Danaé n'avait pas déménagé, ou du moins pas depuis des années, et tu n'avais pas eut de mal à trouver - retrouver - son adresse, quand bien même tu n'avais pas foutu les pieds ici depuis des lustres. Non, tu n'avais jamais été cet ex bizarre qui se pointe devant le bâtiment de son ex et se met à soupirer lourdement que c'était mieux avant. En fait, ce n'était pas tellement que l'obsession qui t'animait était amoureuse comme autrefois, et tu t'en étais rendu compte seulement récemment. Tu n'avais pas envie de revoir Danaé, pour des raisons qui t'y aurait poussé avant, non. C'était complétement différent. Tu n'arrivais pas à fermer l'oeil de la nuit parce que tu étais mort d'inquiétude. Tu savais que Danaé était probablement tout à fait en sécurité, même si elle arrivait toujours à trainer dans les pires embrouilles, c'était une femme tout à fait capable de se sortir de ses propres problèmes, et certainement la personne la plus débrouillarde que tu connaissais - en dehors de Fray, on s'entend. Mais tu n'arrivais pas à te sortir l'idée de la tête.
Alors, plutôt que de te rendre physiquement malade sur la durée, tu avais finis par te dire qu'il fallait crever l'abcès. Aller la voir. Au pire elle t'envoyait balader au bout de trois minutes et c'était fini. Alors, finalement, tu avais appuyé sur l'interphone, tes gants toujours aux mains, parce que pour rien au monde tu n'aurais voulu l'affecter, même par mégarde, et tu avais attendu d'entendre qu'on te décrochait.
─ C'est Ceylan, je dois te dire un truc.
Ni bonjour ni merde, tu étais sans doute trop perturbé pour le lui dire, ou alors c'était juste comme ça. Malgré le fait que ça faisait des années que vous n'aviez pas parlé, tu avais presque encore l'habitude terrible de ne jamais dire bonjour ou au revoir, pour que ce soit jamais vraiment la dernière fois.
Danaé avait passé la nuit au téléphone avec Nori, jusqu'à ce que le matin pointe le bout de son nez et que les choses se calment. A pleurer, pleurer, pleurer. Pleurer de son impuissance et de sa lâcheté et de tout ce qui faisait qu'elle était humaine. Juste, humaine. Sans capacité, sans rien pour l'aider. Et Alcyone qui n'était plus là... son absence se faisait ressentir, terriblement.
Enfin, ça, c'était jusqu'à ce que Ceylan se présente à la porte, évidemment. S'il ressentait le besoin de venir jusqu'à elle, c'était par la faute d'Alcyone et le lien qu'elle avait tissé entre eux. Si elle n'avait jamais été là... elle n'aurait jamais eu à entendre parler à nouveau de Ceylan Alterra. Danaé eut un soupir alors qu'elle posait son front contre le mur, près de son côté de l'interphone.
* Je t'ouvre.
Elle n'attendait pas Ceylan de pied ferme. Et elle n'avait pas essayé de rendre son ton impassible. Elle craignait que la simple vision de Ceylan ne la tue sur le champ.
Tu grimpes les escaliers qui te séparent de son étage, de son appartement, machinalement. Tu te souviens l'avoir raccompagnée un certain nombre de fois jusqu'ici, jusqu'à cette porte. Tu n'étais pas entré souvent, et lorsque tu trouve la porte entrouverte, tu te glisse à l'intérieur, sans faire un bruit, prenant soin de la refermer derrière toi.
─ Je suis désolé si je te dérange. Je n'serais pas long.
Tu mens, sans doute. Tu n'es pas vraiment désolé, et tu ne sais pas si tu seras long ou pas. Mais tu supposes que cette attitude à te mettre en retrait pourrait te faire gagner quelques points avec la jeune femme qui n'a clairement aucune envie de te trouver sur le pas de sa porte aujourd'hui.
─ Le truc, j'vais être cash, c'est que j'arrête pas de penser à toi. Pas en mode tu me manques j'peux rien faire sans toi, tout ça. Juste, j'ai la boule au ventre à l'idée qu'il t'arrive un truc...
Ok, ça y est, t'es bizarre, et clairement la pauvre Danaé ne t'a jamais vu dans cet état. C'est sûrement le manque de sommeil qui doit te mettre un coup au moral.
