Elle se réveille dans une forme bien humaine dans un endroit qui a bien changé.
Ses yeux jaunes observent autour d'elle, luisants, et le serpent soupire. Oh non, il pense, las. Convoqué ? Lui ? Dans un endroit pareil ? A un moment pareil ? Il fait quelques pas en avant.
Le bureau a bien changé, à l'époque il n'y avait rien, maintenant c'est un grand espace où la vie grouille, les entités se bousculent ou s'accumulent vers les machines à café. Et Serpent soupire, peut-être dépassé, peut-être las, peut-être dégoûté. Qui veut encore de toi ici ? L'influence du Soleil est forte ici, comme une odeur impossible à faire partir.
C'est une situation gênante, parce que plus il reste planté là sans savoir qui a eu l'amabilité de le convoquer ici, plus les microbes rassemblés ici commencent à le remarquer, et petit à petit, des yeux finissent par se poser sur lui et ne plus le lâcher.
Il les dévisage en retour, yeux jaunes rencontrent les autres, il siffle.
Il ne voit pas Fenrir et s'en attriste quelque peu, peut-être a-t-il pu prendre ce jour de repos qu'il chérissait tant ? Il aperçoit Tamamo traverser le bureau à vive allure, son acolyte de toujours derrière elle, luttant pour garder le rythme. Des choses ne changeront jamais... mais il ne connaît plus personne, maintenant. Du venin sur la langue comme de la bile, il détourne le regard.
Cela dit, il y a quand même quelques visages familiers dans le lot. Le serpent sourit en te voyant arriver, mais c'est fugace, parce qu'il reprend immédiatement cet air renfrogné que tu lui connais bien, tu ne l'as jamais vu sang, il a toujours détesté ce travail et son accident avec le Soleil n'a rien arrangé. Mais malgré tout, vous vous connaissez depuis la création, et il faut croire que tu l'aimes bien - que ni le temps ni le soleil n'a changé ça.
* A toi de me le dire, j'ai été convoqué ici sans un mot. Alors que je dormais.
Quel genre d'entité prend le temps de dormir ? Tu manques de lui répondre, mais tu ne dis rien. Tu lui proposes un thé pour faire passer la tempête, et elle hausse les épaules et lève les yeux au ciel.
* Oui, si tu veux. Tant que tu me tires de là, je te suis, écoutes.
Vous vous engouffrez hors de la salle principale pour rejoindre des couloirs plus calmes. L'antre des entités est immense : il y a un autre monde que celui des mortels, mais il est dans celui-ci.
* Bon. Et si ce n'est pas toi qui a eu la gentillesse de me faire venir ici, qui est l'heureux élu ? Pas Arachné, j'espère bien qu'il a d'autres choses à faire.
Un silence.
* Tu penses que... ?
Vous parlez en un regard.
* Je fais au mieux.
Elle t'observe et t'appuie un regard entendu. Tu connais ses manigances, celles qu'elle a prévu pour le futur proche. Enfin, proche de votre point de vue. Tu ne cesseras de plaider sa cause devant le Soleil et parfois tu as peur qu'Ananké ne vive plus longtemps que le Soleil. Même si elle l'aurait bien cherché, tu supposes, au fond de tes pensées.
* Toi, tu as l'air... elle plisse les yeux. Tu as l'air d'aller.
Ton travail est un effort de chaque instant, mais tu ne le montres pas.
* Arachné ne te surmène pas trop ? Je sais qu'il peut être exigeant.
Il y a un silence, son sourire s'efface. Quand tu lui tends sa tasse, elle boit distraitement.
* Si je me fais appeler dans un bureau, garde ta montre.
C'est un message secret, un code entre vous trois, vous millénaires et immortels. Vous échangez un regard.
* Mais ce n'est peut-être qu'Aube.
* Monarque, tu me... tu me saoules, elle finit par déclarer, tu la sens fatiguée. Ce n'est pas si exceptionnel que ça de se faire convoquer par son supérieur direct, merci bien. Si c'est elle, advienne que pourra. Ce n'est pas comme si elle pouvait me tuer. Je pourrai Mais à tous les coups elle m'a convoqué pour me faire me déplacer et m'emmerder. Personne ne veut de toi.
Tu la vois rarement parler avec aussi peu de délicatesse. Pour appuyer ses propos, elle hausse les épaules, désabusée - tu peux voir la tension dans chacun de ses gestes, cela dit, tu la connais trop pour être dupe.
Vous commencez à attendre.
Et personne ne vient. Pourquoi personne ne vient ? Personne ne veut de toi.
* Je pensais que vous seriez plus organisés en ayant de vrais bureaux, elle commente, il faut croire que non. C'est pathétique.
Tu penses à la première fois où Xion est mort, et à toutes les larmes qu'elle a versée. Une entité amoureuse d'un humain, folie! Mais toi et Arachné étaient là à ses côtés et vous n'avez rien fait pour l'arrêter quand
Ta question l'interrompt, et elle tourne la tête vers toi, le regard un peu vide.
* Quel bébé ? Elle demande platement. Face à ton regard appuyé, elle soupire et hausse les épaules. Ah, ce bébé-là. Je n'en sais rien. Ce n'est pas la première fois et on m'a toujours laissée faire, jusqu'ici. Je ne vois pas en quoi dérober cet enfant envenimerait les choses.
Tu vois clair dans son jeu. Cet enfant n'était pas censé exister, et elle l'a subtilisé pour lui permettre de vivre.
LE SERPENT NE POUVAIT SUPPORTER DE VOIR DES ENFANTS MOURIR
Tu détestes quand elle fait l'innocente. Elle croise les bras à nouveau, perplexe.
* Si personne ne vient je vais finir par rentrer. Même si c'était... agréable, de discuter avec toi, je suppose.
Mais Aube était Aube.
Et Ananké était Ananké.
Jalouse et capricieuse Ananké, irrécupérable Ananké. Increvable.
Tu souris, et tu t'éloignes avant même qu'elle ne te réponde, après tout tu as terminé ton rôle.
* Hm... Aube.
Le serpent est embarrassé. Peut-être sur la défensive, comme à son habitude. En tous cas, tu as l'habitude qu'il ne soit pas très familier avec toi.
* Pourquoi est-ce que tu m'as appelé ? Il plisse les yeux. J'espère que c'est pour une mission et non pas pour me réprimander. Un sourire. Ou alors est-ce que tu veux juste discuter un peu, malgré ton emploi du temps chargé ? Il se moque de toi, à peine subtil, mais tu commences à croire que tu as l'habitude. Tu laisses couler.
Tant mieux. Tu mets ça sur l'influence du Soleil, qui étouffe les lieux.
Cela dit, elle reste résolument sur la défensive.
* Quoi, l'enfant ? Celui de Bételgeuse ? Je n'en veux pas.
Tu fermes la porte derrière vous.
Ananké ne défiera pas les ordres - pas les tiens. Pas cette fois.