Il fait froid. Il fait si froid. C’est de ta faute, aussi, Vega. Ce matin, tu es sortie en affrontant les températures, pas si hautes, il a fait chaud ces derniers temps, tu t’es dit que tu ne voulais pas t’embarrasser d’une veste ou d’un pull, que la fraîcheur de la matinée allait s’estomper. Tu as bossé en intérieur toute la journée, et parce que tu avais pris du retard dans certaines conceptions, pour la maison d’un client de ton père – un gros contrat, non négligeable – tu as décidé de bosser tard. Résultat ? Il est plus de vingt-deux heures, maintenant, il fait froid, oui, parce que tu n’as qu’un débardeur sur le dos et pour couronner le tout, en courant pour rentrer vite, tu as probablement fait tomber tes clés, quelque part.

C’est une catastrophe.

Déjà parce qu’il y a la clé de l’appartement dans lequel tu viens de t’installer. Une seule clé, parce que vous êtes trois. Ensuite, il y a les clés du bureau, de l’entrepôt de stockage et celle de la voiture de ton père. Tu as donc fait demi-tour, puis tu es encore revenue sur tes pas et tu as fais l’aller-retour deux fois en tout. Tu n’as pas trouvé. Ton téléphone est presque déchargé. Papa ne réponds pas. Tu n’oses pas appeler l’un des colocataires parce que tu ne les connais pas encore bien. Tu te sens déjà essoufflée. Du coup, tu finis par t’asseoir sur le rebord d’un trottoir, soupirer. Tes yeux brûlent, Vega, mais tu retiens tes larmes.

C’est stupide. Tu pourrais te tirer de cette situation en appelant d’autres personnes que ton père, et tu le sais. Il y a certains de tes collègues, par exemple, qui ont toujours été très gentils avec toi, certaines connaissances, aussi, tes anciens voisins, par exemple. Bref. Ton répertoire n’est pas sans contact, mais, tu ne veux déranger personne par ta bêtise. C’est complètement stupide, en plus, ces clés, elles sont bien quelque part, mais … impossible de te souvenir où tu les as glissées en partant. Ta poche ? Ton sac ? Tu ne te revois pas le faire.

Tu tritures encore un peu ton téléphone, n’osant pas déverrouiller l’écran pour préserver la batterie, au cas où papa finirait par te rappeler, ou pour tenter de l’appeler une nouvelle fois et puis, tu te remets à secouer ton sac, à fouiller dedans, à nouveau. C’est vrai que c’est un bazar sans nom, là-dedans, un vrai fourretout, mais tu n’entends pas le son de tes clés quand tu l’agites et ça, c’est signe qu’elles ne sont pas là.

C’est une voiture qui s’arrête devant toi, qui te fais relever le nez. Tes yeux sont rouges, tu ne pleures toujours pas, mais on voit bien qu’il y a quelque chose qui ne va pas. A la fenêtre, une jeune femme. Elle est belle. C’est la première chose qui te passe par la tête, c’est presque surréaliste, tu pourrais presque te dire qu’elle est irréelle jusqu’à ce qu’elle ouvre la bouche. Sa voix est douce, son sourire est doux, tu pourrais relâcher tes larmes, juste pour ça. « Non je … j’ai égaré mes clés, je n’arrive pas à les retrouver et … » Et tu dois souffler. Reprendre ton souffle, une nouvelle fois, parce que ton cœur si fragile semble avoir du mal à encaisser ta détresse. « Ne vous dérangez pas, je ne veux pas déranger … » Et pourtant, tu aurais bien besoin de quelqu’un, non ?

