Résister.
Qu'est-ce que tu peux bien faire, Alyth ? Aux dernières nouvelles, tu n'es pas de la Police et tu n'es pas détective. Personne ne semble savoir où est ton père et … oui, au départ, tu as certainement pensé à rentrer, et laisser tomber, seulement, tu as besoin de savoir. Tu n'as pas revu ton géniteur depuis vingt ans, maintenant que tu cherches à lui parler, à le revoir, il disparaît dans la nature. Le sort s'acharne. Et toi, tu persévères. Tu refuses de lâcher prise, de t'avouer vaincue, alors, tu as enquiquiner les policiers pendant des heures, et puis, quand ils ont fini par en avoir marre, tu as cherché à fouiner dans les affaires d'Andromède, un peu partout. Maintenant ? Tu ressembles à une pauvre âme en peine qui a perdu son chiot. Comme si tu étais littéralement à cours d'idée - et on ne va pas se mentir, c'est le cas - tu es passée au plan … W. Celui qui consiste à juste poser des questions dans la rue.
Le problème, c'est que, quand on vient d'une petite ville, on est habitué à interpeller les gens sans problème particulier. Mais Polaris … c'est différent. Certains passants t'ignorent, d'autres te font rapidement savoir qu'ils n'en ont rien à faire de ces histoires de papa disparus. Il y a bien entendu des gens qui te répondent, qui ne savent rien, qui te lancent des regards désolés … Ça te brise le cœur un peu plus à chaque fois. Néanmoins, tu continues, et ce, même s'il est tard, même si les rues se vident peu à peu, même si les passants se font rares. Même si ta gentille petite voisine t'as largement conseillé de ne pas traîner seule dehors, quand la nuit est tombée.
Il ne te dit rien, et te contente de te faire un signe de la main.
Résister.
Tu ne te rends certainement pas compte que la rue s'est … vidée. Littéralement. En peu de temps, les passants l'ont tout bonnement désertée, comme si un danger avait poussé la foule à s'écarter, et à rentrer. Toi, par contre, tu es comme cet agneau un peu plus bête que les autres, celui qui n'a pas compris, qui n'a rien vu, rien ressenti, et qui continue de marcher sur le trottoir en cherchant des yeux une personne de plus à questionner.
C'est quand tu le repères, que tu te rends compte que tout est bizarre, subitement. Tu l'observe, de loin, t'arrêtant au beau milieu du trottoir. Tu ne le discerne pas bien, à la lueur jaunâtre du lampadaire pourtant … tu vois cet œil, et l'autre fermé. Cette main qui te fait signe. Ce rouge qui ne t'inspire rien de bon. Et puis surtout, Alyth. Il flotte. Ce mec flotte. Alors, tu restes sans bouger, à le regarder, te demandant si tu ne rêves pas, finalement, essayant de comprendre ce qui est en train de t'arriver. Et puis, l'explication rationnelle te vient : Halloween approche. C'est stupide, sans doute, mais toi, ça te rassures et surtout, ça t'empêche de détaler comme un lièvre en hurlant.
* Toi, j'ai bien l'impression que tu cherches Andromède Valentine. Fray ne t'a pas aidé ? Il te dit de but en blanc.
Résister.
C'est de la politesse. Au moins, tu as ça, de l'éducation. Une éducation qui te force à être polie, et à prêter attention aux gens qui t'entourent. Ta mère devait surement vouloir que tu aies bonne réputation ? Tu n'en sais rien, en tout cas, c'est ce qui fait que tu fais un pas ou deux dans la direction de cet homme étrange, que tu poses cette question. C'est plus pour ta conscience qu'autre chose, tiens, une fois qu'il t'aura répondu que ça va, ou quelque chose qui s'en rapproche, tu pourras rentrer.
C'est quand ton nom, accolé au prénom de ton père, résonne dans la rue déserte, que tu comprends que c'est bien plus compliqué que ça. Tu lèves les yeux, l'observe, la bouche en "o" pendant quelques secondes.
* Toi et Fray, hein... est-ce que ça m'étonne ? Héhéhéhé...
Il se frotte le menton, ses blessures sont en train de se réparer à vue d'oeil.
* Qu'es-tu prête... à donner ? Pour retrouver ton père ?
Il ricane.
Résister.
C'est une bonne question. C'est même une excellente question qu'il te pose, ce monsieur tout bizarre, Alyth, tu ne trouves pas ? C'est une question que tu as sans doute oublié de te poser à toi-même, d'ailleurs, avant d'entreprendre de remettre la main sur Andromède. Évidemment, tu ne t'attendais certainement pas à tomber sur un nœud de problèmes aussi massif, c'est un fait, seulement, maintenant que tu es dedans, maintenant que la question est posée, claire, nette, précise, tu t'interroges. Jusqu'où irais-tu, pour avoir tes réponses ?
* Huhuhu, ça c'est une réponse bien amusante. Combien donnerais-tu pour en savoir plus sur lui ?
Un sourire. Des crocs qui se révèlent.
* Alors, combien ? Combien ?
Résister.
