Le mec rentre et commencer à gueuler, on retrouve son corps entre deux rayons.
Ce n'était pas une belle journée, loin de là. La veille au soir avait été musclée, et sans entrer dans les détails, tu n'avais que peu dormi cette nuit, ce qui, pourtant, ne s'affichait pas le moins du monde sur ton visage. Aucune trace, aucunes cernes, aucun signe d'une quelconque bataille. Non, tu n'étais qu'un libraire, forcé de reprendre le travail malgré l'ambiance dans la capitale, parce qu'au fond ton patron, lui, n'en avait rien à foutre. Lorsque la sonnette retenti pour signaler qu'un client a eut le courage de sortir le bout de son nez de son appart pour venir jusqu'à toi, tu soupires bruyamment mais estime qu'il te reste encore quelques minutes pour finir ta tasse de thé et ta lecture avant qu'on vienne te tirer de la réserve.
Oui, sauf que non. Le client est, de toute évidence, ce qu'on pourrait qualifier d'un gros connard, et toi tu n'as clairement pas la patience pour ça. Alors que le mec s'égosille devant le comptoir, tu te redresses et quitte ta lecture, abandonnée entre deux cartons qu'il faudra que tu ordonnes plus tard, et tu marches calmement jusqu'à la ... Créature qui s'est fait une place dans la boutique. Oh, tu ne juges pas sur le physique, et si le gars a une gueule de junkie, ce n'est pas ton problème. Son ton, par contre. C'est à se demander s'il va te braquer, et en vérité ça ne te fait absolument ni chaud ni froid.
Vous êtes dans une librairie, il va donc falloir apprendre à lire. Tu réponds, calmement, en lui désignant le rayon concerné. Nul doute que le court laps de temps entre son entrée et sa réplique témoignaient du manque d'intérêt qu'il avait eut pour la recherche personnelle. Tu n'accompagnes pas ta remarque du moindre sourire poli, tu es professionnel mais ni stupide, ni patient. Et tu te mets à le dévisager, espérant qu'il s'en aille et qu'il te fiche la paix.
Le mec rentre et commencer à gueuler, on retrouve son corps entre deux rayons.
Tu ne le quitte pas des yeux alors qu'il débite toutes ces absurdités, et tu te demandes sincèrement ce qui l'a poussé à entrer dans la boutique. Le mec s'est cru où, en fait ? Tu le détailles, un long moment, réfléchissant quelques instants à ce que tu dois faire dans cette situation avant pencher doucement la tête sur le côté, en plein débat mental. Le patron t'en voudrait de jeter dehors un client potentiel, mais pas sûr qu'il voudrait de ce type comme client. Tu n'as pas tellement envie de batailler avec l'individu, en plus de ça, il n'a pas l'air d'avoir ni les yeux en face des trous, ni la lumière à tous les étages.
Machinalement, tu contournes le comptoir calmement avant de te placer devant la porte et ouvre cette dernière, faisant tinter la clochette notifiant la présence des clients. Tu la tiens bien ouverte et laisse l'air froid d'octobre s'engouffrer à l'intérieur et agiter les mèches blondes sur tes épaules. Si vous ouvrez encore la bouche pour vous montrer insultant, vous sortez. Visiblement, à ta façon de tenir la porte, tu sais d'avance qu'il se montrera à nouveau insultant. Pas que t'en ai quelque chose à faire en particulier, ni que tu sois touché par ce qu'un individu tel que lui puisse dire de façon générale.
Notre réserve est limitée en place et en références, elle est actuellement parsemée de livres pour enfants. J'ignore si c'est ce à quoi vous faites référence. En revanche, si vous avez une référence à me fournir, je peux prendre une commande. Tu ne sais pas tellement ce qui te pousse à ne pas le jeter dehors tout de suite, mais peut-être que tu supposes qu'à terme tu pourrais le sortir d'ici les pieds devant, et que l'idée te charme sans doute un peu plus que tu ne le voudrais.
Le mec rentre et commencer à gueuler, on retrouve son corps entre deux rayons.