C'est stupide de refuser un peu d'aide maintenant qu'on t'en proposes … tu le sais, oui, mais à la fois, tu es seule responsable de ta bêtise, tu n'avais pas qu'à égarer tes clés. Le pire, dans l'histoire, c'est qu'en vérité, tu n'as même songé au fait que tu ne les avaient peut-être même pas perdues, juste oubliées sur un coin de ton bureau avant de claquer la porte. Forcément, sans elles, tu n'as pas pu retourner voir mais … elles seront sans doute récupérées par ton père dès demain matin alors tu es clairement en train de te flageller pour pas grand chose. L'histoire de ta vie, hein, tu as si peur d'être un poids pour les autres que tu te refuses à réclamer de l'aide …

Tu t'es d'ailleurs dit que cette gentille et belle dame passerait son chemin facilement mais, il n'en est rien. Elle t'offre même un nouveau sourire et ça te force à passer une main sur ton visage pour effacer l'humidité laissée par tes larmes rageuses. « Je … j'habite à quelques rues. » Normalement, tu prends le bus, mais tu as clairement raté ton créneau et à cette heure, le suivant doit passer bien trop tard. « Vous êtes certaine ? Je ne voudrais pas vous faire perdre votre temps. » Tu te lèves pourtant, timidement, tu approches la voiture. On t'as appris à ne pas faire confiance aux inconnus, mais tu es tellement tournée vers les autres que c'est une règle que tu n'as jamais su observer. « C'est a Hotdog Street … si vous connaissez. » Parce que clairement, cette jolie dame, elle ne vient pas des CDC.

Ce que tu peux te sentir gênée … ce n’est pas si grave, pourtant, demain, quand tout sera réglé, que tu auras surement remis la main sur tes clés, tu seras capable de t’en rendre compte mais pour le moment, tu as honte. Si tu pouvais te cacher dans un trou de souris, pour échapper aux yeux de cette belle dame, tu le ferais probablement sans la moindre hésitation.

Pourtant, rester là, sur ce trottoir, ce n’est pas une bonne idée, ça ne t’avance à rien et par-dessus tout, c’est dangereux, surtout dans les CDC. C’est pour ça, que tu parviens à te faire une raison, à te lever, et à rejoindre la voiture, avec tes maigres affaires. Elle semble décidée à t’aider, elle ne veut pas que tu dormes dehors et sa sollicitude, l’attention qu’elle te porte te touches particulièrement alors … tu hoches la tête, tu acceptes, et tu fais le tour de la voiture pour aller t’asseoir sur le siège, toute recroquevillée sur toi-même, peu à l’aise, pas de crainte, pourtant, mais de honte, encore, toujours.

C’est là, seulement, que tu te permets pourtant de l’observer un peu mieux. Ses traits te sont familiers, et si tu ne l’avais pas reconnue immédiatement, la réalité te frappes de plein fouet alors que tu te trouves subitement bien plus près. Est-ce que tu dois souligner que tu ne l’avais reconnue ? Est-ce qu’elle sera plus à l’aise si tu agis normalement ? Tu ne sais pas. En tout cas, toi, tu es d’autant plus gênée de te trouver là, dans la voiture d’une personnalité comme Danaé. « J’espère qu’ils sont à la maison … je ne voudrais que vous ayez à débourser pour ma bêtise, surtout qu’on ne se connait pas … » Toi, tu la connais de vu, de par sa notoriété, mais du reste, c’est une inconnue, autant que tu en es une pour elle. « Je m’appelle Vega … merci encore, c’est très gentil de votre part de prendre le temps de m’aider. »

Elle a les moyens, qu’elle t’annonce, et évidemment, tu n’en doutes pas une seconde, Vega. Si te payer une chambre d’hôtel parce que tu as perdu tes clés te ferais probablement un beau trou dans ton budget du moi, en ce qui la concerne, elle peut se permettre de payer pour les bêtises des autres sans en être inquiétée. Tu pourrais presque l’envier, si c’était dans ton caractère, parce qu’avoir une sécurité financière comme la sienne, c’est un avantage non négligeable. C’est certain, Vega, toi aussi, tu aimerais parfois pouvoir dépenser sans compter, pas pour toi, hein, mais ton entourage, tes amis, tu aimerais gâter tout le monde, être la source d’un rire, ou d’un sourire.

