Quand tu as du repos, tu dois prendre les responsabilités de ta vie, et si gérer le côté pratique de cette dernière passe encore, quand ça touche à la famille et aux relations là, par contre, tu te sens immédiatement atrocement dépassé. Ton frère se mari, Aedan, une part de toi te forces à être heureux pour lui, l'autre est … réticent à l'idée de te mêler à tout ça. Tu ne sais toujours pas ce qui t'as pris de promettre, et tu te sens encore plus gêné en te disant que tes proches voient bien ton malaise, ou tes hésitations. Ta mère, par exemple, à cru bon de t'envoyer un message avec une liste de choses à faire en prévision du mariage, dessus, le premier point consiste à acheter des cadeaux de mariage. Tu ne sais déjà pas ce qui pourrait plaire à ton propre frère alors, à cette femme. Tu nages dans le flou.
Malgré tout, l'effort est là. Tu sors. Tu sillonnes les rues, à pied, tu observes les boutiques, une à une, et puis, tu t'arrêtes, presque brusquement. Face à toi, il y a cette librairie, un bouquin, ce n'est pas la première chose à laquelle tu aurais pensé, mais, pourquoi pas, après tout. Tu t'avances, tu entres, faisant tinter la clochette du magasin avant de faire quelques pas … et de t'arrêter face aux rayonnages tous clairement indiqués et renseignés. Cuisine. Romans. Jeunesse. Histoire … tu ne sais même pas vers quoi te diriger, et assurément, tu as l'air d'un idiot. Maintenant, tu te demandes ce que tu fous là. Pourquoi t'es entré ici, déjà ?
À la première heure, celle des secrets et des promesses.
Qu'il est bon de se plonger dans le travail, Numa ! Quand tu n'es pas en cours, ni chez toi, tu es ici. Ce qui, depuis longtemps, ton coin préféré pour étudier et avoir la paix est devenu une sorte de moulin dans lequel les gens se permettent de t'adresser la parole. C'est nouveau. Oh, il y avait déjà eut des gars lourdingues ou des nanas qui venaient demander ton numéro de téléphone ou ton instagram, le rouge aux joues, mais les gens qui t'adressaient la parole de cette façon étaient différents.
Non, cette fois c'était différent. Tu n'avais pas prévu ça, tu n'avais pas prévu de le voir entrer, celui qui m'avait vu rendre mes derniers souffles, qui avait vu Madison s'éteindre. Il était là, à quelques mètres du comptoir, sans doute aussi surpris que toi de te voir. Tu avais relevé les yeux de ta lecture et avait redressé tes lunettes pour le détailler quelques instants, avant de froncer les sourcils et d'afficher une mine tout ce qu'il y avait de plus normal venant de toi : mi-polie, mi-agacée. Bonjour, que puis-je faire pour vous ? Il était au bon endroit, tu en avais parfaitement conscience, mais il avait vraiment la dégaine de quelqu'un qui cherchait des fleurs et qui était tombé dans une librairie.
Évidemment, tu n'évoques rien de tout ce qui refait surface dans ton esprit, le concernant. Tu te dis que tu pourrais faire demi-tour, mais lorsqu'il ouvre la bouche pour te saluer, professionnel et sérieux, tu as comme l'impression que la porte derrière vient de se refermer, et que tu as raté le coche.
À la première heure, celle des secrets et des promesses.
De longues secondes de silence s'égrainent alors qu'il évoque un cadeau, et pire que ça, il évoque le mariage de son frère. Tu restes quelques instants là, la paume des mains posée à plat sur le comptoir, les bras un peu tendus, et le scrute. Aedan. Tu le sais, tu l'as lu sur son badge, la première fois. Tu te demandes ce que Leon aurait voulu, lui, pour son mariage, et la pensée t'arrache finalement un soupir. Un soupir faible et fragile, que tu ravales aussitôt. Tu n'as pas le droit d'y penser, et tu n'as pas le droit d'être faible.
Tu contournes avec soin le bureau avant de le détailler un long moment. Il n'est pas venu chercher un livre, selon toi. Un livre ? Tu approches assez pour être trop proche de ce que la décence n'approuve, et ton patron répète qu'il faut au moins un bras entre les clients et toi, tu n'y es pas, aujourd'hui. Ton regard plongé dans le sien ne semble pas vouloir s'en détacher, comme si tu scrutais tout l'intérieur de sa tête, tous ses secrets et ses pensées. Pourquoi ne pas pencher pour un coffret cadeau, c'est peut-être plus approprié. Ton bras se tend pour désigner sur ta droite l'étalage de boîtes cadeaux, week end romantique, rendez vous dégustation, évasions insolites et j'en passe. Il ne fait pas bon rester à Polaris, par les temps qui courent.