Lorsqu'il approche, tu supposes qu'il cherchera à en venir aux mains, ou à simplement s'en aller, mais il n'en est rien, parce que ce gars est plein de surprises, voyons. Et finalement, alors qu'il te dit pourquoi il est là, tu fais quelques pas pour fermer la porte - nouveau tintement léger - alors que tu le contournes sans lui accorder plus d'importance. Tu traines quelques instants dans les rayons que, malgré toi, tu ne connais pas encore par coeur, et reviens avec une édition flambant neuve du bouquin qu'il réclame, avant de le dévisager un long moment. Schrödinger, oui, bien sûr. Excusez moi, mais il a pas vraiment la tête de l'emploi, le client. Mais ton air neutre doit laisser supposer que tu n'es pas en train de le juger.
C'est l'édition 1992. Je peux peut-être négocier une édition plus rare avec une connaissance. Tu penses à certains de tes professeurs avec lesquels tu as pu échanger sur ton travail à la boutique, et tu aimes toi même les éditions rares des différents bouquins que tu expose chez toi. Tu semble réfléchir quelques instants avant de poser le livre dans ses mains et décide d'aller attraper un post it sur le comptoir pour aller inscrire le nom du bouquin - bon, c'est juste des notes, évidemment c'est illisible, à part un "< 1992 ??" et relève finalement les yeux vers ton interlocuteur. Aucune idée du prix d'une édition rare par contre. Je peux prendre un numéro de téléphone, si je trouve ? Tu as l'air soudainement bien plus intéressé par l'échange entre vous. Tu marques un silence avant de pencher la tête sur le côté doucement, à moitié avachi sur le comptoir. À moins que vous faisiez référence à d'autres livres ? Ce n'était pas souvent que tu t'emballais si vite.
Le mec rentre et commencer à gueuler, on retrouve son corps entre deux rayons.
L'individu t'assaille de questions et tu restes quelques instants à le regarder en silence, observant le livre entre ses mains. Tu tapes le montant sur la caisse enregistreuse, 9 dollars et 25 cents. Ce n'est sûrement pas grand chose, et c'est pas avec ça que tu vas remplir les caisses du magasin, mais c'est déjà quelque chose, au moins une bricole pour justifier ton emploi, tu supposes. Tu n'es pas beaucoup payé, et même pas tous les mois. Tu laisse le propriétaire faire comme il l'entend, tu as déjà tout l'argent qu'il te faut, avec Maman et Papa.
Je ne sais pas, pour le prix. Ça dépend de l'édition, du vendeur, de l'année, de l'auteur. De la rareté, aussi, bien évidemment, mais tu ne pousses pas le vice au point de tout lui expliquer sur le marché des livres rares. Tu te demandes bien ce qu'il pourrait en faire, finalement, est-ce qu'il a quelque part où vivre, même ? Vous devriez pouvoir trouver quelques livres qui correspondront dans le rayon sciences, au fond à gauche. Tu lances, en lui désignant l'emplacement, malgré la sensation que le boug ne va pas vouloir te lâcher les baskets. Sa remarque sur la Démonologie te laisse simplement sceptique, tu le dévisages, pensant à une blague, le mec est cartésien, ou pas ? Puis tu décides de sciemment ignorer, supposant que tu as mal entendu ou mal compris. Finalement, tu t'apprêtes à répondre que, oui, tu l'as survolé pendant tes années lycée mais il te prend de court et ton regard s'assombrit.
Qu'est-ce que ça peut te foutre. C'est ce que tu souffles, entre tes lèvres pincées. D'habitude tu accepte ce genre de questions avec un peu plus de patience et de compréhension, mais lui, il t'agace plus que tu ne voudrais l'admettre.
Le mec rentre et commencer à gueuler, on retrouve son corps entre deux rayons.
Il alignes les mots et tu l'écoute sans l'écouter. Visiblement, oui, dix balles c'est beaucoup pour lui et même si t'es pas du genre à juger - si - sur le mode de vie, tu supposes que tu avais raison. Ouais, tu réfléchis un instant à lui payer le livre, juste pour qu'il se tire d'ici, mais voilà qu'il fouille dans ses poches et machinalement ta main trifouille en dessous du comptoir. Quand un couteau brille sur celui ci, ton index frôle le revolver. Tu reste silencieux. Il extirpe un billet de dix du tas de ... Trucs qu'il avait dans ses poches et ton index s'éloigne de l'arme. Un autre signe et cette fois tu lui braqueras dessus.
