appartement de Prudence
Ce jour-là, Niels, il est pris d'un geste qui lui arrive rarement. Demande à sa secrétaire d'annuler et reporter tous les rendez-vous qu'il avait pour la journée, et de strictement renvoyer toutes personnes qui voudrait le voir. En clair, le laisser tranquille. Chose qui arrive très rarement, tant on sait à quel point il est à cheval sur les heures, sur la précision. Et une fois l'ordre donné, Niels, il s'éclipse de son bureau. Il sort. Ce n'est ni le froid, ni la menace de la pluie qui semble s'annoncer dans le ciel, qui le préoccupe, à Niels. Tout ce qu'il fait, c'est qu'il marche - un long moment - jusqu'au tréfonds de la ville, jusqu'aux quartiers les plus reculés des CDC. Un contraste, entre les Clematis et… le fond des CDC.
Un instant, il avise l'immeuble jusqu'au quel il a marché, Niels. Cherche du regard une certaine fenêtre, et il lui semble qu'il y a du mouvement, dans la pièce qui contient la fenêtre. Même si en soit, c'est assez peu fiable, probablement biaisé par le fait que Niels aimerait bien qu'il y ait vraiment quelqu'un dans cette chambre. Qu'importe, au pire des cas, ça lui aura fait faire une promenade jusqu'au CDC, bien qu'on ne va pas se mentir, probablement pas la meilleure des balades. Mais très étrangement - il ne l'avouera pas, Niels - ce n'est pas une balade qui le dérange, puisque c'est fait pour venir jusqu'ici. Niels, il pousse la porte en bas, dans un grincement sourd. Fort à parier que tous ceux qui habitent au rez-de-chaussée savent que quelqu'un est entré… Et puis, il monte les escaliers, jusqu'à l'étage voulu.
Arrivé face à la porte, Niels, il toque quelques coups. Si la dernière fois qu'il avait fait le même geste, ça avait été plus brutal, plus froid, plus direct ; aujourd'hui, c'est plus calme, plus patient, Niels, il ne cherchera pas à entrer de force, si personne ne vient lui ouvrir.
crossroads
11:39 - chiens de chasse - niels bjørntvedt
Silence.
J'ai perdu ma foi.
Une voix timide s'élève dans le corridor derrière Niels. Vous ne me dérangez pas. C'est Prudence, sans la partie inférieure de son masque, qui sourit. Elle se trouve là, semblant minuscule dans le couloir mal éclairé de l'immeuble. En fait, Prudence a l'air à la fois plus robuste et plus frêle qu'auparavant. L'un des verres écarlates de ses lunettes épaisses est fendu. Elle adresse un hochement de tête à l'homme, avant de se rapprocher et de venir déverrouiller la porte, l'invitant à entrer.
Une fois dans l'intimité de l'appartement toujours aussi peu meublé, la jeune femme retire le reste de son masque et son épais manteau, qu'elle dépose sur le matelas. Bonjour, monsieur Bjørntvedt. Ils ne se sont pas revus depuis des semaines. Et beaucoup de choses s'étaient écoulées, en ces semaines. Il y avait eu le ciel, Bételgeuse, il y avait eu Rastaban. Désormais, Prudence avait pris les devants et gérait d'elle-même le cercle. Malgré les peurs de Sen, malgré les angoisses d'Icare, malgré les remontrances de Caleb, malgré ses propres problèmes avec Isak... Isak.
C'était sûrement pour ça qu'il était venu, Niels, non ? Prudence lui adresse un nouveau sourire. Allez-vous bien ? Je m'excuse encore pour la dernière fois.
appartement de Prudence
La voix vient de derrière lui ; Niels se retourne, et tombe sur Prudence. C’est presque comme une vision différente de Prudence, qu’il a devant lui, Niels. Il ne sait pas dire en quoi, mais il se fait cette réflexion. La dernière fois qu’ils se sont vus remonte à… Quelques semaines, à peine plus d’un mois, peut-être ? Pourtant, l’image que lui renvoie Prudence fait croire à Niels qu’il y a bien plus longtemps que ça ; où alors que Prudence a vu passer de nombreuses choses. Il n’en sera probablement jamais rien, Niels ; alors, pour toute réponse, il lui sourit à ton tour, discret, mais néanmoins vrai. La porte de l’appartement s’ouvre, Niels emboîte le pas derrière Prudence, il l’a laisse s’installer ; après tout, même si visiblement, sa présence ne dérange pas, Niels est quand même arrivé à l’improviste, et c’est vraisemblablement une coïncidence si Prudence est arrivée en même temps.