Tes yeux n'ont pas lâché les siens.
Et il approche. Se lève. Il vient avec toi. Il accroche ton regard et tu soutiens le sien, autant par fierté que parce que tu ne parviens pas à t'en détourner, du moins, pas avant qu'il n'ouvre à nouveau la bouche et là, seulement, tu te tournes vers ce dont il te parle. C'est encore plus ridicule que ce à quoi tu aurais pu penser tout seul, non ? Cela dit, tu avances, tu te mets à regarder chacun de ces fameux coffrets cadeaux. Pour certains, tu te fais la réflexion que ce n'est pas donné, pour ce que c'est, et puis, tu te souviens que tu es totalement incapable, toi, de prendre un week-end, ou même une soirée de calme, ou de détente.
Après un instant d'hésitation, tu bouges à nouveau, et tu viens saisir un coffret pour deux, une escapade et un séjour dans une petite ville touristique du pays. Idéale pour les jeunes mariés ou les couples. C'est ce qui est écrit sur la boîte. C'est loin d'ici … et si le libraire dit vrai, sans doute, toi, ce n'est pas le danger que représente Polaris auquel tu penses, seulement à l'idée de les éloigner, eux. Ton frère. Sa fiancée. Leur bonheur et leur réussite. Ils représentent tant de choses qui ne font que te donner la nausée.
À la première heure, celle des secrets et des promesses.
Vous voilà plus proches que tu ne le devrais, et lorsque finalement il s'éloigne pour aller chercher les boîtes, tu ne bouges pas, croise les bras sur ton torse alors que tu le détailles un long moment. Tu te tiens à demi volontairement entre lui et la porte de sortie, seule issue d'ailleurs. Évidemment, il te fait la remarque que tu sentais arriver, et après avoir plissé un peu les yeux et t'être renfrogné, tu finis par te détendre, l'ambiance dans la pièce n'en est que meilleure.
Je n'ai pas peur. Un sourire amusé se dessine sur ton visage, alors que ton regard foudroie son dos. Tu ne sais pas encore ce que tu penses d'Aedan, si tu aimerais le voir mort, ou non. Oh, tu connait la vérité, mais toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire, ni à entendre. Après quelques instants de silence, tu fais un bas dans sa direction, puis deux, et pose le plat de ta main dans son dos. Vous comptez vraiment aller à ce mariage ? Seul, j'imagine. Et voilà que tes mots ressemblent à une bien étrange invitation, ce qui ne semble ni t'inquiéter, ni te mettre mal à l'aise, tu observes le coffret entre ses mains puis rompt le contact finalement. Ce n'est pas si important.
Tu te tends, légèrement, à la simple pensée de cet évènement que tu ne cherches qu'à éviter, à fuir, et c'est à ce moment précis que tu sens cette main, dans ton dos, n'importe qui ce serait probablement retourné à la hâte, choqué, surpris, toi … tu restes parfaitement immobile, comme si la main qui était venue chercher à toi ce contact n'était pas celle d'un inconnu.
Et puis finalement, c'est … un ricanement, qui s'échappe de ta gorge, tandis que tu te redresses un peu, pour reprendre une certaine prestance, contenance.
À la première heure, celle des secrets et des promesses.
Il ne bouge pas, lorsque tu gardes ta main contre son dos, et finalement, l'échange est tellement étrange, tellement décalé, que tu finis par reculer un peu. Est-ce qu'il essaye de prendre le contrôle d'une situation déjà sans queue ni tête à la base ? Tu fronces les sourcils, le détaille un long moment, ne voulant pas opter pour une posture défensive, ou qui laisserait entendre que tu ne te sens pas, là, en position d'autorité.
Je ne suis pas de bonne compagnie. Et bon sang Numa, même si c'est vrai ce n'est pas forcément la chose à dire lorsqu'on veut dire non. Encore que, tu n'es pas tellement certain de vouloir dire non. Peut-être que la situation présente te rend curieux. Peut-être que tu te demande quel genre d'être humain il cherche absolument à éviter. Qu'est-ce que lie et délie les relations humaines. Peut-être aussi que, simplement, tu t'ennuie. Tu repose tes yeux sur la boîte avant de poser ta main sur une autre. Escapade romantique en Astéria, trois fois le prix du premier, mais il faut bien faire marcher les affaires. Pour sauver les apparences, ne passez pas pour un radin. Eh.