* Je sais, elle déclare. Alcyone n'était plus là pour observer ce qu'elle faisait, mais en soi, ce n'était pas plus mal. Quoique. Oh, elle aurait adoré les voir se rabibocher, elle qui avait tant lutté pour inclure Ceylan dans le cercle. Elle voulait que Danaé aille bien. Elle s'y prenait juste très mal. On ne pouvait lui en vouloir. Danaé lui en voulait.
* Je suis liée aux événements d'hier. Elle annonce, de but en blanc, avec la ferme intention de tout lui dévoiler d'un coup. De toutes façons, elle sait que c'est ce qui fonctionne le mieux avec Ceylan. Ca lui fera du bien. Relâchera peut-être un peu de pression de ses épaules. Le 3 décembre dernier, une étoile nommée Alcyone est tombée du ciel et s'est incarnée en moi. En faisant cela, elle a lié huit autres humains à moi et leur a donné des capacités hors du commun. Tu fais partie de ces humains-là. Elle est morte peu de temps après... elle n'était pas assez forte. Ca fait mal, d'avouer ça. Ca fait mal, de se souvenir d'Alcyone. Ca fait mal, de se rendre compte du vide. Beaucoup de mes liés sont morts. Je... c'était douloureux. Et j'avais peur que... toi aussi... Un soupir. Bref.
C'est l'heure du palier !
- Partir.
- La prendre dans tes bras.
- Rire.
- Demander un verre d'eau.
─ Ah oui.
Ah oui, quand même. C'est pas rien à digérer, à vrai dire. Et tu détournes enfin tes yeux d'elle pour souffler un peu. Bon sang. Ça explique le truc, avec la mémoire, ça explique les douleurs qui te réveillaient en plein milieu de la nuit, et surtout ton espèce d'obstination maladive à voir Danaé quand, pendant des années, tu n'avais pensé qu'occasionnellement à elle, avec les meilleures intentions du monde, sans lui faire l'affront de venir la confronter.
─ Tu permets ?
Tu demande, alors que tu approches et franchis les quelques pas qui vous sépare. Tu as besoin de ça, tu as besoin de cette étreinte là, tu en as cruellement besoin, là, maintenant. Tu feras évidemment attention à ne pas toucher sa peau, à ne pas être trop envahissant, trop collant, même si dans l'instant tu veux la serrer si fort dans tes bras qu'elle pourrait y disparaître, simplement.
─ J'imagine pas ce que ça doit être pour toi, vu ce que ça a été de mon côté. Tu sais...
Tu recule, finalement, juste assez pour la laisser respirer, tes mains gantées encore sur ses avant bras que tu ne tiens pas pour autant, juste pour garder le contact.
─ Tu pouvais me contacter. Tu aurais pu, à n'importe quel moment. J'aurais pas cherché à te courir après.
T'essaye de lui dire que t'es pas une menace, sûrement d'une façon peu subtile, mais ce n'est pas ce que tu veux, ce n'est pas pour ça que tu es là. Oh, bien sûr, tu es toujours amoureux de Danaé, on efface pas huit ans d'amour d'un revers de main, mais tu étais surtout son ami. Et encore et toujours, tu tenais à te comporter comme tel.
Il la prend dans ses bras.
* Ceylan... Elle hésite, et finalement elle vient le serrer contre elle, une étreinte qui veut peut-être dire mille choses à la fois. Mais surtout elle laisse la peau de Ceylan toucher la sienne, et quand il sursaute et essaie de s'éloigner, elle le tient contre elle - de force, même si elle n'aime pas ça. Tu ne peux pas me faire de mal. En fait, tout ceux à qui nous sommes liés... on ne peut pas se faire de mal entre nous. Ca va aller. Tu peux retirer ces gants...
─ Danaé...
Tu fermes les yeux quelques instants, tu sens qu'après ça, quand tu vas sortir de chez elle, tu vas tracer jusqu'à chez toi et enfin dormir, enfin dormir à poings fermés et cette nuit là, une nuit de vrai sommeil, tu ne l'as pas eu depuis si longtemps.
─ Dusk.
Malgré toi, c'est tout de même une pensée qui traverse ton esprit. Oh, tu ne voulais pas penser à lui dans ce genre de circonstances, honnêtement, sauf que voilà, tu ne peux pas t'en empêcher. Serait-il possible que vous soyiez liés aussi ? Ce qui expliquerait pourquoi malgré des contacts répétés, tu n'avais rien effacé chez lui. Ou alors il n'y avait pas tant à effacer que tu ne l'aurais imaginé. Tu soupires profondément et repose les yeux pour regarder la jeune femme un long moment, plongeant tes yeux dans les siens, pour t'y noyer.
