Tu n'as aucune idée de l'heure qu'il est, tu n'as aucune idée de si c'est plutôt la soirée, la nuit, le matin. Tout ce que tu sais, c'est qu'il fait nuit, et que tu as une nausée terrible. Tu as déjà vomi tes tripes deux fois dans les toilettes, et l'une des fois tes mains sont passées à travers la cuvette et tu t'es mangé la porcelaine dans le menton, sûrement un peu fêlé depuis. Tu n'as juste rien compris à ce qui s'est passé. Tu es passé d'une soirée normale, d'une ambiance de oh je vais contacter mon bon ami Riley pour qu'on se recapte à l'occas ce serait cool à je passe à travers tout ce qui touche ma peau et j'ai l'impression qu'un trois tonnes cinq m'a roulé dessus. En somme, c'était plus tellement une bonne soirée.

Alors, tu divaguais, dans la rue, tu avais enfilé tes chaussures à la hâte, puisque visiblement ton corps avait décidé que si tu portais quelque chose tu ne passais pas à travers... Tu n'avais pas spécialement envie de tomber dans les souterrains de Polaris, au hasard d'un mauvais pas. Tu ne savais pas ce que tu cherchais exactement, mais tout ton corps, tout ton coeur et tout ton esprit te hurlait de te rendre dans une direction en particulier. Alors tu t'étais mis à marcher, titubant entre les voitures garées sur les parkings, les arbres dans les parcs, les plots sur les zones de chantier, tout ce qui se trouvait sur ton chemin. Dans un seul but : trouver la source de la vibration étrange qui ne cessait de te secouer, trouver la source de cette démangeaison entêtante.

Stop. Arrête toi. Arrête toi. Tu t'arrêtes, tu observes l'obscurité, le souffle court, irrégulier. Et puis, tu entends ton prénom, avant même de le voir. Lorsque tu le vois, tu restes purement incrédule. Qu'est-ce qu'il fait là ? Qu'est-ce qu'il fait là ? Il n'est pas censé être là. Il est censé avoir disparu. C'est ce que la fac a dit, sans le dire clairement. Probablement un mental breakdown, vous aviez convenu, avec les autres. Avec Madison.

« M'sieur Valentine ... ?

Incrédulité qui ne passe pas, vraiment pas. Puis se mue en autre chose. Tu es terrifié. Tu es simplement terrifié. Et si quelqu'un t'a vu ? Et si quelqu'un te balance aux flics, dans un hôpital, tu ne sais quoi ? Oh non. C'est un cauchemar, c'est sûrement un cauchemar.

« Je... Je sais pas. J'ai... J'ai un problème.

Tu fonds en larmes, finalement. De gros sanglots d'enfant.

« A-aid-aidez m-moi...

Il dit que tout va bien, et soudainement tout va bien. Soudainement plus rien n'a vraiment d'importance. Tu sens sa main sur ton crâne, sur tes cheveux, elle te semble immense. Mais tu n'as pas peur. Non, tu es rassuré. Alors que les dernières larmes coulent, les sanglots s'arrêtent, tu te tais. Ne le dérange pas, ne fais pas de bruit.

Tu as tellement de chance, tu te sens si léger tout à coup. Comme si tout allait bien, comme si le fait de passer à travers tout n'était pas tellement un gros problèmes, pas plus qu'un petit bleu. Rien n'est grave, tu as retrouvé Monsieur Valentine. Tu ne penses même pas au fait que tu pourras le raconter à Nao, actuellement. Tu ne penses à rien, juste à cette présence à tes côté. Tu hoches la tête, et marche.

« Je suis content de vous retrouver.

Invisibles ? Tu te demandes. Oui, il y a toujours eu beaucoup de choses que tu ne comprenais pas. Mais ton coeur est encore si lourd que tu as l'impression de le traîner derrière toi. Qu'est-ce qui t'arrive ? Qu'est-ce qu'il se passe, au juste ? Il mentionne Riley, et tu clignes des yeux, tu l'observes, un instant, avant que la première chose qui te vienne en tête soit : est-ce que j'ai déjà regardé un stream pendant les heures de ces cours ? Et que la conclusion soit, évidemment : non. Tu n'aurais jamais fait ça, les cours d'Andromède Valentine étaient beaucoup trop passionnants pour ça. Mais s'agissait-il encore du même professeur ? Du même humain ? Tu n'en savais rien.

« Comment savez-vous que...

Comment savait-il ? Pour Riley ? Il l'avait déjà rencontré ? Comment savait-il que Riley était ton ami ? Ton cœur s'était serré et s'était mis à tambouriner dangereusement. Savait-il aussi pour Nao ? Pour Fray ? Pour Fray, oui, bien sûr, mais...

« Est-ce que... Est-ce que je peux faire quelque chose, pour vous ? Pour vous aider ?

Pour le faire revenir dans ta vie. Tu ne voulais surtout pas te détacher de lui à nouveau.

Les mots sont familiers, la voix aussi, et pourtant au fond de toi tu commences à douter. Est-ce vraiment Andromède, à tes côtés ? Tu le regardes, plusieurs fois, tu cherches à comprendre, à voir à travers ce masque de distance et de douceur cordiale. Tu as envie d'hurler, un peu, pour savoir s'il réagira. Mais tu as le sentiment que tu ne peux pas. Que tu ne dois pas. Que ce n'est pas ce que tu dois faire. Alors, tu restes sage, et tu resteras sage jusqu'à la fin, probablement.

« Je... Je vais essayer.

Alors, ça se maîtrise ? C'est possible ? Quel intérêt ça pourrait avoir ? Quel intérêt tu pourrais avoir, à ses yeux ? Tu ne sais pas. Mais tu te sens désiré, voulu, utile. Et pour la première fois depuis longtemps, depuis ton arrivé à Astéria, ça te réchauffe le coeur comme jamais.

« Je veux que vous soyez fier de moi.

Idiot.

Trouver les autres ? Comment ? Comment pourrais-tu ? Combien sont-ils ? Une poignée, une classe, une promo ? Tu n'en sais rien. Il s'arrête, pose sa main sur ton épaule, et ton corps est secoué d'un frisson, comme réalisant à quel point il fait froid, ce soir. Réalisant ton erreur de ne pas t'être plus habillé. Tu relève les yeux vers ce géant et hoche la tête.

« Comment est-ce que je saurai... Pour les autres ?

Tu veux un indice, n'importe quoi. Tu veux bien parcourir toute la ville, interroger chaque personne, malgré ta timidité. Tu veux bien aller harceler tout le monde, et n'importe qui. Tu ne repères pas les yeux brillants dans le noir. Tu ne remarques rien. Il n'y a que lui.

« Comment est-ce que je peux vous contacter ? Où est-ce que je peux vous trouver ? Comment savoir ?

Bien sûr, ton cœur est serré, pris en étau par la panique.
Et puis, plus bas :

« Ne me laissez pas...

Tu ne trouves pas le courage de le poursuivre, tu le regarde s'éloigner et bientôt il n'y a plus personne. Il est parti. Mais ce sourire, ce sourire est inscrit dans ta mémoire comme inscrit au fer sur ta peau. Andromède. Andromède veut que tu l'aide. Alors tu l'aideras.

Andromède est fier de toi.
Andromède veille sur toi.
Andromède voit tout, il entend tout.

Tu es en sécurité.