L'argent, pour toi, c'est futile. Tu en as toujours eu, tu n'en manques pas, et surtout, tu gagnes particulièrement bien ta vie. Tu n'as aucun mal à le jeter par les fenêtres, quand bien même flamber n'est pas dans tes habitudes. Aujourd'hui, cela dit, tu viens non seulement attraper le coffret doré, mais tu viens en plus en saisir un autre : Nuit Insolite, en Duo.
À la première heure, celle des secrets et des promesses.
Cette fois-ci, tu décides en ton âme et conscience de ne pas soulever la remarque. Tu ne sais pas où il veut en venir, et clairement ça ne te hantera pas ce soir. Tu as d'autres choses à faire et un client qui parle trop longtemps est un client qui te fait perdre ton temps. Encore est-il que tu commence à te demander ce qu'il veut vraiment, ce jeune homme. L'idée de l'avoir ici, dans la boutique, est un peu amusant, quand on y réfléchit. Avec toute cette histoire...
Non. Tu réponds finalement, en passant derrière le comptoir. Autant pour son idée des apparences - parce que sérieux qui offre une box à un jeune couple quand on est aussi proche d'eux en fait ? - que pour l'emballage cadeau. Je vais faire une exception. Tu te penches pour attraper un des rouleaux en libre service devant le comptoir - le plus moche, parce que sinon c'est pas drôle - et d'une main habile qui a sûrement déjà fait ça plus d'une fois et certainement pas en guise d'exception tu emballes avec soin le premier, celui de ton choix, avant de relever les yeux vers lui, et tapote le deuxième. Ton air est si neutre que tu ferais pâlir une statue grecque. C'est une proposition ou juste du mauvais goût ?
Toujours est-il que tu sembles avoir décidé de reprendre ta place de client lambda, du moins, pour le moment. Tu demandes un emballage, tu n'es même pas certain que ce cadeau ne finira pas au fin fond d'une armoire, chez toi. Peut-être que tu finiras par te pointer sans rien, peut-être que tu n'iras pas ou alors, peut-être auras-tu une meilleure idée, cela dit, tu mentirais si tu disais que tu crois à la dernière option. En clair ? Tu te fiches bien de tout ça. C'est à se demander ce que tu fiches ici, encore une fois.
Et tu observes, le papier - très laid - qui vient enfermer le coffret qui était certainement bien plus beau sans emballage finalement. Et c'est quand le tour du second paquet arrive qu'une forme … d'amusement revient pointer le bout de son nez.
À la première heure, celle des secrets et des promesses.
Visiblement ce n'était donc pas une proposition. Est-ce que tu viens de mimer une bouille déçue, l'espace d'un instant ? Peut-être. En tout cas, sa question fini par te faire soupirer alors que tu jettes un oeil à la caisse enregistreuse. 189 dollars et 98 cents. Tu n'affiches pas de sourire, tu as vu pire, certains partent avec une quantité affolante de bouquins. Tu relèves les yeux vers lui avant de soupirer doucement, à croire que tu n'aimes pas le gâchis. Si vous payer celui-ci, hors de question que je le reprenne, je ne suis pas un voleur. Tu souffles, avec un regard plus sombre. Bon, ce qui ressemblait un peu à une invitation à des vacances ne ressemble plus qu'à une légère menace. Super, tu es vraiment doué pour te faire des amis, Numa.
Sûr de ne pas vouloir d'emballage ? C'est soufflé, doucement, pour pousser subtilement à l'achat, sans doute. Tu te dis qu'il doit sûrement avoir besoin de vacances, même si tu n'es pas sûr que ce genre d'activité soit vraiment des vacances, et encore moins que le boug ait un duo avec lequel partager quelconque nuit insolite, mh ? Si vous n'avez personne, vous pourrez toujours louer de la compagnie. Tu soulignes, en passant tes doigts sur le coffret avant de lui lancer un large sourire un peu moqueur. Après tout, l'argent ne semble pas tellement être un problème pour le jeune homme.
Tu finis cependant par soupirer, pour le coup, potentiellement un peu irrité, ou agacé par cette remarque du libraire.
Et tu es là, en train d'attendre qu'il t'annonce le vrai montant. Les deux coffrets. Les frais d'emballage s'il le souhaite. Le prix du papier aussi, et certaines taxes qui pourraient s'appliquer pour une raison ou bien une autre. Et puis, il ouvre à nouveau la bouche, tu hausses un sourcil, plisse les yeux.
À la première heure, celle des secrets et des promesses.
