Tête en vrac.

T’es là, simplement allongé, emmitouflé dans tes draps, rechignant à sortir, rechignant à vivre une autre vie que celle ci. T’as juste mal au crâne, t’as juste cette impression, en une seule nuit, d’avoir vécu mille et une vies. Laquelle est la tienne ? Laquelle est la vraie ? Les plumes blanches ou ces draps de coton ?

▬ Hmm…  Tes doigts se referment sur le linge, dans un geste râleur. Le contact est chaud, l’odeur rassurante. Puis ça te frappe, ce souvenir coagulé, collé à même l’âme qui te donne des hauts les cœurs. Un sursaut et te voilà redressé, en panique, confus.

▬ M-Monsieur Nori ?! Ta voix craque, comme une petite souris et tu rougis de honte avant de comprendre qu’il n’y a personne. Tu es seul. Tu baisses les yeux, t’es tu attendu à sa présence dès ton réveil ? Une douce tape sur l’épaule, des mots calmes en : “Lycaon, réveilles toi.” ? Peut-être. Tu ne l’avoueras pas, pas même ici, pas même si tu es seul et qu’il n’y a personne pour te juger. C’est vrai ça, reprends-toi un peu Lycaon ! T’es toujours chez un total inconnu j’te rappelle ! Et si maman s'inquiétait ? Tu chopes ton téléphone, fixe l’écran, l’iris rond d'anxiété. Pas un message. Pas un appel.

Rien.

Temps de se bouger. D’un bond, tu sors du canapé et sans un regard en arrière galopes vers l’entrée. Tu prends la fuite. Une fuite qui te met les tripes à l’envers. Déchiré entre l’envie de partir et l’envie de rester, tu lances un dernier regard en arrière. Les couvertures en vrac que le sofa semble te retenir. Drôles de chaînes que celles de coton et de duvet. Tu hésites, porte ouverte, double des clés en mains, le ventre en gargouillements intrusifs. Alors machinalement, maladroitement, sans savoir faire, tu plies les couvertures. C’est moche, ce sont des tas de tissus amorphes, faussement rangés, qui dégueulent de plis.

Tu quittes les lieux, le cœur lourd, le ventre chamboulé de soubresauts, comme si on t’avait éventré et que chaque pas était calculé pour retenir tes organes. Migraine, en explosion lumineuse et rouge carmin, tu vacilles, dérives, jusqu'à prendre le temps de te poser, de prendre une grande inspiration. T’as envie de “rentrer” chez toi, de remplir un sac et de revenir ici. *Cling cling* Mélodie dans tout ce vacarme qu’est ta tête. Puis une canette, à tes pieds. Tu redresses les yeux, plisse ton regard, l’affine, l’affute jusqu'à reconnaître l'individu.

▬ Minos. Ça te rassure. Une vague de calme s'annonce, s’installe, calme tes nerfs bouillonnant et ton mal de crâne s'assagit. Tu cadres un sourire malicieux sur ta grande gueule, ajustant ce toi que tu sembles presque avoir oublié avec ce qui s’est passé cette nuit. ▬ J’fais du repérage ! Il s’approche, trottine jusqu'à toi de ce même air que tu lui connais si bien. ▬ Toi qu'est ce que tu fous là ? Mains qui tournent, doigt levé vers ses grandes bâtisses, ses majestueux appartements huppés, domaine des riches. ▬ Tu sauves aussi les gamins des bourgeois ?  

Pas qu'ils aient besoin de beaucoup d'aide à ton sens, mais allez savoir de quoi est fait le monde. Ecrasant tes mains sur ton visage, finissant surement ainsi de te réveiller complètement, tu fais abstraction de ce rêve bizarre, de cette intime sensation d'avoir traversé un autre monde trois fois de suite. ▬ J'crois bien que j'y retournerais plus jamais. Genre. Comment dire. Je... je pense que j'ai trouvé autre chose.  Tu fais une pause, une légère pause comme pour trouver les bons mots qui comme toujours ne viennent jamais. ▬ Tu vois ce que je veux dire ? Tu accompagnes gestes à la parole. ▬ Comme si c'était naturel. t'as jamais eu ça ? D'arriver quelque part et de te dire: Oué, c'est Là.

Peut-être que tu devrais pas parler de tout ça. Surtout pas à quelqu'un comme Minos. Monsieur Nori va avoir des ennuies........ à cause de toi. Tu ranges "discrètement" ou du moins essayes, le double des clefs dans ta poche de sweat à capuche gris. Mais t'as envie d'en parler, d'aboyer tes émotions sens dessus dessous. ▬ Enfin tu vois quoi, rien de fou.