─ J'ai une soeur. Elle m'a retrouvée je ne sais comment, et je lui ai effacé la mémoire.
Tu parles si vite que les mots s'entrechoquent. Tu penses aussi au mec tué dans le casino - un de plus - et à tout ce qui s'est passé ces derniers temps. Tu n'oses pas lui demander pour Fray, encore que tu aimerais savoir. Mais tu veux juste... Poser tes mains sur ses joues, là, comme ça, et la détailler aussi longtemps que tu le pourras.
─ Comment est-ce que tu te sens ? Tu es bien entourée ? Tu n'es jamais trop seule, j'espère ? Tu peux venir au Casino n'importe quand. Tu peux m'appeler quand tu veux.
Sauf que soudain, dans son charabia, Ceylan mentionne un prénom qu'elle ne connaît que trop bien. La jeune femme s'arrête, yeux écarquillés.
* Attends une minute, tu connais Dusk ? Oh mon dieu, Ceylan, ta sœur, je suis désolée... mais, Dusk ? Elle secoue la tête, confuse. Attend, tu... tu sais qui est Dusk ? Vous vous connaissez ? C'était... Alcyone avait des sentiments pour lui. Et, euh. Je suis entourée. J'ai un fiancé.
Sur ce côté-là, ils n'ont pas changé. Incapables de discuter normalement sans communiquer deux milles informations à la minute.
─ Oui, il était plus ou moins là à l'hôpital quand ma mère est morte.
Danaé sait que le sujet n'a rien de sensible, elle sait à quel point tu ne ressentais rien pour ta mère, encore plus dans ses derniers instants, alors qu'elle regrettait clairement d'avoir un enfance qui ne lui ressemblait en rien. Tu échappes un faible soupir tout à fait gêné alors qu'elle t'explique que Dusk ... Et Alcyone ... ? L'étoile ? Qui est ... Morte ? Oh bon sang. Voilà qui explique en partie pourquoi le rouquin est juste complétement taré, donc. Super, merveilleux.
─ Oui, alors. On est un peu intimes.
Tu détournes les yeux, soudainement gêné. Oui, bon, remplacer Danaé et Sora par ... Dusk, d'un point de vue extérieur, ça ressemblait à une tentative d'autodestruction et un grand manque d'estime de soi, vraiment. Sans vexer Dusk, hein. Mais bon, l'écart entre les deux situations était quand même sacrément spécial quoi. Tu avais même rougit un peu à l'idée qu'elle se fiche de toi, mais tu n'avais pas spécialement envie de justifier tes décisions, tout à coup. Hors de question de mentionner Fray.
Elle mentionne son fiancé, tu relèves les yeux vers elle, la détaille, et soudainement tu sembles sincèrement soulagé, sincèrement heureux pour elle. Une fille comme Danaé mérite le meilleur, aussi, tu t'apprête aussi à dire que s'il lui fait du mal tu lui casseras la gueule, mais ne juge pas ça vraiment nécessaire.
─ Je suis rassuré. Et je suis heureux pour toi.
Tu doutes que le mariage soit tellement d'actualité, enfin, disons que la situation est un peu spéciale. Tu n'oses pas parler du ciel doré, on s'entend, tu es presque persuadé d'avoir eu une hallucination - tu sais que non.
Elle glousse un peu, retournant chercher les mains de Ceylan, frottant ses doigts du pouce. Je suis tellement désolée de ne pas t'avoir contacté plus tôt. Je ne voulais pas... je ne sais pas. J'ai mon égo, et tu le sais. Tiens d'ailleurs, un de nos liés s'appelle Hego, je trouve son prénom tellement idiot... Tu sais, j'ai détesté les hommes après notre séparation, et après la mort d'Alcyone. Alcyone est morte dans la peur, et c'était causé par un homme, ou par deux, je ne sais pas trop, tout ce qu'elle me racontait était lunaire, de mon point de vue... Enfin. Je suis contente qu'on puisse se parler à nouveau. Et aussi... de façon aussi fluide, je dirais. Je pense que j'avais peur qu'il n'y ait plus rien entre nous, même pas de l'amitié.
Elle baisse les yeux, et soupire, presque penaude. Finalement, elle pose sa tête contre ton torse, n'osant te regarder dans les yeux.
* J'ai toujours des sentiments pour toi. Mais... j'aime Nori. Je crois que... Un nouveau soupir, tremblant. Est-ce qu'on peut être amis, malgré ça ? Malgré tout ce qu'il s'est passé ? Meilleurs amis, comme... avant ?
