Dallas Decœur fixe la porte.

il ne devrait pas être là. surtout pas. il ne devrait être nulle part, nulle part d'autre que recroquevillé sous les draps,  priant pour que tout le monde décide de se taire. il devrait traîner comme une coquille vide dans l'aquarium en serrant les poings devant les méduses. il devrait continuer d'aller à la station de radio en souriant et en faisant semblant de ne pas entendre les insultes immondes.

oui, mais. il est là, devant la porte d'Ysé Lamouroux, il ne sait même plus si le policier a accepté de lui donner, ou s'il y a juste pensé en relisant le dossier. il ne se souvient plus très bien de ce qu'il a fait, dit, ou entendu, ces dernières semaines. il sait juste qu'au bout de treize jours sans aucune réponse et aucun compte-rendu, il s'est posé des questions. et puis, un coup de feu a retenti, les téléphones d'une petite centaine d'astériens partout sur l'île ont vibré à l'unisson,
trop tard.

c'est trop tard, il le sait.
le mal est fait.

mais il a peur.
il pensait que ça irait mieux. il se raccrochait à l'idée folle que quelque part, dans un futur lointain, un peu de ciel bleu l'attendait, et une mer enfin calmée après des mois de tempête. mais les hommes tels que Dallas Decœur sont bien culottés, pour aspirer à un peu de calme. ces hommes là ne connaîtront plus la paix.

surtout pas lui.
qui est là,
qui fixe la porte,
qui a envie de fuir très loin.

c'est une mauvaise idée, mais il est à court de solutions. depuis des mois, à chaque fois que sa main agrippe une roche solide, c'est toute la falaise qui s'effondre. et il sombre un peu plus. alors cette fois, il a décidé de regarder en bas. il a décidé de regarder le gouffre, et Ses yeux étaient là, tapis au fond. il n'a pas osé les affronter, à ce vernissage.

il toque.
c'est Donovan Decœur, nous devons parler.

Donovan Decœur la sent tout de suite, avant que la porte ne s'ouvre,
l'envie de le tuer.

il sursaute presque, quand il voit enfin le visage d'Ysé Lamouroux, comme s'il était frappé en pleine figure par ses sentiments. il n'arrive même pas à démêler le nœud de haine et de rancœur qui le submerge. il a presque du mal à penser, à vrai dire, mais il a tant hésité à venir, il a tant du peser le pour et le contre... il n'a plus besoin de se répéter les raisons une fois de plus. il a cru stupidement que ça irait, mais il a déjà la réponse à toute ces questions, ce sang qu'il sent bouillir devant lui.

il a été stupide.
il l'est toujours.
c'est un trouillard, un faible, un lâche, qui s'est caché et lamenté pendant des mois. il a cru devenir fou, il l'est probablement devenu, mais il est venu jusque là, et a toqué de la main gauche contre la porte.

il n'en peut plus, de vivre enfermé dans ses peurs.

il a décidé qu'il accepterait son sort, quel qu'il soit. il ne compte même pas demander pardon à ses victimes, non, il vient simplement, et verra bien ce que le Destin réserve pour lui. il pense à tord ou à raison qu'il ne peut rien lui arriver de pire, qu'il a enfin atteint le fond des abysses, juste là, entraîné par Ysé. est-ce qu'il va continuer de couler, ou remonter ?

qu'est-ce que vous voulez ? Donovan demande sincèrement. dites moi. vous voulez me voir en prison ? vous voulez me voir misérable ? vous voulez me tuer de vos propres mains ? ... si c'est le cas...

il avance d'un pas. un seul. plus, et il aurait peur de s'effondrer sous le poids de la colère.

je suis là.

(il regrette ce pas de plus, il regrette ces mots, qu'est-ce qui lui a pris ?
pourtant il s'est dit qu'il devait se remettre à vivre)