C'est stupide, ça pourrait être une vieille arnaque, tu sais. T'as questionné la moitié du quartier, tout le monde ce que tu veux, et qui tu cherches à présent, alors, ce type étrange, il pourrait simplement être là pour profiter de la situation. Etonnement, pourtant, si d'ordinaire, tu es méfiante, et pas tellement du genre à te faire avoir par les arnaqueurs, là … Ce n'est pas tant le signal d'alarme de l'arnaque qui s'allume. Cet homme est effrayant. Et parce qu'il est effrayant, tu te dis qu'il détient la vérité. Un raisonnement étrange, et littéralement sorti de nul part mais qui pour toi, fait parfaitement sens.
Son sourire te fait reculer d'un pas. Fuis Alyth. Va t'en.
* Non, non. Non. Voyons... c'est tout ce qu'il vaut pour toi ? Que serais-tu prête à donner, Alyth Valentine ?
Résister.
Le sentiment qui te prends au cœur, lorsqu'il énonce cette simple phrase, formule cette nouvelle question est pour le moins désagréable. Tu te sens … coupable. Ridicule. Comme si tu venais d'estimer ton père à une ridicule somme d'argent. Ce n'est pourtant pas vraiment ce que tu as fait, mais, tu en viens à te dire que lorsqu'ils cherchent un proche, les familles offrent bien plus en récompense, en échange d'informations, généralement. Toi, toi, ce qui sort de ta bouche semble refléter un manque d'intérêt, ou de motivation, et ça te blesse, ça te met en colère. En colère contre toi-même.
* Hmm... Il tend la main vers toi. Donne-moi quelque chose qui t'est précieux.
Résister.
Tu t'es complètement laissée emporter, sur ce coup. Tu proposes des sommes énormes, Alyth, dont une que tu ne possèdes pas, évidemment. Pourtant, tu as passé une partie de ta vie à économiser, à ranger chaque sous non utilisé sur un compte qui aujourd'hui, est certes bien fourni, mais qui ne serait pas encore assez suffisant si tu venais à t'endetter autant.
Ton discours, pourtant, lui fait changer le sien. Maintenant, il tend la main vers toi, te demande une chose précieuse pour toi, là, au beau milieu de la rue et toi, forcément, tu penses à cette photo. Tu te rappelles encore, de ta mère en train de fiche le feu à ces cartons, dans le jardin et toi, qui te glisses jusqu'aux braises, derrière son dos, pour ramasser cette photo, rescapée, à moitié brûlée. On ne peut pas reconnaître ton père, on te voit, et on voit un peu ta mère. C'est tout. Pourtant, elle est précieuse, cette photo, c'est tout ce que tu possèdes, le dernier "souvenir", la preuve qu'un jour, tu as eu une famille, une vraie. Pourtant, tu sors ton portefeuille de ta poche arrière, tu sors cette photo de la pochette la mieux dissimulée, et tu hésites, oui, avant de la donner.
* Les souvenirs valent beaucoup plus que l'argent, c'est vrai, c'est bien vrai, héhéhé... Ses yeux étincèlent dans la nuit. A l'heure actuelle, Andromède Valentine se trouve dans un vieux manoir abandonné dans la campagne Polarisienne. Il n'est pas seul car une étoile a investi son corps.
Résister.
La photo disparaît. Comme un tour de passe-passe, comme la pseudo magie de ces charlatans, à la télé, qui exploitent la crédulité de leur public. La différence, là, c'est que, quand elle disparaît, cette photo, tu as l'étrange sentiment que tu peux faire une croix dessus, que tu ne la reverras pas de sitôt. C'est un gros pincement au cœur, que tu ressens, une douleur que tu ravales aussitôt. Si tu as des larmes à verser, Alyth, tu le feras dans la solitude de l'appartement que tu loues …
Au moins, quand cet homme ouvre à nouveau la bouche, c'est pour t'offrir ton dû. Te donner l'information pour laquelle tu viens de payer très cher. Ton père est en périphérie de la ville, dans une vieille maison, un vieux manoir, même, et au fur et à mesure que tu l'écoutes, tu hoches la tête, jusqu'à froncer les sourcils.
* Allez, va. Zou. File. Tu n'as plus rien à m'offrir, et je n'ai plus envie de te dire quoi que ce soit. Bonne chance.
Son sourire est carnassier. Tu ferais mieux de t'en aller avant d'oublier comment faire.
* Sois redevable, Alyth Valentine.
Résister.
Voilà qu'il te chasse, maintenant. Il sait que tu n'as plus rien. Comment est-ce qu'il sait ? Pourquoi est-ce qu'il flotte, Alyth ? Et puis, comment elle a disparue, cette photo ? Et ces blessures, au début de votre conversation, où étaient-elles passées ? Il y a tant de questions que tu devrais poser, et pourtant, tu n'en auras pas l'occasion. Tu n'apprendras rien de plus, ce soir, Alyth, cependant, tu n'es pas bredouille alors, tu recules, tu ne cherches pas, tu n'insistes plus.
Et c'est toi qui t'éloignes.
Obéissante.
Redevable, effectivement.