Comme la dernière fois, Niels retourne s’adosser contre le plan de travail de la cuisine, n’ayant vraisemblablement pas d’autre endroit où s’installer.
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11:39 - chiens de chasse - niels bjørntvedt
Prudence est épuisée et elle a la forte impression que ce n'est un secret pour personne. La ville la ronge et Rastaban l'achève. Récemment, elle a pris la dure décision de prendre les rênes du cercle deux et la place de Rastaban, sans l'ambition de pouvoir diriger ses pairs. Elle les voit seulement démunis, et s'était dit que c'était la meilleure chose à faire. Maintenant, elle regrette un peu. Les yeux creux de Sen et les railleries de Caleb commencent à l'atteindre. Et le fait qu'Icare ait peur d'elle, sans qu'elle ne trouve le courage de retirer son masque comme elle le fait à présent devant Niels, la tue peut-être à petit feu. Et puis, Sen lui a fait une remarque qui n'est pas passée inaperçue. Oui, sûrement que les forces de l'ordre chargées de protéger la ville lui tomberont dessus un jour ou l'autre. A ce moment-là, elle compte fuir. User de son pouvoir, peut-être.
Prudence sait que c'est mal. Chez elle, les règles sont strictes, et on ne les enfreint pas; et un tueur d'hommes est condamné à errer seul dans les montagnes, sans arme et sans provision; jusqu'à ce que la nature reprenne ses droits sur son âme et que les dieux ne le punissent. Personne ne peut fuir les dieux. Personne ne peut fuir la justice. Mais les yeux de Sen et les espoirs silencieux des liés de son cercle la pousse à fuir. A continuer. Pour eux, peut-être. Pour elle-même, aussi, moins.
Est-ce qu'elle allait bien ? Non. Prudence était éreintée, et fatiguée, et poussée dans ses derniers retranchements. Forcée à fuir et à enfreindre les règles, toutes les règles en lesquelles elle avait cru depuis sa naissance. Prudence était forcée d'abandonner ses dieux. Prudence... Prudence esquissa un petit sourire fatigué à Niels alors qu'elle retirait ses épais gants pour venir triturer ses doigts maigres, embarrassée. Je dois avouer que j'ai connu des jours meilleurs.
Ah. Des nouvelles, concernant... Isak. Des nouvelles d'Isak. Des nouvelles de ce qu'Isak faisait, de ce qu'Isak devenait... Isak, en somme. Il faut savoir que Prudence ne sait pas mentir, et elle ne sait pas non plus cacher les méandres de son coeur. Aussi, naturellement, Prudence bafouille, et Prudence tire un peu plus sur ses doigts, et Prudence rougit écrevisse par dessus ses taches de rousseur alors qu'elle perd littéralement ses moyens devant Niels, incapable de formuler une phrase ou deux, qui auraient pu simplement indiquer qu'il n'y avait rien d'anormal, qui sait, ce serait sûrement passé, Niels ne semblait pas réellement être venu pour ça de toutes façons. Mais non. O-Oh, hm, monsieur Isak ? Hm... Il... Il va bien, oui, je- à vrai dire, hm... je n'ai pas... Quelques mots dans sa langue maternelle, peut-être des insultes proférées à sa propre encontre, peut-être plus de bafouillements : impossible de le savoir. Les voies de Prudence sont souvent impénétrables, et les voies d'une Prudence embarrassée à mort l'étaient encore plus. J-je... Je... Nous ne sommes pas vus depuis... depuis un moment... En quelque, euh, sorte. Mais pourquoi mentir, Prudence Vorpaline ? Tu l'as vu il y a deux heures, Isak. Deux heures à peine.
appartement de Prudence
C’est qu’au fond de lui, il se sentirait presque légèrement peiné pour Prudence, Niels. Connaître des jours meilleurs, on l’a tous déjà vécu. Il comprend, Niels. Bien évidemment, il ne sait pas ce qui met Prudence dans un tel état, ce n’est pas son affaire, chacun à sa vie, de toute façon ; mais il peut néanmoins comprendre. Il lui adresse un discret sourire, pas vraiment de compassion, mais plus de soutien.
