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Oh pitié non ♢ NUMA
Octant - avenue commerçante ♢ 15:42
Jane Austen.
Qui lit Jane Austen, en l’an de grâce 2021.
Pensée sincère d’un homme fatigué.
Pour un cadeau. Tu parles.
Une liste avait circulé, pour un collègue, un départ à la retraite, des cadeaux à la place d’un peu de thune, et Nadir avait jeté son dévolu sur un bouquin.
Jane Austen.
Il parcourt consciencieusement les rayons, las.
Qu’est-ce qu’il foutait là.
Pourquoi est-ce qu’il n’avait pas pu faire circuler une corbeille, comme tout le monde ?
Depuis les événements récents, Nadir ne dormait plus. Un rien l’inquiétait. La simple pensée de cette lumière suffisait à le rendre malade.
Il n’était pas nerveux, de base. Mais là, depuis les événements de début octobre, il était à fleur de peau.
Il n’aimait pas l’ambiance de Polaris. Quelque chose avait changé.
Il attrapa un livre sur l’étagère.
Les Nouvelles Complètes, parfait, ça ferait l’affaire.
Il se dirigea vers la caisse, le regard fixé sur la couverture du roman.
Il le posa sur le comptoir, sortant son portefeuille de sa poche.
- Est-ce que je peux vous demander un emballage cadeau ?
Nadir sentait ses cernes le tirer.
Il n’attendait qu’une chose, rentrer, et ne plus bouger jusqu’au soir.
Fermer la porte de chez lui, et se couper du monde.
Il ne voulait pas savoir ce qu’il se passait à Polaris.
Re: Oh pitié non ♢ NUMA
L'entrée était pavée d'or et d'argent, de larmes et de sang.
C'est une journée somme toute normale, à la boutique. Les clients ne se pressent pas, tu en compte une dizaine depuis l'ouverture, et deux d'entre eux sont simplement venus pour des réservations. Alors, la journée est plutôt longue, mais ça te permet de rattraper sur les lectures que tu as en retard, et de clarifier un peu le livre de comptes du propriétaire. Il n'est effectivement pas rare que tu endosses aussi le rôle de comptable, et ça ne t'a jamais tellement dérangé. Tu es là depuis tellement longtemps. Tu sais que bientôt, quand les examens se rapprocheront, il faudra que tu rappelle au patron de poster quelques annonces pour engager temporairement quelqu'un, parce que tu ne pourras pas être tout le temps là.
La remarque du client te tire de ta lecture alors que tu le détailles un instant, puis le livre. Austen, vraiment ? C'est pour un cadeau, tu supposes que c'est tolérable. Tu hoches la tête doucement, attrapant le rouleau que tu as laissé trainer de ton côté pour le dérouler un peu avant de grimacer. C'est vrai que tu avais sciemment choisi le pire papier cadeau, pour Aedan. Ah, c'est vrai qu'il est sacrément moche. Vous pouvez toujours en choisir un autre, ça ne me dérange pas. Tu désigne le pot de rouleaux de papier, devant le comptoir, avant de lui sourire vaguement, un peu encourageant, un peu désolé mais surtout blasé au possible.
Quand quelqu'un entre dans la boutique.
Suivi d'un autre.
Tu as un pressentiment, vite vérifié lorsque le deuxième ferme le loquet de la porte vitrée.
Une arme chacun, une braquée sur toi, l'autre sur le pauvre client qui n'a rien demandé. Tu fronces les sourcils, doucement, crispe un peu les poings. Où va le monde, sérieusement. Qui est assez con pour se réveiller le matin et se dire qu'il va aller braquer la boutique qui possède sûrement le moins de monnaie de toute la rue commerçante, au milieu de l'après midi ? D'un autre côté, un regard vers l'extérieur te laisser penser que... En fait, c'est presque logique, implacablement logique. Les flics sont occupés partout ailleurs avec les meurtres du moment, il pleut à verse et personne ne traine dans les rues. On te souffle de sortir la caisse, tu soupires faiblement, comme si tu avais l'habitude, mais il n'en est rien. Quand tes doigts passent vers la caisse, ils passent aussi vers l'arme qui se trouve là, alors qu'un frisson parcourt ton échine. Tu n'as jamais eu à t'en servir, mais le propriétaire a été clair sur ce sujet. Tu sais que l'assurance ne paiera rien, ou presque, et qu'il y a les fonds de la semaine dans la caisse. Putain. Qui braque une librairie, sérieusement. La banque est en face, si vous voulez. Tu n'es pas certain qu'ils tirent comme ça, ni même que les armes soient chargées, et hors de question d'entamer les hostilités s'il n'y a pas de raison de s'inquiéter.
