Elle a des boucles d'oreille en cristal, l'infirmière.

Dallas fixe les lobes d'oreille de l'infirmière quand elle se penche vers lui, il sait qu'il les a déjà vues quelque part, dans une vitrine, peut être, ou bien portées sur d'autres oreilles, dans un autre contexte. Peut être qu'elles étaient en face de lui, comme là, mais à un rendez-vous galant.

Il plisse les yeux et réfléchit, réfléchit, réfléchit...
ah, oui, c'est des Swarovski.

elles sont jolies, ces boucles d'oreilles, très jolies, alors Dallas les fixe et esquisse presque un sourire quand l'infirmière se penche à nouveau et qu'il les voit de plus près. il sent aussi son parfum, beaucoup moins onéreux que les boucles, qui doivent alors être un cadeau. sûrement un.e fiancé.e vu la bag-

ah.

ã̴̢̙̻̩̪̘͆̑̊̾̉́͑ḩ̸̤̼̻̗̗̮͐̈́͒͌̚͜͠͝.̵̨͓̦̩̜̝͓̳̭͚͛̃̎̓͌̏̇͐́͐̋́̚̚͘

pourquoi il a baissé les yeux ?
pourquoi il a voulu voir s'il y avait une bague ?

pourquoi pourquoi pourquoi pourquoi pourquoi pourquoi pourquoi
p̸͚̅͋õ̴̬̏̍u̵̡̥͇̾͝r̴̹͓̅́q̸̧͌u̸̞͂o̶͚͖̥̿̃ǐ̸̮̬͈͛̔ ̴̧̛p̵̳̺̑̽o̸̻̜͂u̴̼̦̫̒͘̕r̴̬̬̿́̕q̸̬̖̀̐̀u̶̝̦̍́̊o̵͙͙̖̊͘i̶͚̅̑ ̸̬͒ͅṕ̴̤̋͆o̴̢̓͑̕ủ̵͓͝r̷̰͆͛q̷̥̪͒̕u̸̲͑͑o̸̟̒i̸̗͌ ̵̪̽̃͋p̷̛̞̠̖̀̋o̶̧͉̙̅ư̷͇̻͛̉r̵̘̲̿̌̒q̸̧̛̠͉͒̈u̵͕̖͋o̷̹͒̆͛i̶̛̖ ̶̗̀p̷̳̝͕̌̚o̸̧̦̓u̸̹̠͌͗ȑ̵̘̈́̈q̷͖̫̀̑u̶͙̓̍o̶̧̬͆͠ï̴͖͝ ̴̡͖̯̆̉͒p̸̧̮̯͊͆ơ̷̜u̷̠͑̿͝ṟ̷̲̖͐͐q̶̢͌̍͛u̵̖̒̓́ǫ̴̢͆͗́i̸̜̪̮̓́̕ ̷̡̢̘̔p̴̣̃ô̸̰̇u̵̢͚̽̆͝r̴̡̪͎͊͆q̴͎̎̿u̶̥͉͛͐̍o̵̗̒̓̇ï̷̡̞͉̿̃ ̸̺́͐̍p̶̼͍̰̐̿͝o̶̯̿ú̴̢ŕ̴͖̆̈́q̵̡͎̑̐ữ̶̝̯̌ō̷̦̤̳i̷̝̳̖͋͆̀

il n'y a pas de bague
il n'y a pas de fiançailles
il n'y a plus de doigts pour la bague
il n'y a plus de main pour la bague
il n'y a plus de main