Le sujet est enchaîné vers Isak ; qui n’est pas forcément la raison première de sa venue ici, à Niels - disons l’excuse, ça colle mieux. Et comme une fois n’étant pas coutume, Niels se retrouve à ne pas avoir anticipé la réaction de Prudence. Il a fini par s’habituer, à force, d’être surpris - de manière positive - par Prudence. Mais, voir le rouge prendre aux joues, l’entendre bégayer, marmonner, utiliser des mots qu’il n’a jamais entendu… Il faut dire, ça le fait sourire, Niels. Et un vrai sourire, pas un qui est dessiné, ni prévu ; juste un sourire qui arrive comme ça, parce que la situation le veut.
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11:39 - chiens de chasse - niels bjørntvedt
Prudence s'étrangle, consciente de l'air ridicule qu'elle doit afficher, et se cache le visage dans ses mains - une maigre tentative de ne pas laisser Niels voir l'état dans lequel la simple penser d'Isak, puis celle de mentir la met. En soi, ce n'est pas un très grave mensonge. Mais... c'est mal. Et elle a suffisamment fait de mauvaises choses comme ça, n'est-ce pas ? Elle ne doit pas oublier qu'elle est une meurtrière. Elle a du sang sur les mains, et sûrement que si Niels l'apprenait, il ne la regarderait pas avec ce sourire lumineux. Mais... Impossible de lui avouer. Non. Elle doit garder le secret. Elle ne pourrait justifier ses actes de toutes façons.
O-Oh, c'est... votre frère ? Votre frère cadet ? Je... vois. Elle n'aurait jamais pensé. Pourquoi est-ce que Niels voudrait faire suivre son propre frère ? Pour l'empêcher de tremper dans des affaires peu recommendables ? Eh bien, c'était gagné. Elle eut un soupir, avant de se diriger à nouveau vers son matelas de fortune pour récupérer son respirateur, qu'elle place timidement sur son visage. Je... je suis désolée. J'apprécie beaucoup votre frère. Elle se plie en deux devant Niels, comme si elle avait commis une faute grave. En soi, elle avait envie de s'enterrer six pieds sous terre, alors bon, elle commençait le travail. Je... j'ai déjà été liée à un homme par le Soleil et la Lune, alors je n'ai pas ces pensées, informe-t-elle Niels en se redressant, Mais monsieur Isak est... vraiment gentil. C'est quelqu'un de bien... Elle ne sait pas pourquoi elle lui en dit autant. Pourquoi elle ressent autant le besoin de se justifier. Elle est toujours rouge tomate, elle le sait. Finalement, elle laisse s'échapper un long soupir et regarde par l'unique fenêtre de la pièce. J'accomplirai ma tâche avec plus d'assiduité, à l'avenir... Je vous le promet.
appartement de Prudence
Il n'en est pas surpris, Niels, que Prudence ne soit pas au courant de leur lien de parenté ; parce que physiquement, ils n'ont pas grand-chose à voir l'un de l'autre. Et même, pas que physiquement d'ailleurs.
Le regard de Niels se déplace lui aussi vers l'unique fenêtre de la pièce. C'est loin d'être la meilleure vue… Mais les CDC n'ont jamais été réputés pour leur magnifique panorama. Au moins, la fenêtre a l'avantage de faire passer la lumière… et c'est déjà beaucoup, alors on ne va pas lui en demander de faire plus, à cette pauvre fenêtre. Un faible soupir. C'est qu'il n'a pas l'habitude, lui, d'avoir une vision aussi dépareillée ; mais il oublie que c'est le quotidien d'un grand nombre ici. C'est bien, parfois, de se rappeler de ce genre de petits détails… Il se retourne vers Prudence.
