Dallas est assis, face à l'aquarium des méduses. il regarde les masses molles et transparentes se laisser porter par le courant.

elles n'ont pas à réfléchir, elles. elles n'ont pas de cerveau, après tout, donc elle n'ont pas besoin de se tracasser des jours ou des mois entiers, elles n'ont sûrement pas de souvenirs à ressasser, juste le doux confort de l'ignorance. translucides, elles flottent, et subissent tout ce que le destin met sur leur chemin, sans jamais se plaindre ou se lamenter des affreux coups du sort qu'elles subissent.

de toutes façon, qu'est-ce qu'elles peuvent bien subir de si terrible, ces bêtes sans cervelle ? surtout dans cet aquarium où on les loge gentiment sans aucun prédateur en vue, aucune méchante tortue qui viendrait les dévorer, ou pire, leur réclamer un loyer, en jurant qu'elles vont dévorer leurs filaments gracieux. pas d'inquiétudes à avoir à propos du frigo qui se vide, puisque des soigneurs attentionnés s'assurent qu'elles ont tous les bons nutriments, juste là, pour elles, tout prêts à se faire ingérer.

super.

elles sont cruelles, ces méduses, avec leur vie si belle et si simple, si facile qu'il suffit de se laisser flotter pour se sentir bien. elles sont méchantes, avec leurs corps hideux, les filaments dégueulasses, leur putain de transparence trompeuse, c'est vraiment d'énormes putes, ces méduses, de lui rappeler tant de souvenirs doux-amers.

il déteste les méduses. pas ces méduses, mais, enfin, il ne sait pas,
pas vraiment, il s'est perdu dans ses pensées, mais il déteste les méduses.


il devrait partir, et pourtant il reste là. toujours bien habillé, une chemise blanche que personne n'a repassé avec affection, un pantalon que personne n'a essayé de lui retirer en se levant, des cheveux que seules ses propres doigts ont caressé.

Dallas est assis, seul, face à l'aquarium des méduses.

AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA♡♡♡

Donovan. c'est toi. regarde, Donovan, on parle de toi.
on te parle à toi.

mais ça, Donovan Decœur le sait très bien, mais étonnement, il se retourne même pas brusquement. pourtant la voix est inconnue, elle n'a rien à voir avec celle qu'il connaissait par cœur, mais pendant une brève seconde, il croit que c'est █████ qui l'appelle.
█████ qui veut le revoir.

quel con.

mais comment un inconnu peut-il savoir son nom, au fait ? il ne l'avait révélé à son ancien époux que pour justifier pourquoi il n'écrirait jamais « Dallas Decœur » sur le contrat de mariage. (ni sur le contrat de divorce.)

mais ses yeux n'ont pas vu ces foutus papiers depuis des années, enterrés au fond d'un carton qu'il n'a jamais déballé malgré deux ou trois déménagements. non, ses yeux sont encore posés sur ces méduses qu'il adore et qu'il déteste. qu'il pourrait écraser et en même temps il n'oserait jamais le faire. comment elles marchent ? et lui, comment il marche ? comment il arrive à marcher, en ne pensant qu'à des relations déjà vouées à l'échec, déjà terminées.
et pourtant, comme ces animaux sans cerveaux, à la limite de la plante, il se laisse flotter dans ses souvenirs en croyant que c'est plus sûr. en croyant qu'il aura moins mal s'il peut se convaincre qu'il peut les réparer, qu'il peut se rattraper,
qu'on peut encore l'aimer.

quelqu'un m'a dit... il ravale sa salive, déstabilisé. on m'a dit que c'est du plancton. sans cerveau, sans cœur (jaloux ?) , c'est juste un estomac à la dérive.

la curiosité est trop grande, Donovan, n'est-ce pas ? les yeux toujours rivés sur l'aquarium, on se connait ?

AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA♡♡♡

Intéressantes, les heures à regarder les méduses ? pas vraiment. mais peut être que c'était intéressant, ces quelques minutes par rendez-vous, à entendre parler des ces animaux qui n'en sont pas vraiment, ces plantes qui n'en sont pas non plus. c'était toujours mieux que la solitude.

et au moins, tu n'es plus seul, maintenant, Dallas.

il ne se retourne pas, toujours pas, mais il aperçoit le reflet de la personne qui se tient derrière lui, un peu flou, qui se superpose à l'image de ces méduses stupides. on dirait les rencontres entre des espions dans les films, mais ça n'a rien d'un espion, puisqu'il parle d'une sujet que Dallas connait trop bien et s'arrange pour toujours éviter savamment. [b]les dettes.[/color]

et ça le fait sourire l'inconnu, alors Dallas sourit aussi, qu'est-ce qu'il pourrait dire, de toute façon ?
c'est compliqué de vivre. ça coûte cher, de vivre. de s'inventer quelques minutes de bonheur.

vous êtes trop mignons pour être un huissier. alors laissez moi vous offrir cette oreille.

AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA♡♡♡

le sourire est presque chaleureux. presque, c'est suffisant pour Dallas. c'est bien assez pour se raconter que c'était un bon compliment, et que son interlocuteur a été touché. c'est étonnant, qu'il en sache autant sur lui, alors pourquoi il n'est pas paniqué ? pourtant, son instinct semble lui dire qu'il n'a pas à craindre ce jeunot qui s'invite à sa séance de déprime devant les méduses.

il y a même, oh !, ces doigts, si agréables sur son poignet, tellement que Dallas le suit aveuglément, et sans émettre une objection. cette fois, ce sont des poissons, c'est moins angoissant que les méduses. on n'est pas obligé de se torturer l'esprit pour savoir comment ils marchent, eux, au moins. (ils marchent pas, à vrai dire)

Dallas n'a d'yeux que pour les poissons, étrangement. c'est peut être plus simple, pour parler. ça occupe l'esprit, les poissons. et ça me fait penser à quelqu'un... à vrai dire, on fait toujours de belles rencontres, dans un aquarium, non ? il sourit, mais n'a pas vraiment l'envie de se retourner pour l'offrir à son interlocuteur, alors il ne l'offre qu'aux petits poissons colorés qui nagent bien sagement.

AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA♡♡♡

ah.

Ceylan.

oui. bien sûr.
bien sûr qu'il sait pour Ceylan, qu'il sait pour son nom, il doit même connaître tous les détails de son divorce désastreux et pourtant si soigneusement caché. il avait même été jusqu'à coucher avec un des rares journalistes qui avaient eu vent de l'affaire pour supprimer les fichiers sur son ordinateur.

toujours classe, Dallas. mais au moins, il a un bon sens de la survie quand il s'agit de garder la face publiquement. alors c'est aussi ce qu'il fait là, et son premier sourire sincère n'en est pas vraiment un. c'est un sourire attristé par trop d'émotions que les mots ne pourraient expliquer. oui, Ceylan. dur de l'oublier, surtout quelques jours après être allé le supplier comme le dernier des vauriens et des malotrus, hein ?

ils ont de la place, une famille, de quoi manger... est-ce qu'ils voient seulement la vitre ? on est peut être enfermés, mais il n'y a pas de vétérinaires pour s'assurer qu'on va bien. et le sourire s'est complètement effacé en constatant que le monde est peut être déterminé par un destin qui dépasse tout le monde, mais que c'est alors un destin bien trop cruel.

AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA♡♡♡

ce... ce qu'il fait là.
c'est...

c'est trop, stop, s'il te plait, voila ce que pense Dallas, il pense que ce supplice devrait s'arrêter maintenant, mais pourtant il ne dit rien de tout ça, non, il se colle juste un peu plus, se love dans ce contact sans oser le refuser, et il sait pourtant qu'il se fait du mal, car s'il s'attache trop, il ne s'en remettra jamais quand chacun repartira de son côté et qu'il ne le verra plus jamais.

comment ça, plus jamais le voir ?
il ne connait même pas son nom, mais Lui sait tout de lui. quelqu'un qui l'appelle ainsi, qui compatit même pour ses histoires ratées, pour sa vie ratée. comment est-ce qu'Il accepte sa présence et se permet même de le réconforter, alors qu'il sait tout ?

c'était stupide, de s'insurger contre la cruauté du monde et de réclamer que le soigneur vienne rajouter un peu d'enrichissement dans son aquarium pour qu'il ne déprime pas, mais maintenant qu'il a l'impression qu'on a répondu son appel, il a peur de ne plus pouvoir se passer de cette aide passagère.

... ce serait trop beau. oui, c'est ça, il ne faut pas se faire de faux espoirs. ne pas s'accrocher, car de toute façon, tout le monde finit par partir. et pourtant, Dallas s'accroche.
Dallas est touché.
et il sent qu'il en faudrait à peine plus pour qu'il doive retenir des larmes lorsqu'il répond à cette question trop profonde pour son cœur fatigué. je crois que ceux qui font des sales trucs le paient. alors j'essaye de payer mes dettes.

AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA♡♡♡

le bras ne s'est pas retiré, pas encore. il ne s'est pas arraché par dégoût en se rendant compte de ce qu'il faisait, non, il continue doucement de... le réconforter ? et c'est toujours trop pour Dallas, beaucoup plus que ce qu'il pense mériter, mais si on lui demande de rembourser ça, il refusera. tant pis s'il ne mérite pas, donner c'est donner, reprendre c'est voler.
alors par peur que tout s'arrête trop vite, il prend le temps d'écouter, plus qu'il ne l'a jamais fait, par peur de faire fuir cet inconnu qui en sait trop sur lui, et qui décide pourtant de ne pas le juger.

non. non !
c'est pire que ça. il dit qu'il mérite ça, et tout ce qu'il cherche désespérément.

comment savoir si ce que je fait suffit ? va savoir qui a les yeux sur les comptes... et c'est bien, en fait, ce silence, et ces petits poissons qui se tortillent et font briller toutes leurs couleurs, sans même savoir qu'il y a une vitre, et pire, qu'il y a quelqu'un derrière la vitre. c'est peut être mieux, de ne pas savoir,
c'est moins douloureux.

mais une fois que l'on découvre qu'on ne fait qu'observer des ombres dans une caverne, une fois que l'on voit à travers la vitre, même si ce ne sont que des couleurs brouillées... c'est trop tard. tout fait mal. alors autant essayer  de comprendre pour ne pas juste subir. pourtant, qu'est-ce qu'il aime l'ignorance, Dallas.

... c'est pas juste, de dire ce que je veux entendre depuis des années. ce soir, j'irais dormir, et demain, je devrais continuer de me débattre. il sourit tristement, encore une fois, Dallas. il a mal, et il sait que ça ne s'arrêtera pas.

AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA♡♡♡

peut être que c'est juste ça, qu'il veut, Dallas. un peu de réconfort. quelques mots encourageants. peut être que c'est pour ça qu'il est retourné voir Ceylan, plus que pour l'argent, mais c'est plus facile de demander un chèque que des mots doux. car il a raison, l'Inconnu, personne ne s'encourage, personne ne s'aide, en tout cas, pas dans le monde que Dallas côtoie.

personne n'est là pour nous rassurer, et pourtant tu le fais. merci. ce remerciement sincère qui s'échappe des lèvres de Dallas est plus précieux qu'une goutte d'eau au milieu des dunes, tant il est rare. pourtant il sent qu'il peut parler avec son cœur, pressé contre cet inconnu qui le réconforte.

peut être aussi car il a trouvé plus triste que lui, bien plus triste, et que pendant quelques secondes il se dit que sa vie pourrait être bien plus tragique. elle l'est, oui, mais il a peut être assez d'années devant lui pour se racheter... quelques mois, au moins. quelques semaines ?

oui, si l'on ne peut pas voir les comptes, autant ne pas s'angoisser. serrons nous les coudes, et on verra. enfin, tu as déjà l'air de le savoir tout ça ?

AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA♡♡♡

c'est si doux, cet instant perdu devant les poissons, aussi perdu qu'eux, et c'est si bon, de croire juste quelques secondes qu'il y a bien des soigneurs qui veillent attentivement à son bien être.
mais il y a ce jeunot juste là, serré contre lui, et Dallas ne désire plus rien, si ce n'est figer l'instant présent et ne plus jamais avoir à se lever. ne plus jamais avoir à se soucier d'autre chose que cette joue chaude qui se presse avec compassion contre lui.

tu promets ? de revenir ? c'est dit à voix si basse que si l'Inconnu était éloigné de seulement quelques centimètres de plus, il n'aurait surement pas entendu.

c'est dit à voix si basse car son cœur est au bord de ses lèvres, et les larmes au bord de ses yeux. une d'entre elle finit par battre sa volonté de fer et laisse la gravité l'entraîner le long de sa joue, un peu trop lentement, par saccades, comme si elle sait elle même qu'elle ne devrait pas être là.

AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA♡♡♡

c'est déjà fini, et comme tu l'avais prédit, Dallas, ça fait mal.
mais pourtant, il faut continuer d'avancer, au moins assez pour pouvoir revenir ici et tenir votre promesse.

à bientôt, j'espère.


AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA♡