Ï̸̧̨̛̲̟̹͙̘̝͓̰̜̟̩̔̏͐͒̔̾̉̾̌̈͂̿̀̔͛͗̕̚͝͠͝ͅ ̸̢̨̨̛͔̜̠̬̲̮͙͈̭͓̽͌͑͒̎͊͛̿̅͐̿͂̂͋̃̐ ̵̢͓͙̺͙̘̪̹̜̺̟̟̮̳̘̗͕͋̿͗̈̏͋̄͊̀͊͋͌́̈́̇̋͌̚̚ͅL̴̨̧̛̻͙͍̞̤͙͙̲̺̳̗̯̾̈́̌̑̃͛̓̎͂̇̒̇̍̈́̈́̋́̈́̓̾͘̚̚͝ͅ ̵̛̰̹̺̤̻͖͇͚̲͚̈́̎̉̃̋̀̿͗̊̓̽̓́̾̅̎͘͘͜ ̴̛̳̉͂͂͂͗̀̔̓̓̐̏͛͗̈̎͒̈́͐͗̋͆̚̚͠ ̶̫̜̻̰̗̖̪̋̈́͋̽̋̉͐̆̂̿̈̌̚͠͠͠ ̶̡͔̩̲̘̞̟̗̺̺͇̼͙̼̫̤̤̟͕͍͕̼̺̘͛̆̋̽ͅỸ̵̨͕̫̱͌͗̾̉͋̔͌̽ ̴̢̧̛̝͍̯̳͎̬̖͈̘̜̝̞̫̈́̇̀̍̀͐̈̓̓̾͆̃͋̈́͒̑̊̚ͅ ̶̛̲̟̹̣̦̳̟̲̮͇̜̑̀̕̚ ̸̛̬̗̘͕̍̈́̐̽͂͐̋͂̾́́͗̿̆̊͋̎̎̀̊̕̚͠͠ ̶̡̨̧̲͕̜̦̼͉̫͓̘̈̍̀͊͗̓̎̏͒͌̈́̐̌̈́́̓̒̐̔̀͗͘͘̕͠͝Ȧ̵̩͕̥̖̞̻̮͙̪̩̟̟̖̤̭̙͎͚͌͛̀̇́̏̏̎̃̔̀́̀̒̒̀̚̕̚͝ͅ ̵͚̬͉̞͕͐̂̃͒͐̂̈̔͌͐̋̊̎̑͛͐̈́͂͐̅̚͝ ̶̨̛̰̬̭̫̀̀͗̓̔̍́͂̃̾͗͗̿̔̅͜͝͝ ̴̧͚͉̫̞̖̙̤̯̳̙̯̹͎̘͗͊͐̿͒͊͐͂̋̆̀̂̽͂̍̉͊̚͝ ̷̡̙̜̦͓̭̣̺̝̼̤̬̦̺͎̭̓̏̐̓̒͒͗͒̀̍́͒͛̈͒͆͑͑̽͗̾͗̚͠ͅͅŲ̶̡̧̟͎̞̱͍̦̞̱͉͙̬͍̞̮͍͓̞̹̯̝͕̓͆̀͊͗̿̈́̓̎̀͐͜ ̴̟̲͔͔̮̙̲̦̗̪̮̩̩͇̙͔̠͊̀́̉͒̋͋̍̉̑̍̀͆͊̉̄͑̔̈́͑͗͆̽̑͘͝ ̴̛͇͇̼̻͈̳̙̫͇͉̤͕̆̍̅̈́̈́̿̔͋̆̾̍̓͛͌̾̕̚Ṅ̶̢̛̟͈͔̮̭̬̠͔̩̤̠̺͔̺̭̣̥̞͈͂́̄͐̓͗́̓̄̏̃̍́̔͒̚͝͠ ̸̡̢̰͇̖̟̟͕̪͓͈̞̻͖̬͔̘̩̖̻̳̙̦͓̾̄̂͌̈́̀͐̀̑̿̈́̊̆̊̈́̓̇͒̀̔̀͘͘̚͠͠ͅͅ ̵̡̨͇͖̗̺̲̪̳̼̞̦̬͓̝̹̣̖̜̙͐̉̾͂̈͊̌ͅ ̸̧̧̧̙̘͚͇̰̩̖̠͙̝̱̫̍͛́ͅ ̴̧̛̠͕̫̰̬͇̬̫͖̖̳̹̜͇̮͚̣̮̫̻̹͙̀̏̐̊̆͒̏͑͛͒͒͌̍͋̐͜͜T̶̛̫̥̜̒̆͋͐̋̋̂̽̏̊ ̶̨̥̬̼̣̰̦̝̰̣̝͇͈͎͍̅͗̏̈́̓̓͛͂̎͆̎̅̀͊̎̃͆̈́̈́̃̐̒͜͝͝͝͝ͅ ̴̢̧̨̤̼̲̱͔̤͉͇̭̲͍̙̰̰͚̤̰̟̖̻̀̂̉̆̓̇̅̌̅͊̈́͐͂̈́͆̈́́̕͜͝͝Ŗ̸̡̺̹̮̮͊̀̍͝ ̷̩̇̔͛̀̈́̉̎̚̕ ̴̛̗̣̫̱̦͚̬̣̞͖̒́̉̈́̽̂̑͂̏̓̎̉͊̑͌̓̅̀͑̎͌̚̕͜͝͠ͅO̵̰͍̣̝̹̼̩̼̭̗̜̣̪̱͚͍͔͈͖̅̓͊͋̍̾͊͗͐ ̷̩̖̪̘͈̺̲̖̲̱͈͎̰̩̣̘̺̫̗̙͍̀̿̐̓͌̄̈̉͆̂̅̈́̒̐͘͜͝ ̴̡̧̫̦̗̘̯̹̞̱̞̝͔̣̦̺͉̟̫͔̃̈́͜͝͠ͅͅͅͅU̷̥̒̑̓̃͌͛̎̽̀̇̋