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11:39 - chiens de chasse - niels bjørntvedt
Maintenant qu'elle a retrouvé un semblant de calme et de sérénité, Prudence se rend compte qu'il y a beaucoup de choses qu'elle aimerait confier à Niels. Beaucoup de paroles, beaucoup de secrets. Peut-être est-ce parce son unique figure paternelle avait été abandonnée -avec beaucoup de honte mais peu de regrets- loin dans les montagnes et qu'elle se retrouvait sans guide, désormais. Cela dit, son père n'avait jamais été plus qu'un homme là pour lui montrer les règles et l'instruire. Lui apprendre à chasser, ha ! Voyez où ça l'a menée. Pauvre folle. Peut-être qu'elle n'aurait jamais eu ce sang sur ses mains si on ne lui avait pas appris les arts de la chasse et qu'elle n'avait pas été aussi bonne élève -
Elle se mordille les lèvres sous le respirateur et soupire, soupir en écho dans le dispositif. Elle ne pourra pas avouer ses nombreux meurtres à Niels. Mais c'est impossible. Mais c'est un secret trop lourd à porter pour ses épaules qui en ont déjà vu beaucoup. Je vous trouve trop généreux avec moi... Niels. Belle avancée que celle de l'appeler par son prénom. Il est un peu maladroit sur sa langue embarrassée, mais il est là. Niels, d'ailleurs, qui le surprend par sa question puis sa proposition. Elle relève de grands yeux vers lui, avant de ciller un peu. Oh, euh, bien sûr. Mais... Elle trottine vers les rares placards composant la minuscule cuisine intégrée à la pièce à vivre, qui était, honnêtement, la seule pièce de son appartement, et les ouvre - l'un puis l'autre, pour lui exposer le fait qu'ils étaient... vides. Presque poussiéreux tant ils étaient vides. Finalement, elle se retourne vers lui, timide. Je ne suis pas sûre que vous puissiez faire un repas avec... rien.
appartement de Prudence
C'est à force d'observer le comportement de Prudence, son attitude, que Niels se dit qu'il y a peut-être quelque chose de différent. Bien évidemment, il est incapable de dire quoi. Porter un masque, ça n'aide pas. D'autant plus qu'il n'est pas non plus impossible que ce soit uniquement parce qu'il découvre qui est vraiment Prudence. Parce que même si Niels refusera très certainement de l'avouer, mais il se retrouve à ne plus en avoir rien à faire. L'ancienne vision qu'il en avait était neutre, voire même inexistante ; parce qu'il la considérait comme n'importe quel autre être humain qui n'a pas de valeur à ses yeux, c'est-à-dire qu'il ne la considérait pas.
C'est l'air étonné, qu'il ne cache pas, Niels, qu'il a quand Prudence le qualifie de généreux. Généreux ? Oh, on l'a qualifié de bien des choses, à Niels, mais jamais par ce mot. Alors, c'est très étrange ce qu'il ressent, Niels, un peu comme s'il découvre quelque chose pour la première fois, mais quelque chose qui ne lui déplaît pas.
Et puis, il voit Prudence faire le - petit - tour des meubles. Tous vides. En fin de compte, ça… ça ne l'étonne même pas, à Niels. Il soupire, l'air sensiblement amusé.
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11:39 - chiens de chasse - niels bjørntvedt
Elle allait proposer de venir avec lui quand Niels prend les devants et lui demande si elle veut l'accompagner. Un sourire se dessine sur ses lèvres alors qu'elle hoche la tête; peut-être plus enjouée qu'elle le voulait. Si cela ne vous dérange pas. Elle récupère son masque qu'elle enfile. Les habitants des CDC ont l'habitude de la voir déambuler masquée; elle suppose que bientôt, plus personne ne sera surpris de la voir. En général, les gens prêtent peu attention à son apparence singulière, ou alors elle sait ignorer les regards en coin. C'est une possibilité.
Ils sortent de son appartement et se retrouvent rapidement dans la rue. Il n'y a rien qui me fait particulièrement envie, elle lui fait remarquer, pensive. La question de la nourriture avait toujours été un sujet sensible. Prudence savait qu'elle ne mangeait pas à sa faim, bien que son corps savait se contenter des maigres repas que Mai lui apportait avec une gentillesse et une ponctualité certaines. Il faudrait qu'elle lui rende la pareille, un jour, mais comment ? Un soupir. Je... je ne suis pas difficile. En fait, c'est plutôt le contraire... j'aime bien découvrir de nouveaux aliments. Et puis, à ce stade, elle ne pouvait pas faire la difficile.
Elle tourne la tête vers Niels et lui sourit à nouveau. Et vous ? Il y a quelque chose que vous avez envie de manger ?