des gestes incompréhensibles invitaient Dallas à l'intérieur du Lucky Cat à chaque fois qu'il passait devant,
mais il n'avait jamais succombé.

il ne venait jamais aux CDC pour le plaisir, loin de là. et il en repartait souvent accompagné de menaces, d'insultes et de cris qui résonnaient entre les immeubles délabrés. ou parfois juste avec le moral dans les chaussettes, le porte-monnaie vide, et les poches encore pleines de ses cartes de visites qui n'ont pas su trouver de cibles intéressées.

des gestes incompréhensibles invitaient Dallas à l'intérieur du Lucky Cat, comme à chaque fois qu'il passait devant,
et il n'avait jamais succombé... jusqu'à aujourd'hui.

AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA♡

la journée ne s'était pas bien déroulée ; que des portes fermées qui ne s'ouvrent pas, ou alors qui s'entrouvrent pour être violemment claquées dès que l'on voit son apparence de... ben, de vendeur, oui, ça se voit qu'il vient proposer quelque chose, avec son sourire de faux-cul et ses vêtements propres et élégants, mais assez simples pour ne pas se faire voler son portable.

c'est peut être pour ça, qu'il cède. ou juste par curiosité. la curiosité mène à tout, et aujourd'hui elle menait Dallas dans ce magasin qu'il s'était toujours efforcé d'éviter, simplement par instinct.
et c'est peut être son instinct aussi qui le met en garde et lui tord le ventre en entrant... ou peut être juste le carillon inattendu et beaucoup trop bruyant, qui manque de le faire sursauter comme un enfant pris en flagrant délit.

putain de merde, ça commence bien, en plus elle me veut quoi, cette gamine ? jamais un commerçant ne voudra m'acheter quoi que ce soit.

... bonjour ? c'est tout ce qu'il trouve à dire en entrant enfin dans la boutique, pas tout à fait à sa place au milieu des babioles tout juste bonnes à arnaquer un touriste (pourtant c'est un bon résumé de sa vie, une babiole tout juste bonne à arnaquer, mais il ne remarque pas l'ironie de la situation). l'entassement d'objets est pourtant intéressant, mais s'il vient, c'est uniquement pour cette gamine à peine plus petite que lui qui semble l'accueillir.

quelques pas pour essayer de sortir de son crâne le tintement du carillon.
quelques pas vers cette fille.

c'est à quel sujet ? pitoyable tentative de rester maître de la situation.

quel magasin nul, là.

les mots traînent et se font attendre, sérieusement, c'est quoi cette façon de parler ?
mais quand enfin Dallas comprend la question, on peut dire que ça valait plutôt le coup d'attendre.

QU- Dallas se mord la langue dans l'indignation, les sourcils froncés, presque plus en colère que surpris. non mais c'est quoi, cette putain de question ? c'est quoi, cette accusation ? elle se prend pour qui, cette sale mioche qui a sûrement du temps à perdre, dans son magasin pourri où personne ne doit jamais foutre les pieds, putain, et pourquoi elle ose faire un sourire aussi dégoutant ?

elle a pas le droit,
pas le droit de dire ça.

je vous demande pardon ? il a fallu de longues secondes, mais Dallas réussit à reprendre en partie ses esprits, assez pour afficher de nouveau un sourire bien moins convaincant que celui qu'il avait offert en entrant dans la boutique.

de quoi elle parle, en vrai ?
bien sûr que le vendeur hypocrite est au courant du décès de quelques uns de ses anciens clients. il s'en était vite rendu compte, plus aucune réponse à ses messages, ses mails, ses coups de fil... et lorsqu'il venait s'expliquer en personne et peut être extorquer un peu plus, eh bien, il n'y avait plus personne qui aurait pu lui donner de l'argent, comme si les morts emportaient leur argent dans leur tombe.
mais tout ça, qu'est-ce qu'il a bien à voir avec tout ça ? c'était des clients. pas toujours des personnes qu'il appréciait, d'accord, peut être même qu'il y avait un ancien camarade de fac exécrable, mais le loyer, c'est toujours le 5 du mois, alors pourquoi il irait se couper l'herbe sous le pied et réduire lui même ses revenus déjà maigres ?

non, non, non, c'est absurde tout ça. et elle n'en sait rien, comment elle pourrait le savoir, à vrai dire, pauvre âme en peine sûrement condamnée à hanter le quartier des CDC, peut être qu'elle cherchait juste une occupation en l'embêtant, peut être qu'elle vend des produits similaires fabriqués par une autre marque et qu'elle veut le dégager de sa chasse gardée et garder l'exclusivité dans le quartier ?
mais tout de même.

tout de même.
c'est...

t r o u b l a n t.

je ne vois pas de quoi vous parlez, il a été prouvé par de nombreux scientifiques que les remèdes produits par Goodlife(c) peuvent régler de nombreux problèmes de santé, ils ne sont en aucun cas toxiques ou mortels. ré-enfiler sa tenue et son attitude du parfait petit vendeur à domicile, c'est bien, ça aide à rendre le sourire un peu plus naturel, même si son visage reste déformé par le culot des accusations insensées.

sale petite peste fouineuse.

Dallas n'est pas sûr de comprendre, et il ne veut pas vraiment comprendre.

peut être pas peur de tomber sur quelque chose au fond de lui qu'il ignore, quelque chose qu'il ferait mieux de ne pas trop troubler, quelque chose qui se venge quand il est trop en colère, quand il ne reçoit pas l'amour qu'il mérite. il ne veut pas croiser cette ombre au fond de son cœur, et est bien plus heureux en continuant de l'ignorer.

mais elle sait, cette peste, elle sait tout,
et elle ose prononcer ce nom HORRIBLE,
ce nom que seul LUI connaissait,

ce nom BANNI des bouches et des pensées,
après tout, même sa famille a fini par abandonner et accepter de l'appeler par son nom d'emprunt pour ne pas trop froisser. peut être pour ne pas provoquer l'ombre qui piétine son cœur meurtri.

que... ? et elle continue de sourire, comme si elle avait le droit. le droit de l'accuser, le droit de le traiter de menteur, de tueur ; le droit de prononcer son vrai nom. même lui ne s'octroie pas ce droit, à vrai dire, alors comment ose-t-elle !

et c'est trop, beaucoup trop, Dallas décrète que c'est l'insulte de trop, ce prénom caché et détesté, alors il fronce un peu plus les sourcils et cherche à se défendre pour la dernière fois. je ne vois pas de qui vous parlez, alors vous feriez mieux de fermer votre sale petite gueule de menteuse, jeune fille.

il sort une carte de visite Goodlife (c) avec son nom, DALLAS Decœur, et son numéro professionnel, la pose sur le comptoir comme un dernier acte de provocation, et part,
vexé.