au final, c'était juste un petit passage, presque de l'ambulatoire, vous savez ce que c'est ?

de nos jours, vous venez à l'hôpital le matin, on vous opère dans la journée, et 3 heures plus tard vous ressortez. bonjour, s'il vous plaît, merci, au revoir, bonne journée. c'est ce qu'ils ont failli faire, d'ailleurs, mais les infirmiers ont tenu à garder Dallas quelque jour, des histoires de vaccin contre la rage.

fallait pas grogner que c'était un chien des rues qui t'as mangé la main.
fallait pas oublier ton carnet de vaccination chez ta chère famille.
et fallait pas se brouiller avec ladite chère famille au point de refuser de demander à l'un d'eux de l'apporter.

en contemplant son lit d'hôpital, maintenant qu'il a le droit de se tenir debout sans être interrompu par tout un cortège de chirurgiens, anesthésistes, docteurs, infirmiers et aide soignants, maintenant enfin, Dallas se dit que pendant plus de trente années, il a soigneusement semé des graines de vent dans sa vie. oh, de ce point de vue là, c'est un sacré agriculteur, Dallas, car il n'a fait que ça, semer et labourer pour semer à nouveau, plus grand, à chaque fois,
que dur labeur.

et là, devant son lit, il se dit qu'il a enfin récolté les fruits de son travail.

il pense à toutes ces petites graines, oh, c'est bien minuscule, une graine, mais au delà de son lit, il voit la taille du champ qu'il a cultivé toutes ces années, il voit toutes les pousses prêtes à éclore, et se dit que ce n'est peut être bien que le début. peut être que ce poignet qu'il n'ose toujours pas regarder, ce n'est que la première bourrasque, annonciatrice de la tempête qui va souffler dans les jours à venir.

un ouragan qui va tout balayer, lui qui a déjà l'impression qu'on lui a tout...
arraché.
excusez lui son ironie, les blagues du Bouffon du Roi semblent un peu plus noires et ternes, depuis que le vent se lève.

pour la première fois, il enfile son costume, oh, c'est presque le même que celui avec lequel il est arrivé,, mais cette fois, il ose se regarder dans la minuscule glace de la salle de bain, et laisse un peu Dallas Decœur dans le placard.



il serre la main de l'infirmière qui lui donne ses médicaments et moult recommandations et précautions à suivre,
et c'est avec son (nouveau) costume que s'achève le court séjour à l'hôpital de Donovan Decœur.

il a mal.

il a mal, Dallas.

putain, il a mal, bordel de merde, mais qu'est-ce que ça fait mal, putain. mal, mal, mal, mal, mal. il regarde les secondes passer lentement dans sa cuisine.

16h32, mal.
16h33, mal.
16h34, mal.
16h35, mal.
16h35, mal.
16h35, mal.
16h35, mal.

16h35, mal.

16h35, mal.


16h35, mal.


16h35, m a l.


1 6 h 3 5 ,  m a l.


1  6  h  3  5  ,    m  a  l.



1       6      h      3       5      ,       m       a      l.




1           6          h          3           5           ,            m            a          l.





1              6             h             3              5              ,               m               a             l.





toc, toc, toc, ah tiens, 16h36, l'infirmière vient pour la deuxième fois de la journée, et elle est un peu étonnée de trouver son patient dans la même position que lorsqu'elle l'a quitté ce matin. elle se permet même une petite remarque, oh, rien de bien méchant, vraiment, juste une petite pique de rien du tout, « ah tiens, vous aimez bien cette chaise, je pense ? »,
c'est innocent.