Tu le détailles, un long moment, ton index appuyé contre le plastique de la paire de ciseaux, comme si à n'importe quel moment tu pouvais l'attraper et décider de faire un deuxième emballage, ou de lui crever les yeux. Tu n'as sans doute pas encore pleinement choisi. Finalement, c'est vers l'emballage que tu penches, alors que tu entame de découper une pièce de l'horrible papier cadeau, avant de te stopper finalement. Une proposition ? Les doigts toujours sur les ciseaux - comme pour témoigner que le bougre n'a pas froid aux yeux d'être aussi insultant à l'instant précis - tu relèves les yeux pour les planter dans les siens.
Ça dépend. Vous comptez y mettre combien ? Toujours sans quitter cette expression professionnelle, tu t'amuse à lui répondre, mais il n'y trouvera aucun sourire. Tu ne pourrais pas, de toutes façons, t'éloigner de Polaris, et cela même pour une nuit insolite, en compagnie de l'urgentiste. Et, je vous l'ai dis, je ne suis pas de bonne compagnie. Comme pour lui souligner d'arrêter de pousser dans la plaisanterie, parce que toi, tu es buté et ton orgueil n'a simplement pas de limite, finalement. Tu serais capable d'aller à un rancard avec la personne que tu détestes le plus au monde parce qu'on t'a dit que tu n'en étais pas capable. Tu peux bien commercialiser ta mauvaise compagnie.
Tu hausse les épaules, son regard est de nouveau venu chercher tes yeux et tu le soutiens, encore. Juste parce que tu refuses de perdre. Ce qui n'était, à la base qu'une visite banale dans une librairie semble s'être transformée en une espèce de joute étrange, et probablement dangereuse. Mais dangereuse pour qui, exactement ?
À la première heure, celle des secrets et des promesses.
Les deux mains posées à plat sur le comptoir, de part et d'autre des deux boîtes, et de la paire de ciseaux, tu reste à le dévisager un long moment. Est-ce qu'il cherche à te pousser dans tes retranchements ? À te faire avouer qu'habituellement tu n'es pas aussi insupportable ? Tu tu crèves d'envie de lui souffler qu'il n'a encore rien vu, mais tu n'en fais rien, tu ne passes que quelques secondes à le scruter, des envies interdites sur les lèvres et les mains, avant de bouger la main pour emballer la deuxième boîte, finalement. Une fois le travail terminé, tu poses la deuxième boîte sur la première, et tape quelque chose sur la caisse enregistreuse, le total, 186 dollars 98 cents. Tu relèves les yeux vers lui et lui désigne le terminal pour sa carte bancaire. Est-ce qu'il aurait gagné ? Oh, non.
Mille de plus pour la mauvaise compagnie. Tu lances, finalement, en reposant tes yeux dans les siens. Tu n'as jamais fais ça, et tu n'as pas besoin d'argent. Si tu travailles autant, c'est surtout sans vouloir te l'avouer pour aider le propriétaire, un petit monsieur d'une soixantaine d'année dont la mère est à l'hôpital pour la fin de ses vieux jours. Il n'a jamais eut d'enfants et te compte comme tel. Si tu travaille autant c'est sûrement pour rendre tes parents fiers, faute de pouvoir compter sur ton frère et ta sœur, tu décide d'endosser le rôle de trois, tout seul. Ça laisse peu de place pour les contacts sociaux, finalement.
La carte.
Le code.
Le paquet entre tes doigts, négligemment, sans la moindre précaution.
À la première heure, celle des secrets et des promesses.
Tu ne l'amuse plus. L'idée te semble plus douloureuse que tu ne le voudrais, parce qu'après tout ce n'est pas le premier que tu n'amuses plus. Tu l'observes payer, récupère le ticket, lui tend sans rien ajouter. Tu sais que la moindre remarque qui sortira de ta bouche à ce moment là sera bien trop acerbe pour ne pas traduire ton mécontentement, alors autant se contenter du silence et t'agacer dans ta tête. Tu préfères lui imposer ta façade de marbre, plus habituelle et beaucoup, beaucoup plus facile à gérer et à maintenir pour toi.
Tu penses ? C'est ce que tu souffles, finalement, en le détaillant. Tu abandonnes les figures de politesses et la distance, même si elle demeure physique, parce que non, tu ne vas pas aller lui ouvrir et lui tenir la porte. L'urgentiste est un grand garçon, il se débrouillera tout seul. Nous verrons ça, Aedan. Que tu conclues, finalement, alors qu'il s'éloigne vers la porte. Oui, tu lui soulignes que s'il a retenu ton nom, tu as retenu le sien, son prénom de surcroit.