Confus.

Mal de crâne, cliquetis d’horloge, aiguille qui perce les tempes. Et vas-y que sa grogne, que ça regarde le sol, l'œil flou, la respiration brisée. Tu ne comprends pas, tu ne saisis pas d'où viennent ces migraines. Elles sont si puissantes, si voraces, si délicieusement vicieuses. Tu as le pas lourd, depuis cet incident en ville, depuis que ton département bouillonne…

Tu as juste cette sensation de n’être ni d’ici, ni d’ailleurs.

Tu es là c’est tout. Tu existes. Et chaque pas que tu entreprends, chaque pied posé sur le bitume craquelé du CDC te fait reculer de trois.

Tu tournes en rond.

Tu avais dans l’espoir d’aller vérifier l’état de ton studio, celui que tu gardes précieusement comme une boîte de pandore. Mais quelque chose t’en empêche. Quelque chose sans visage ni voix, simplement une intuition terrible te demande de rebrousser chemin, d’aller voir ailleurs, de suivre le chemin invisible qui s’est tracé dans ton cœur. Tu n’en saisis pas encore la nature et ça te rend fou. Tu as l’impression d’être contrôlé. Tu as cette sensation déplaisante de manque et la cigarette que tu aspires en trois bouffées ne semble pas remédier à ce vide.

Après une heure à ne jamais franchir la porte des HLM, sentant que tu devrais plutôt te rendre à l’Octant, tu t’écrases sur un mur tagué, laissant le froid de la pierre te rassurer. Tu te rallumes une cigarette, la main tremblante… Le briquet offert par Karel, le froid du métal te permet d’y voir un tout petit peu plus clair. Tu souris tendrement, inspectant la gravure de tes initiales. Délicatement, avec douceur, tu passes ton pouce sur les lettres, encore et encore.

C'est un peu trop tard, en une fraction de secondes à peine, que tu te rend compte qu'une forme s'est posée juste devant toi.

 Madison, bonjour.

Forcément, c’est le premier nom qui vient, qui s’extirpe de tes lèvres en un souffle de surprise, mais cela sonne faux, si faux que tu ne peux retenir une grimace. Quelque chose ne va pas. C’est différent. Différent à bien des niveaux. Tu le sens au fond de toi; Elle n’est plus ou peut-être n’a t-elle jamais été cette jeune fille sur laquelle vous avez enquêter.

Tu es venue. Phrase tintée de regret. Tu aurais voulu être celui qui la retrouve, qui lui cours après et non l'inverse... Tu as ce gout amer en bouche et soupire en excuse muette.

Tu ne cherches plus à savoir pourquoi, tu l’acceptes, c’est tout, et sans en comprendre les tenants et les aboutissants, tu finis par lui sourire tendrement. Ainsi tu commences à ressentir ce que Karel avait ressenti avant toi, avec son étoile. On pourrait croire que sa présence apaise les maux de crâne, mais ils n’en deviennent que plus violents, que plus féroces. Cependant, la douleur est telle, si puissante, que quelque chose prend le dessus, une rage froide, calme, dormante.

Un privilège partagé avec ton Etoile.

Comment dois-je t'appeler ? Aussi, sur la défensive, la colère sous la peau mais revenu à l'affut, tu te décolles de ce mur et l'invites à te suivre, à tes cotés. Allons chez moi.

L'anémone.

La colère, sa colère, t’avais donné l’impression que cette fleur, n’avait rien d’un cadeau. Ô, tu l’avais remarqué, bien sûr, toute belle et fleurie, élégante à sa façon, mais tu n’as pas jugé bon de t’en saisir. À quoi bon.

Elle ta va mieux qu'à moi, garde la, Cursa.

Cursa.

S’y habituer ? Pas la peine. Gravé à même l’âme, son nom résonne en toi comme un second souffle, comme un second cœur. Sans en avoir pleinement conscience, elle est devenue une partie de toi et toi une partie d’elle. C'est naturel et bien que quelque part, quelque chose en toi rugis d'indépendance, Cursa sait y trouver sa place. Le terme lié ne peut être plus adapté, si puissant qu'en sa présence, tu en oublies l'existence même de Madison.

Ne le sois pas. Tu n'avais pas le choix, je comprends.

Tu as envie de dire que tout fais sens, mais les choses sont compliqués. Pour l'heure ce n'est pas tant des explications dont tu as besoin, mais cette terrible sensation de vengeance qui te ronge depuis ce soir là. C'est peut-être ça, qui t'a retenu de la retrouver directement... Peur peut-être de ne pas savoir gérer, peur de ne pas être en mesure de contenir les émotions qui t'habitent. Ça n'avait pourtant rien de personnel, mais c'était devenu tout comme... te rappelant bien trop de mauvais souvenirs, soulevant des sentiments du passé que tu pensais avoir enterré.

