mêmes envies de violence, qu'il devine réciproques, mais il se pose moins de questions sur ce qu'ils sont.

il n'a pas besoin de se poser ces questions. ils sont. point. là, ils sont en train de discuter. puis, ils seront chacun de leur côtés. ils seront amenés à communiquer, peut être à se recroiser. ils sont.

alliés ? pas vraiment ? proches ? non.
liés ? d'une certaine manière.

le Sous-Lieutenant Nova ignore les points d'interrogation qui entourent Breckenridge lorsqu'il pense à lui, et se concentre sur ce qu'ils vont faire. sur ce qu'ils veulent savoir. sur ce qu'ils arriveront peut être à découvrir. il y a quelque chose entre eux, un but commun, quelque chose qui le retient d'être con. plus autant de provocation débile, plus autant de risque personnel.
ils sont deux à partager les risques.

ils sont.

lui, il est sage. il écoute, il sourit, il veut se moquer, mais ne dit rien.

et puis, il hoche la tête. ça y est, chacun repart de son côté, il reste quelque chose entre eux, mais ce moment là est terminé. il est décidé. on ne mourra pas. un moyen de se convaincre, plus qu'une vraie promesse. je te recontacte quand j'ai des infos.

(il y a tant de choses que tu ne sais pas, Richard Breckenridge, il y a tant de choses que je ne te dirais pas, mais qui nous menace, autant que les Bathsheba, peut être plus, quelque chose qui me tuera sûrement, et peut être toi aussi, par accident, ou pas.
je ne peux pas t'en parler, mais je ne suis pas désolé. certaines choses ne sont qu'à moi.)

allez, amuse toi bien, vieux con.

c'est tout.
c'est méchant, sans l'être.