Ton aplomb devrait toi-même t'étonner, mais le souvenir de la sensation du sang chaud sur tes doigts et ton visage est encore frais dans ta mémoire. Le souvenir de tes doigts crispés autour du manche du couteau, la voix douce qui t'encourage. Un nouveau frisson coule le long de ton échine. Ce n'est clairement pas une bonne journée.
Re: Oh pitié non ♢ NUMA
Nadir jeta un regard au fameux papier cadeau. Il était effectivement fort laid, mais ce n'était pas pour quelqu'un de très important, alors, très sincèrement… il n'en avait pas grand chose à foutre.
Il rassura le libraire, lui assurant que ça conviendrait parfaitement, il n'était pas très regardant, qu'il ne se dérange pas pour lui.
Et deux gars entrèrent, et fermèrent la porte à clé.
Ah.
Ah bon.
Nadir, portefeuille en main, regarda l'arme. braquée sur son visage en clignant lentement des yeux.
Allons bon.
Il souffla par le nez d'un air légèrement agacé (parce que c'était le cas).
N'avait-il pas assez dormi pour se rendre compte du danger ? Était-il il simplement trop peu impressionable, ou bien trop inconscient ?
En tous les cas, Nadir ne broncha pas,se contentant d'un regard las.
Putain.
Il aurait dû rester chez lui. Il le savait. Il l'avait compris dès qu'il avait mis un pied dehors, qu'il avait vu l'averse, un truc dans l'air, il le savait.
- Je suis plutôt d'accord avec monsieur, ajouta-t-il à la suite de Numa.
Qui braque une librairie ?
Surtout, comme par hasard, quand il était en train d'y faire son shopping ? Quand il y mettait les pieds pour la première fois depuis une éternité ?
Nadir avait une liseuse, et ça suffit à justifier totalement cet investissement.
Au moins, il ne risquait pas de se faire braquer via sa tablette.
Le gars qui le tenait en joue se tendit, et Nadir se figea par précaution. Hm. Lui semblait nerveux, et ça n'était pas bon signe du tout.
Il jeta un regard en coin à Numa, qui ne. lui prêtait pas du tout attention.
Lui aussi avait l'air tendu, mais différemment.
Nadir laissa échapper un grognement.
Il ne sortirait pas d'ici avant un long moment.
Tout ça à cause de Jane Austen.
Putain de Jane Austen.
La caisse, pressa nerveusement le premier entré.
Re: Oh pitié non ♢ NUMA
L'entrée était pavée d'or et d'argent, de larmes et de sang.
(29) Attelés à agiter leurs armes pour se donner l'air de grands bandits, tu as l'occasion de les détailler un peu plus. Lunettes de soleil, masques noirs de tissus, casquette, rien de très surprenant de façon générale en pleine capitale. Mais tu penses deviner qu'ils ont la vingtaine, ou presque, sûrement pas plus. Des gamins des CDC, sûrement. Joggings fatigués et chaussures tâchées d'usure ne laissent que peu de doutes sur la question. Probablement qu'ils n'ont pas les couilles de braquer une banque, et que quelqu'un est déjà passé dans toutes les supérettes des CDC.
Tu n'as pas l'âme d'un héros, et même si ça t'emmerde qu'on prive le pauvre petit propriétaire de son pécule, bah t'as pas non plus envie de te manger une balle. Alors, oui, deux gamins aux armes sûrement déchargées te font pas peur, mais tu ne comptes pas non plus être absolument stupide. Tu te dis qu'au pire, si tu dois passer à l'hôpital pour une blessure quelconque, tu connais un urgentiste. Et que si tu dois t'arranger avec la fac pour une absence assez longue, tu pourras toujours passer voir M. Baldwin.
Tu soupires à nouveau, las de cette ville qui ne t'attire définitivement que des ennuis, et tire la caisse enregistreuse de son emplacement. Il doit y avoir à tout casser trois cent balles de la semaine, et vraiment en comptant les pièces. Ça fait un peu pitié.
Vous ne devriez pas être à l'école à cette heure, plutôt ? Tu souffles doucement, fusillant du regard le plus petit, celui entré en premier. Le deuxième se fait plus discret, au point que tu te demandes finalement si tout cela était bien prévu ou non. Sûrement que non. Tu ne les as jamais vu roder ici, et ils ne peuvent pas non plus se douter que de l'argent, il y en a dans l'arrière boutique. Des enveloppes pas encore déposées à la banque par manque de temps.