De pas à pas, alors que tu la guides dans l'immeuble en piteux état des CDC, vous finissez par arriver devant une vieille porte en métal. Tu l'invites à rentrer en lui ouvrant la porte et une fois à l'intérieur, tu soupires doucement.

Et s’il te plaît, tu peux me tutoyer. Oublie le Lieutenant de Police, tu parles à l’homme, au lié. J’aimerais que tu aies pleinement confiance en moi, comme j’ai … sans pouvoir l’expliquer, confiance en toi. Nous voulons la même chose, laisse moi t’aider Cursa.

Il faudrait que tu sois plus doux.

Tu l'es, parfois.
Un peu à ta manière.

Un peu hérisson, un peu épineux, il faut savoir se piquer pour te toucher, te mettre en émoi. C'est quelque chose à laquelle tu fais toujours attention et rare sont les personnes capables de te soulever de l'intérêt, du vrai, du personnel qui vient du cœur. Tu pensais être proscrit de toute affection, ayant mis tout un tas de sentiments au placard. Mais là. C'est diffèrent. Ce n'est pas comme ce lien avec Karel, qui a été forgé à la douleur et au sang, aux échanges partagés, aux rires et aux pleures. Non, là tout est arrivé d'un coup. Et si tu prétends pouvoir le gérer sans problème, animé par cette envie de l'aider elle, autre chose au fond de toi te supplie de garder tes distances. Mais la colère est si forte et si proche de ce que tu connais déjà, que tu as l'impression d'être prisonnier.

Cercle vicieux.

Cursa reste là, dans cet angle de porte. Tu lui tends alors l'une de tes mains. Tu ne t'attends pas à ce qu'elle la prenne, ce n'est pas le but rechercher, juste un geste que tu espères rassurant, une aide dévoilée, un support sur lequel elle saura prendre appui.

Je veux que tu vives moi aussi. Que tu vives longtemps, que tu te sentes bien et en sécurité.

Tu lui fais signe de la tête et souris tendrement à son égard. Une manière de dire, "viens, n'es pas peur" alors que tu t'enfonces un peu plus dans cet appartement minuscule.

Elle veut aider dans l'affaire de Madison. Affaire dont tu as récupéré le dossier et dont tout le monde - à l'exception de Karel - avait comme passé à la trappe. Le dossier ? Tu en as une copie sur ton bureau, "rangé" dans une pile de paperasse qui déborde. Il ne s'agit que de meurtres. Des meurtres en pagailles, des corps sous forme de feuilles de papiers, qui dégouline de mystères.

As-tu déjà parlé a Madison? Avant qu'elle ne... te laisse sa place ?

Et sans qu'elle ne l'est demandée, tu lui offres un verre d'eau fraiche et une chaise où s'asseoir si elle le désire.

Je vois.

Tragique. Ça l'était, aux yeux de tous. Sa famille meurtrie, parents et frère en larmes, dans l'incompréhension la plus totale... Frustrant devient le monde quand confusion et tristesse se mêlent. Et vous, chargés de l'affaire ? Pas foutu de la faire progresser, pas foutue de trouver le moindre indice, le moindre motif. Tu serres les poings, bouscule des piles de dossiers sur ton bureau pour refaire surgir celui de Madison Celestial.

21 ans.
28 coups de couteau.

Personne n'a rien vu, rien entendu. Pas une camera et un acharnement qui a dû lui paraître sans fin. Tu te retournes vers la jeune femme, vers l'Etoile, resplendissante malgré tout...

Veillais sur un... professeur ?
Ça t'intrigue. Finalement, tu as accepté si facilement le fait qu'elle soit une Etoile incarnée que tu en es venu à oublier les bases fondamentales de ton métier...Enquêter, pour mieux comprendre. Et c'est ce que tu veux, quelque part, mieux comprendre Cursa, mieux saisir ses envies pour mieux lui venir en aide.

Tu veillais sur quelqu'un de là-haut ? Tu prend appuie sur ton bureau, ta silhouette encerclée par un tableau de liège où trônent photos, plans, noms et files de laine de couleurs. Cela aurait dû être lui, ton hôte ? Plutôt que Madison ? Ce ne sont que des hypothèses, des idées jetée comme ça. Tu viens frotter le patch qui couvre ton œil meurtri, plus par réflex que par réelle douleur et soupire doucement, ajustant un sourire tout ce qu'il y a de plus doux. Je pose peut-être trop de questions. Excuse moi.

Mais la situation est si floue et déjà de nouvelles questions cognent.