Rencontre impromptue aux abords des grilles de ton lycée, te voilà aujourd’hui apprêtée sous les dômes de l’aquarium vitrifié.
Un mois s’est écoulé.
Tu te revois sous les messes basses, les sourires embarrassés emprunts d’une candeur admirative. Un homme venu t’accoster s’était présenté, transmettant en plus de son identité ses coordonnées.
Songeuse, l’inquiétude muette, tu avais simplement hoché la tête après un instant de silence. Un état second s’était installé en tes membres engourdis, vous avez catapulté dans une bulle.
De celles où l’on ne ressent ni appréhensions ni craintes, où l’air se fait fin.
Et on t’as prévenu.
De faire attention, de te méfier, qu’il y a des fieffés menteurs, des profiteurs. Que le visage fin, le costume taillé ne devaient pas te faire ployer. Mais toi, une fois son aura envolée, tu as prétexté savoir ce que tu faisais.
A déchiré le papier, a laissé les chiffres griffonnés choir au fond de ton sac, de tes cahiers. Et le rouge carmin qui t’as saisit, trahie ta peau diaphane t’as encouragé à dire, jamais.
Jamais tu ne l’appellerais.
Mais te voilà sous l’effet du temps à reconstituer le papier, à hésiter. Les quand dira-t-on des lycéennes en jupe à tartans t’atteignent. Toi tu sais ce que tu as entrevu. Tu sais, simplement.
Et si ton âge rend compliqué l’appellation de tes impressions, tu veux croire en tes instincts crochus. Ceux qui te saisissent les entrailles, qui griffonnent ton esprit tard le soir.
Alors tu l’as appelé.
Monsieur Wallace.
Et tu as tout planifié car tu ne crois pas aux coïncidences, que tu aimes les signes triviaux. Les grigris aux heures miroirs, les annonciations salvatrices. Tu associes le lieu à tes impressions, son nom à ta bonne étoile. Le Verseau en protecteur, c’est sous les essaims colorés que tu te sais en sécurité.
Assise face à un banc de poissons, les jambes étendues, tu attends. Et tu te sens bête durant un instant.

Les doutes sont coupés net, sa présence les a violentés. Évanouis dans ton ombre, tu redresses ton visage en sa direction. À nouveau, tu peux sentir l’épaisseur de velours de la bulle créée par son existence.  
Réconfortante.
Tes lèvres se plissent, tu voudrais sourire, étirer tes commissures à l’infini, montrer ta reconnaissance toi qui pensait rester ici esseulée. Mais tu te forces, tyrannise tes réflexes légers.
« Oui. »
Tu admires en ce jour nouveau les traits qui t’avaient auparavant marqués. Une chemise sans plie, des cheveux longs, entretenus. Une silhouette qui laisse songeur quant à son propriétaire.
Et si les secondes s’éternisent, tu finis par retourner à tes observations aquatiques, le carmin collant tes joues. De ces réflexes maudit qui gangrènent ton visage, de ces réactions viscérales incontrôlées, incontrôlables. De celles qui créent davantage d’embarras, qui force le crescendo.
« Vous retrouvez souvent des lycéennes ? » Tu as oublié de te méfier, ce sentiment a quitté la surface de ta rationalité lorsque cela concerne Monsieur Wallace. Dans le fond de tes pensées où règne tes états d’âmes grignotés, les supplications se rappellent à toi. Méfie-toi. Fais attention. Et si tu n’y crois pas, il te paraît cohérent de réagir ainsi.
Imiter les autres car eux seuls semblent savoir ce qu’ils font.
« C’est un hobby ? » Le flegme dans la voix, tu ne sais te convaincre de fuir, de partir. Tu ne sais prétexter la défiance quand ton corps reste ancré sur ce banc. La frustration monte, rejaillit sur ton visage aux coquelicots éclos sur tes joues fulminantes. La moindre émotion éclate sur tes traits. « Pourquoi moi ? Qu’est-ce que j’ai fait ? »
Le bout de tes doigts saisissent le rebord de la manche repassée, ton ongle vient gratter le bouton de chemise parfaitement cousu. Et tu le regardes dans l’espoir d’être unique, qu’importe ce qui en découlera.