Bien sûr, sans surprise tu te manges une insulte, mais au moins il agite son arme assez pour que le client se rapproche du comptoir, et que, dans son dos, tu glisses l'arme qui était à côté de la caisse. Il a l'air très calme, sans doute que s'il faut en venir aux mains, il saura mieux viser que toi. Les deux individus observe le peu d'argent dans la caisse, et évidemment, ils s'agacent, visiblement déterminés à vous dépouiller aussi tous les deux.
Re: Oh pitié non ♢ NUMA
(94) Nadir, peu rassuré par les mouvements d'arme nerveux du plus petit, se rapprocha du vendeur et du comptoir, comme il lui sembla plus judicieux de faire. Il ne quitta pas les braqueurs des yeux, un pli contrarié entre les sourcils.
Contrarié et, avouons-le, plutôt inquiet. Il sentait la tension monter ; l'air était presque épais dans la petite boutique.
Il sentit un mouvement dans son dos.
Il suffit de trois fois rien.
Un mouvement un peu trop visible, un coup d'œil jeté dans son dos, un regard interrogatif.
Il suffit que Nadir se demande ce que le libraire essaie de lui passer.
Il suffit qu'il esquisse un geste, un geste un peu trop louche, un geste trop peu évident, il suffit qu'il essaie de glisser une main dans son dos pour deviner la forme et l'usage de ce qu'il lui tendait.
Il suffisait de si peu pour que le petit le voie, il suffisait si peu pour que le petit prenne peur, il suffisait si peu pour que le petit n'appuie sur la détente.
Une fois.
Deux fois.
Trois fois.
La première balle faucha Nadir dans le genou.
La deuxième le cueillit dans le ventre.
La troisième le rata, alors qu'il tombait en arrière, les jambes coupées de douleur.
Il laissa échapper un hurlement, un cri qui s'étrangla dans sa gorge, un halètement incontrôlable.
Il avait la main crispée sur son ventre, et ne pouvait détacher son regard du sang qui coulait entre ses doigts.
Il n'avait jamais connu pareille douleur.
Il pensait que c'était impossible d'avoir aussi mal.
Le monde était flou, brouillé par la douleur. Il ne sentait qu'une pulsation terrible entre ses doigts, comme si son cœur avait pris place près de son estomac.
Ça, et le poids dans sa main droite.
Hagard, il se rendit compte qu'il avait un pistolet entre les doigts.
Un pistolet.
Un flingue.
Il avait un flingue en main.
Il avait un flingue dans la main droite.
Un flingue dans sa main pas dominante.
Un flingue.
Un flingue.
Une balle contre une balle.
Comment est-ce qu'on utilisait un flingue.
Il n'avait jamais tenu d'arme.
Lève les yeux.
comme dans les films
tire la gâchette
pointe
tire
tremblements
pourquoi tu trembles
pourquoi t'as chaud
pourquoi t'as peur
tire
comme dans les films
et pourquoi t'y arrives pas
tire
tire
TIRE
TIRE PUTAIN
La balle siffle, elle se fige dans un meuble, impossible pour lui de viser juste, impossible de réfléchir.
Mais ça suffit à l'autre pour sursauter, et tirer à nouveau, en direction du libraire.
L'arme tomba de la main de Nadir, près de lui. Pas la force, bien trop choqué par sa propre action, bien trop tétanisé par tout ce qu'il se passait.
Et le sang coulait coulait coulait entre ses doigts.
putain de Jane Austen
mdr. juste. mdr
est-ce très cohérent qu'il ait tiré ? sans doute pas, maisavec un score pareil je n'avais pas le choix
Re: Oh pitié non ♢ NUMA
L'entrée était pavée d'or et d'argent, de larmes et de sang.
(3) Pourquoi ? Comment ces deux gamins pouvaient-ils être vraiment armés ? Pourquoi ? Pourquoi ici, pourquoi maintenant ? Tu aurais mille fois préféré n'avoir personne dans la boutique. Est-ce que c'était ça, la jeunesse polarisienne ? Des ahuris et des criminels ? Tu n'as pas le temps de réagir à la première balle.
Ni la deuxième.
La troisième s'encastre dans le comptoir dans un bruit sourd.
Tes oreilles sifflent un peu, c'est l'instinct qui prend le dessus. D'abord paralysé par la peur, forcément, on vous tire dessus et ton quasi seul client de la journée est en train de se vider de son sang dans la boutique dont tu es responsable, pour trois cent balles, tu réagis, pourtant.