« Je le sais bien … mais ce n’est pas une raison. » Parce que tu demeures une inconnue pour elle, parce qu’elle pourrait faire plaisir à n’importe qui de plus proche d’elle, avec cet argent là et … ouais, probablement que sa façon de penser n’est pas à ta portée, en réalité. « Danaé … je te serais redevable, dans ce cas. » Entêtée que tu es, bien trop honnête, aussi, trop à cheval sur certains principes de ton éducation, sans doute. « Si je peux vous être utile, un jour … mh … » Tu fouilles dans ton petit sac, il y a dans l’une des poches les cartes de visites que ton père à faites faire pour toi. Vega Echeverrìa, décoratrice d’intérieur. Tu en es sacrément fière, tiens. Et puis elles sont jolies. Alors tu lui en offres une. « Ce n’est pas grand-chose, mais j’y tiens. »

Mais qu’est-ce que tu as encore dit ou fait de travers, hein ? Tu n’es pas idiote, si Danaé conserve sa politesse, presque stricte d’ailleurs, tu sens bien que quelque chose de plus négatif est passé, furtivement, dans le fil de votre conversation. C’est embêtant, parce que, tu te sais parfois maladroite, il est vrai, mais d’ordinaire, ta gentillesse et tes sourires font que les gens apprécient ta présence … dans son cas, tu aurais aimé qu’il en soit de même, juste parce qu’elle prend le temps pour t’aider, parce que, c’est comme ça, tu es reconnaissante.

« D’accord... » Elle prend ta carte, la range rapidement, et puis, puisqu’elle ne dit rien, tu choisis de ne pas questionner non plus, tu la laisses tout simplement démarrer la voiture, et probablement un peu gênée, ou honteuse, tu te cales au fond de ton siège, les yeux rivés sur l’écran du GPS qui indique que la rue que tu lui as indiquée n’est qu’à quelques minutes. « Vous vivez dans le coin ? » Tu demandes, subitement, te rendant compte, bien assez vite que la question est stupide, ridicule même. Pourquoi vivrait-elle dans ces quartiers, hein ? Elle a les moyens. Elle a la notoriété … tu supposes bien vite qu’elle vit plutôt aux Clématis. « Je vivais dans un quartier de l’Octant avant … ça me change ici. » Tu … as décidé de raconter ta vie, donc, parce que le silence à quelque chose d’angoissant, pour toi.

A l’autre bout … oui. Forcément. A l’opposé. Tu préfères te taire, tiens, c’était logique, tu ne fais que hocher la tête comme une enfant qui sait qu’elle vient de dire une grosse bêtise mais qui, forcément, refuse d’assumer et préfère se confondre dans sa honte. « Ça va, je crois, on m’a énormément mise en garde contre l’endroit mais jusqu’à présent, je n’ai pas spécialement eu de soucis, et pourtant, je sors pas mal à pieds. » Tu pars tôt le matin, et parfois, tu rentres tard le soir alors, bon, tu te dis que, soit, tu es particulièrement chanceuse, soit, ceux qui t’ont maintes fois répété de faire attention ont un peu grossi les choses pour te faire peur et te pousser à la vigilance.

Tu tournes un peu la tête, tu te remets à fixer l’extérieur un moment, et puis, tu sursautes, presque, quand tu reconnais l’ensemble de panneaux devant lequel tu passes tous les jours. « Oh, c’est sur la droite ! Ça a été vite. » Et oui, Vega, plus vite qu’à pieds, ou en bus, forcément. « C’est l’immeuble un peu laid, dans le fond de cette rue. »

Si tu as été réticente à accepter son aide … finalement, tu te dis que c'était plus appréciable que de rentrer seule, dans le noir, dans le froid, et à pieds. Danaé semble être une personne particulière, c'est vrai, peut-être te paraît-elle un peu lointaine malgré sa proximité du moment. Inaccessible. Cela dit, tu vois bien qu'elle a du cœur, et cette fois, si tu es très reconnaissante, tu te gardes bien de le dire à haute voix. En fait, tu te contente de ramasser tes quelques affaires, que tu avais déposées à tes pieds, en lui souriant poliment.

« Ça ira, mes colocataires sont probablement à la maison, je vois de la lumière par la fenêtre. » Et oui, ça te rassure énormément, rentrer chez toi, c'était déjà quelque chose, alors, si en plus, tu avais dû poireauter à la porte comme une malheureuse … « Merci à vous, vous êtes une bonne personne. » Que tu lui lances. Et, craignant probablement qu'elle n'y trouve quelque chose à redire, te voilà à quitter rapidement la voiture, en lui lançant un petit signe de la main. « Bonne soirée à vous, Danaé ! »