─ Oui, bon, c'est bon...
Elle parle de Sora, ton cœur se serre un peu, juste assez pour que tu détournes les yeux, une façon subtile de lui souligner que tu n'as pas envie d'en parler, que la blessure est encore à vif. Si Sora n'est pas ... Aussi mort qu'il est censé l'être, pour le dire ainsi, ça n'empêche qu'il est parti, et elle avant ça. Les années de solitude n'avait pas été agréables, et alors que tu peinais à te reconstruire, petit à petit, à choisir avec soin - un mauvais soin - les gens qui pavaient ta vie, il fallait que ... Arh. Ce n'était pas si grave, pas si important. Tu étais en train de dramatiser pour rien.
Danaé se met à débiter un peu tout et rien, ce qui lui passe par la tête et tu te contente de la regarder. Elle a toujours beaucoup parlé, Danaé, et ça ne t'a jamais dérangé, tu admire cette façon qu'elle a de sauter d'un sujet à un autre sans transition, et peut-être que tu souris un peu, doucement. Tu apprends quelques petites choses, à propos d'un gars qui s'appellerait Hego ? Ego ? Tu n'en sais rien. Qu'Alcyone - l'étoile ? - était morte en ayant peur de quelqu'un, ou d'un groupe de personnes, et. Lorsqu'elle évoque le dénommé Nori, tu souris doucement. Tu es sincèrement heureux pour elle, elle a l'air d'avoir trouvé quelqu'un de bien, pour veiller sur elle, et sur qui veiller en retour.
─ Bien sûr, Danaé.
Tu marques un instant de silence, réalise que tu es sûrement un peu flou dans tes propos, présentement.
─ Mes sentiments pour toi n'ont pas changé, mais comme tu le dis, tu as ta vie, et j'ai la mienne. Mais ce n'est pas pour autant que tu n'en fais plus partie, et que je n'ai pas envie de toujours venir te raconter mes déboires.
Un sourire amusé, tendre, protecteur sans doute. Tu agite un peu les mains pour te défaire des siennes et les prendre correctement entre tes doigts, avant de venir déposer un baiser sur son front. Ça va Ceylan, tu ne peux pas lui faire mal.
─ Tu peux compter sur moi.
* Nori. Lui aussi, c'est un hôte. Son étoile est toujours vivante.
Nori est une personne de confiance. Qui ne pourra pas se retourner contre elle. Elle plante son regard dans celui de Ceylan, pour qu'il comprenne. Ils n'ont pas besoin de beaucoup de mots pour se comprendre, bien qu'ils adorent se parler. Le contact de leurs regards durent plusieurs longues, longues secondes. Juste assez longtemps pour se dire le nécessaire.
* Tu lis en moi, elle ajoute, amusée et abasourdie, en détournant le regard.
Tu n'as pas vraiment eu le loisir de te demander ce qu'il pouvait bien avoir que tu n'avais pas, et maintenant tu sais quand même. Hé, ce n'est pas grave, tu ne cherches pas à reconquérir Danaé - tu n'en ressens pas le besoin, tu n'es plus aussi territorial qu'avant. Tu te contente de l'observer avec ce sourire qu'elle connait tant, mi-amusement mi-tendresse.
─ Ça t'étonne ?
La remarque est accompagnée d'un sourire plus sincère, plus vrai. Tu as l'air d'aller déjà un peu mieux, comme si on t'avait enfin rendu cette partie de toi qu'il te manquait depuis si longtemps. Vous restez silencieux, à vous regarder, sans rien avoir à dire, jusqu'à ce que finalement, tu approches pour déposer un baiser sur son front, puis reculer, enfin, et cette fois tu as l'air sur le départ.
─ Mon numéro n'a pas changé, et tu sais où me trouver. Surtout, n'hésite pas, même si c'est juste pour qu'on s'écoute respirer sans avoir rien à se dire, ça me dérange pas.
* Ceylan !
Elle attend qu'il se retourne et lui adresse un sourire.
* Tu m'oublies pas, hein ?
C'est l'heure du palier ?
- Lui sourire et lui faire signe au revoir.
- Te mettre à pleurer.
- Hausser les épaules et lui tirer la langue.
- Retourner l'enlacer.
─ Impossible.
Comment pourrais-tu ? Tu ne pourrais pas.
(il l'enlace)
Et elle était incapable de le demander à qui que ce soit.
Alors elle sourit, se redresse pour embrasser Ceylan sur le front, et le laisse partir,
les yeux sombres.