Le quatrième tir part dans l'autre sens, l'arme de la boutique a servi, mais mal. La balle part quelque part entre l'une des étagères et le plafond, mais assez pour faire réagir le deuxième agresseur qui appuie, et cette fois, c'est pour toi. Cinquième coup, droit dans ta clavicule.
D'abord la douleur, tu n'as jamais rien ressenti de tel. Tu ne t'es jamais senti aussi vivant, aussi réel. Surtout pas après ces mois-ci.
Et le déclic.
De quel droit.
Tu contournes le comptoir rapidement, assez rapidement pour les surprendre, attrape l'étagère toute proche et la fait basculer de toutes tes forces. Assez pour faire diversion.
Assez pour ramasser le flingue par terre.
Assez pour le pointer sur le premier.
Assez pour tirer, là, dans la tête, un tir propre.
Le deuxième panique, tire, le tir ricoche, tape contre la vitrine.
Bruit de verre, tu ne sursaute pas.
Tu vises, tu tire, encore.
Et puis le silence.
Un silence entrecoupé de bruits angoissants, de gargouillis de douleur.
Tu n'as pas baissé les bras, l'arme toujours pointée là où se trouvait le deuxième agresseur.
Lorsque tu réalises, tu fronces les sourcils, et repose l'arme sur le comptoir, doucement, puis tu viens poser le plat de ta main sur la blessure dans ton épaule, une grimace de douleur accrochée au visage, le gémissement qui s'échappe de tes lèvres n'est rien à côté de la douleur exprimée par l'homme effondré par terre. Ah, putain, fais chier. La situation n'a pas le moindre sens, mais tu as la présence d'esprit de composer un numéro d'urgence en t'agenouillant près de l'homme. Tenez le coup ok ? Je tiens pas à avoir une troisième mort sur la conscience. Quatrième, Numa.
Re: Oh pitié non ♢ NUMA
Nadir ne réussit pas à détacher son regard du libraire.
Il ne réagit pas quand il appela les urgences, il ne réagit pas quand il s'agenouilla près de lui, il l'entendit à peine lui parler.
Dans son esprit tournait en boucle la scène, dans ses rétines dansait inlassablement l'image du vendeur, si tranquille quelques minutes auparavant, du vendeur, arme tendue et fumante, et les deux cadavres à ses pieds.
L'image d'un homme qui venait d'en assassiner deux autres de sang froid.
Sans broncher.
Vite, et bien.
Nadir se mit à trembler, et il ne savait pas si c'était le choc de la douleur ou le choc de la mort.
Il voulu se replier sur lui-même, pour calmer les soubresauts insupportables et incontrôlables de son corps, mais un élancement lui rappela qu'il avait été aussi touché à la jambe.
Il se contenta de se serrer les bras, fort, si fort que ses phalanges blanchirent, mais il avqit besoin de ça pour ne pas tourner de l'œil.
Nadir ne réussit pas à détacher son regard du libraire.
-... Mais qui êtes-vous ? demanda-t-il dans un murmure.
Les urgences étaient en chemin, et Nadir vivait une des pires journées de sa vie.
Re: Oh pitié non ♢ NUMA
L'entrée était pavée d'or et d'argent, de larmes et de sang.
La douleur est lancinante, elle te fait tourner la tête, mais tu rationalises. L'assurance ne va rien payer, la police va être embêtante, tu vas avoir des problèmes. Ton patron t'aime beaucoup, au moins tu ne perdras pas ton job, mais le fait d'avoir tué deux hommes ne t'aidera pas à l'avenir. Quel avenir ? Quel avenir ! L'idée pourrait te faire sourire, mais tu n'as pas la force. Il n'y a pas d'avenir, il n'y a que la fin, qui se profile plus vite que tu ne l'imaginais. Orion avait raison, tu es fais pour ça.
Le libraire. À quoi pourrait-il bien s'attendre ? Tu n'es personne, personne d'important. Tu soupire faiblement, glisse ta main sur la plaie de son ventre pour y maintenir fermement le tissus. Il ne va pas mourir, il n'a pas le droit de mourir, il faut un témoin pour raconter à la police que c'était de la légitime défense. Parce que oui, même maintenant, même ici, la loi s'applique. La loi des hommes, pour l'instant.
Qui es-tu ?
Ils seront bientôt là. Tu murmures, sans lâcher la fenêtre éventrée des yeux, le bruit de la pluie à l'extérieur résonne fort dans ta tête. À moins que ce soit le bruit de ton propre cœur, trop calme.