Ne me dis pas "bro". Ne me dis rien. Ne me perçois même pas. C'est ce qui s'échappe de tes lèvres pincées alors que tu te tends un peu, te fais un peu plus grand. A quoi bon, l'autre ahuri fait facile une quinzaine de centimètres de plus que toi. On me fait chier avec tout, mon apparence en fait partie. Tu penses autant aux gros lourds qui débarquent dans la boutique pour te traiter de tapette qu'à celles qui se pointent le rouge aux joues pour demander timidement ton numéro de téléphone. Tu les détestes tous. On t'a jamais jugé sur l'apparence, toi ? Mais pourquoi est-ce que tu t'obstine à lui répondre ? Tu encaisse le billet, et pose la monnaie sur la pile de trucs. Parce que toi, si tu lui rends pas, ça va te faire une erreur de caisse.
Le mec rentre et commencer à gueuler, on retrouve son corps entre deux rayons.
Malgré l'encaissement, il est toujours pas parti, le bougre. Tu sais pas si t'as envie qu'il parte ou pas. Il est ... Intéressant. Insupportable, mais intéressant. Mais tu n'es pas sûr d'avoir la patience. Il te dit qu'il n'est pas assez beau pour se faire bully, et ça te fait pas rougir. Tu comprends le sous entendu, et il glisse juste sur toi comme si c'était une vieille goutte sur une toile cirée neuve. Tu t'en tape de son avis, il compte pas son avis, et si c'est un moyen de te faire du charme, c'est pire. T'as envie de le faire partir, maintenant, et la suite n'arrange rien. Tu prends ça comme une menace, bien sûr, alors qu'il est simplement en train de s'assurer que si quelqu'un t'emmerde, tu pourras te défendre. Tu fronces les sourcils, les doigts frôlent le revolver. Non, non, il ne faut pas Numa.
Ce n'est pas raisonnable.
Oui, je sais. Tu penses à ce mec, dans la rue, tu penses au couteau enfoncé dans sa chair alors qu'Orion t'encourage tout bas d'une voix désincarnée. Et toi ? Le sourire est entièrement mauvais, cette fois.
Le mec rentre et commencer à gueuler et exceptionnellement ?
il repart ? vivant ?
Tu ne sais pas ce qu'il se passe dans la tête de ce type, en vrai. Il est. Super bizarre ? Mais dans un sens où t'as jamais croisé un gars aussi chelou que lui. Et, t'en tiens toi-même une couche, t'avais un frère et une soeur cheloue, t'es en études de lettres, bref y a du potentiel. Mais lui, il dépasse ça, il éclate les attentes en matière de bizarrerie en fait. Tu l'observes de longues secondes, alors qu'il t'observe comme un chiot et soupire. Cette fois il t'a fait rouler des yeux, parce que même s'il est étrange, il est sacrément chiant. Et tu t'apprête à lui dire de se casser de là et te foutre la paix, quand il souligne qu'il t'aime bien et tu sais pas pourquoi ça te prend autant au dépourvu, mais cette fois tu as clairement rougit. Oh, tu sais que le mec te drague pas, il est trop ... Bizarre, du coup, pour ça, mais il a l'air sincère et c'est la première fois depuis tellement longtemps qu'on te l'a pas dit, et en plus avec autant de spontanéité et de sincérité que tu restes juste sur le cul. Bien, et maintenant.
Ouais. Bah. Et c'est tout. Tu l'observes comme on observe un mioche qui vient de raconter une histoire improbable, puis tu soupires. T'as vraiment les capacités sociales d'une huitre c'est un truc de dingue. Bah ! Oui, mais encore Numa ? Tu sais où me trouver maintenant. Je suis souvent là, donc hésite pas. Hé bien on dirait que tu t'es fais un pote ? Tu lui as même dit de ne pas hésiter, vraiment tu es désespéré, ça se sent. Dans le doute, quand même, tu lui désignes la porte, l'air de lui dire de se barrer, quand même. C'était assez de bizarreries pour une seule journée, entre nous.