burnt !
On va dire que, quelqu'un, quelque part, était sûrement en train de se dire que ta journée était trop calme, monotone, quelque chose comme ça. Pourtant, une journée aux urgences, ce n'est jamais particulièrement calme, bien sûr, il y a les grands classiques, le gamin qui se blesse au cours de sport, la gamine qui chute en sautant sur son lit, et puis, la tripotée d'accidents domestiques … les trucs que, toi, typiquement, t'arrives pas à comprendre. Ouais, c'est vrai, t'es probablement pas très sympa de penser comme ça, mais quand tu vois un gosse de quatre ans qui débarque avec les doigts brûlés parce qu'il a mis les mains sur les plaques de cuisson, quand on t'amènes un enfant qui a manqué de se noyer seul dans son bain, et bah tu te poses toujours la même question : c'est quoi, exactement, ces parents en dessous de tout ? Tu ne te rends même pas compte que c'est facile, de loin, que c'est si simple, quand on a pas la responsabilité complète et totale d'un petit être humain. Tu ferais un très mauvais père, non ? Ou alors un très bon. Ça dépend.
Quoi qu'il en soit, ça ne te dérange pas, de passer pour un gros connard, toi. Tu dis parfois ce que tu penses, oui, et ça énerve, ça agace, parfois, on réclame que tu sois remplacé et bien sûr, c'est toujours refusé, parce que comme partout, vous manquez de personnel, parce qu'il y a toujours bien trop de monde ici. Aujourd'hui, par exemple, t'es le seul médecin de service au beau milieu des infirmières … alors, quand ce type, ce gamin, cet ado, débarque en hurlant dans le hall, quelques flammes encore accrochées à sa peau, ses vêtements, c'est toi qu'on appel. Un « DOCTEUR STELLAA !! » résonne dans le couloir, t'arrachant un soupir. Tu laisses aux soins de l'infirmière, près de toi, le soin de terminer l'attelle que tu étais en train de poser et te voilà à courir jusqu'à l'entrée pour y découvrir ce gars, qui hurle, forcément.
burnt !
Tu le sais, que ce que tu demandes, c'est clairement plus facile à dire qu'à faire, et pourtant, Aedan, tu ne peux décemment pas faire ton boulot s'il continue de s'agiter comme il le fait actuellement. La solution, c'est de le calmer, toi, avec tes moyens, en lui injectant quelque chose de faible, pour commencer. Tu n'as rien, pour le moment, le concernant, les allergies à ce produit sont relativement rares, tu prends un risque, mais un risque que tu estimes pour le mieux … Tu es bien trop confiant.
Tu l'écoutes, hein, mais assurément, tu zappes toutes les conneries qu'il débite. Les flammes sont éteintes, les infirmières sont autour de toi, prêtes à agir si tu réclames un peu d'aide et l'une d'elle en profite pour venir te glisser quelques mots. Tu soupires. Pour ce que tu viens d'apprendre, tu devrais peut-être le laisser douiller encore quelques minutes … c'est ce que tu ferais sûrement, d'ailleurs, si tu n'étais pas médecin, et si ce n'était pas juste ton devoir, de le soulager et de l'aider.
C'est quand tu annonces que tu vas devoir le calmer avec une injection qu'il change encore d'attitude, il s'échappe de ta prise, recul, t'annonces qu'il refuse que tu lui injectes le moindre produit et pour cause … il est sujet à de nombreuses allergies. Tu soupires, Aedan. Ce genre de cas, c'est toujours un vrai casse-tête, normalement, c'est simple, on sédate, on endort, on fait en sorte de pouvoir travailler dans le calme, sans avoir à se soucier de la douleur du patient. C'est mieux pour tous, mais là.
C'est une fois un peu plus au calme, que tu prends le temps d'examiner ses bras. Là, c'est bien brûlé.
burnt !
T'as une sainte horreur des gens qui t'emmerdent un peu trop dans ton boulot … c'est étrange, de la patience, tu en as tu sais. Tu en as même énormément. D'ailleurs, tu ne t'énerves pratiquement jamais, tu es toujours atrocement calme et c'est bien ça, chez toi, qui est le plus effrayant. Tu t'agites, certes, tu réagis vite, tu fonctionnes comme un médecin qui bosse aux urgences, cependant, il en faut quand même une sacrée dose pour que tu pètes les plombs comme dirait l'autre. C'est pour ça, aussi, que face à ce gamin, et face à ce que tu sais du pourquoi du comment tout ça est arrivé … tu restes neutre, presque impassible, te contentant de faire ton boulot, parce que, c'est tout ce que tu sais faire.
Tu lances un regard, à une infirmière qui passe, celle-ci par exemple à l'habitude de travailler avec toi, alors, elle comprend immédiatement. Elle attrape une fiche de renseignement, et puis, elle déboule discrètement derrière toi pour tendre l'oreille au moment même où tu commences les questions. Le nom, le prénom, les antécédents, elle note tout jusqu'à ce que tu lui fasses à nouveau un signe, discret, et elle s'éloigne à nouveau.
C'est une opération délicate, tu es obligée de remonter un peu plus haut sur la veine, pour la voir, et sortir du cadre des brûlures. Tu prends plusieurs tubes de sang, et tu ranges le tout dans une boîte que tu prends soin d'étiqueter et puis, tu la redonnes à l'infirmière.
burnt !
Tu es là, occupé, concentré sur les brûlures que tu nettoies, que tu désinfectes, parfois, tu viens retirer quelque chose avec une pince et tu es réellement complètement penché sur ses bras tandis qu'il continue de s'adresser à toi. Heureusement, Aedan, avec les années, tu as appris à écouter d'une oreille tandis que tout le reste de toi est focalisé sur les soins que tu portes, aujourd'hui, de toute façon, c'est juste un soin de routine, même si les blessures sont impressionnantes, aux urgences, il est certain que tu vois pire tous les jours.
Et puis tu dévies, sur les raisons qui l'ont poussés à faire ce truc aussi stupide devant les urgences … tu ravales la colère que ça provoque, tu te contentes de questionner, platement. Par contre, tu vois, quand la réponse tombe, tu ne peux pas t'empêcher de relever un peu la tête pour l'observer, et surtout, lui lancer ce regard aussi dépité que surpris, finalement. Toi qui t'attendais à entendre les paroles d'un adolescent en pleine rébellion, voir d'un jeune type qui veut faire entendre la voix de sa cause … tu n'as finalement face à toi qu'un gamin stupide qui joue avec le feu en manquant de prudence.
Tout en continuant avec les brûlures - tu es pratiquement sur la fin des soins - tu continues d'écouter, et tu réfléchis, aussi, à ce que tu vas en faire une fois que tu en auras fini avec lui. Tu te dis qu'il est tout de même un peu dangereux, pour lui pour commencer, mais pour les autres aussi. Ce serait irresponsable de le remettre comme ça dans la nature.