Ça te manque.

Pas vraiment de mal de crâne. Ouf.  Ou tout du moins, pas cette fois. Juste une sensation de vide, comme si t’avais raté quelque chose d’important. Tu regardes ta main, bêtement. Tu la tends vers le lointain, plisse les yeux et sens ton cœur s’emballer. La sensation est si bizarre… poignante ? Il te manque. Mais qui ? Nori ? Sûrement. Tu vas en devenir fou. Fou de tout, d'amour, de haine, de passion. Il n'y a plus que lui maintenant. Difficile de faire autrement, ou d'avoir envie de faire autrement.

Tu sens que t'as mal dormi, que physiquement ton corps n'a pas prit la peine de se reposer...tu peux sentir les courbatures du cœur, mais dans ce rêve, ton esprit était si calme, si câlin dans ce manteau d'écume, que finalement, ça va. T'es juste là, avec ta sensation de manque qui s'agglutine de plus en plus, comme une lèpre visqueuse. Alors t'as pas trop attendu, t'as foncé avec tes petites jambes, tu t'es mis à courir comme jamais tu n'avais couru auparavant.

Tu as du souffle, beaucoup plus que dans ton rêve. Tu cavales, tu dévores les rues et grimpes dans l'ascenseur. Tu sais que Nori ne sera pas là. C'est un homme occupé. Donc nerveusement tu joues avec un de tes briquets. Petite flamme vacillante, tu es happé par sa beauté. Machinalement, connaissant le chemin par cœur, tu évites les portes des voisins et te postes devant celle de monsieur Wallace. Toquer ? A quoi bon. Porte ouverte avec les clé et tu t'y glisse comme un voleur.

Puis tu la vois.
Tu te figes.
Chiot en plein phare.

On a parfois le cœur soulevé par pas grand chose. On est écœuré par la montée de nouvelles rencontres.  C'est comme ça... puis ta cage thoracique se resserre quand tu la regardes de haut en bas

T'es qui?

 Elle sourit.

Mais pas toi. Tu grimaces même, colles ton dos à la porte. T’as bien compris que t’étais pas le seul embarqué dans cette histoire, qu’il y en avait d’autres, des comme “toi”. Mais c’est plus fort que toi… tu te dis qu’elle n’a rien à faire chez to- chez Nori. Rien à faire chez lui.

Finalement tout courageux, bombant ce torse qui est le tiens, tu t’avances vers cette “Cyllène” le pas assuré, le menton redressé. Dans une certaine mesure, tu essayes de garder ton “calme” de te faire un peu plus “Nori” dans ta démarche. Mais tu es bien loin de lui ressembler.

Ça j'avais remarqué que Nori était pas là, Cy llè ne ?  Elle est assise sur le canapé et t'en profite pour la regarder de haut, pour l'observer, la toiser, autant que faire se peut.  Puis tu te souviens, qu'il faut bien s'entendre... entre "vous". Ça te fait grimacer... puis soupirer. Tu roules des yeux, passes une main dans tes cheveux tout en prenant une grande inspiration puis tu poses ton cul sur le bord, que dis-je, le tout petit angle du canapé. Juste assez pour être assis inconfortablement et juste assez pour ne pas être trop proche d'elle. Moi c'est Lycaon. Puis le silence s'installe.. Meh. ... Hm. Tu viens ici souvent ?

Mais merde Lyca' on dirait une vieille phrase de dragueur de bar nulle....

 Tu te sens pas très bien.

Ton équilibre est bancal et tu te bats avec la gravité pour ne pas te retrouver le cul par terre. Cyllène, elle te fait fuir, te lance des regards étranges, des pupilles que tu n’avais encore jamais vus. La flamboyance est éteinte, ce n'est que de l'appétit mauvais.  

T’as les jambes qui vrillent, mais chacune à leur façon. L’une te dit de partir, de la mettre à ton cou et de cavaler hors de ce piège à loup, puis l’autre, plus ferme, plus droite, te dis que t’auras qu'à lui faire manger la semelle de tes pompes si ça se complique. Autant dire que t'es un petit peu perdu et que le seul truc qui saurait te rassurer, c'est de voir Nori passer cette porte d'entrée, à qui tu jettes des regards incessants.

A moi aussi, il m'a dit de faire comme chez moi.  C’est con de t'être dit que t’étais spécial. Que t’étais un peu hors-norme, différent, unique. C’est que t’as toujours été de ceux qu’on ne remarque pas, qu’on traite en fantôme. Moyen à en crever, un peu celui qu’on choisit par défaut, car y’a pas mieux mais qu’il y a surtout pire. Savoir qu’il réserve le même traitement à cette fille te compresse la poitrine, te noue la gorge en nœud épais. C’est une “comme toi” faut que tu l’acceptes, une qui a rien demandé, qui est maintenant là, avec toi.

Et inconsciemment, t’as l’impression de perdre un truc...

Les lèvres grimaçantes, écrasées en une moue agacée, tu finis par prendre sur toi, à ravaler cette jalousie dévorante. Parceque Nori te l’a demandé, parcequ’il veut que vous vous entendiez bien et s'il y a bien quelque chose que tu veux respecter dans cette vie, c’est sa volonté. En un soupire, en une déglutition forcée, tu te réinstalles sur le canapé et pousses le malaise que Cyllène te procure sur le côté.

Si dans un premier temps tu as les bras le long du corps, comme renfermé sur toi même, tu finis par les libérer en grands gestes, pivotant jusqu'à faire face à la demoiselle, épaules pointées dans sa direction.

Que tu me vois ? Comment ça ? T'es genre une stalkeuse ? Ou alors c'est genre ta "capacité" ? Monsieur Nori m'a parlé de ça, mais je sais pas c'est quoi la mienne.  T'as bien des rêves bizarres, des sensations qui brulent le corps, qui te mettent dans des états seconds, qui te font vriller, hurler, pleurer. Mais tu te dis qu'avec ces histoires de liés et d'Etoiles, tout le monde doit avoir ce genre de rêves. T'en as jamais parlé à personne, même pas à ton Etoile... t'as juste peur de passer pour un con.