Dallas aurait sûrement souri et renchéri, en temps normal. il aurait trouvé un moyen de poursuivre la plaisanterie, avec un regard charmant, il aurait peut être même gardé son numéro, à cette infirmière, pour plus tard, bien plus tard, et l'inviter une nouvelle fois, mais pas pour changer le pansement, pour une fois. il aurait adoré tout ce petit jeu, il aurait adoré cet échange avec elle, même s'il n'aboutit à rien, en fait, il aurait aimé juste échangé des petites piques en souriant et en faisant semblant que l'horloge est très intéressante, et sa gazinière aussi, tiens, et que ce n'est pas du tout une manière de ne surtout pas baisser les yeux sur le travail de madame l'infirmière,

madame l'infirmière qui sourit, après sa petite entrée,
mais ce qui l'accueille, ce n'est pas Dallas Decœur prêt à blaguer, charmer et séduire si affinités, non,


elle n'est reçue que par un regard un peu vide,
un récipient sombre rempli à ras bord par la douleur,
que ça, que cette douleur, rien d'autre,




pas de sourire pour aujourd'hui, rentrez chez vous.

c'est la première fois qu'il va voir quelqu'un.

enfin, il y a eu un certains nombre de médecins et d'infirmières, à l'hôpital, sans parler de l'assistante à domicile qui vient maintenant tous les deux jours pour aider à ranger, faire le ménage, cuisiner... et l'infirmière à domicile, aussi, encore une, qui vient une à deux fois par jour pour surveiller la cicatrisation. ce ne sont pas des vraies conversations. Dallas n'a pas eu de vraies conversations depuis longtemps. ce n'est que « oh, vous avez eu tellement de chance, le poignet est intact », « ne vous inquiétez pas, si ça cicatrise bien, on pourra bientôt penser à une prothèse » ou encore « oh, c'est déjà si rangé, chez vous, je ne sers presque à rien ».

allez vous faire foutre.


mais c'est...

mais c'est....... ... c'est rassurant. ce ne sont pas de vrais contacts humains, juste des techniciens. des techniciens de la santé, des techniciens du ménage. ils parlent de leur domaine, et Dallas les écoute parler sans rien dire, se contente d'hocher la tête et de grimacer parfois quand on essaye de compatir, quand les invités quittent leur rôle et essayent de se montrer humain.



Dallas ne veut pas de ça. Dallas ne veut ni pitié, ni compassion, il a peur que son égo ne s'en remette jamais.
alors il n'a prévenu personne de son passage à l'hôpital, à par ses employeurs, sans rien préciser sur la raison de son séjour. on lui a gracieusement accordé un congé, après tout, il ne prend qu'une semaine par an depuis des ans, on lui doit bien ça, non ? ah, et, bon rétablissement, surtout, Dec- et là, Dallas raccroche toujours.

il n'y a pas de bon rétablissement car il n'y a pas de rétablissement.

il essaye de se persuader en se forçant à faire sa vie, et c'est dur, c'est si dur quand il passe une journée entière cloué sur une chaise à supplier n'importe qui pour que la douleur s'arrête. c'est si dur que même dans les bons jours, il retient ses larmes pendant une heure, allongé dans son lit, le soir, et ce n'est que lorsque ses efforts échouent qu'il parvient à s'endormir, épuisé.
si on le voyait ainsi, si on osait voir ses faiblesses, il ne s'en remettrait pas.



il a tout fait pour empêcher cette sortie, tout.
mais s'il veut garder son salaire, et payer son loyer, éviter plus que tout une nouvelle visite du propriétaire, éviter que son employeur ne vienne directement... ils verraient tout. les tasses qui s'empilent dans l'évier, la table de chevet recouverte de médicaments, la table de la cuisine aussi, soigneusement divisée en deux, d'un côté le vide, de l'autre, des boites et des boites de compresses, de bandes, de désinfectant, de fil, au cas où, tout ce qui ne tient pas dans l'armoire à pharmacie de la salle de bain qu'il ne referme même plus, à quoi bon ? et tout ça,
tout ça, c'est trop, c'est déjà trop à avaler pour ses yeux seuls, alors l'exhiber à d'autres ? sûrement pas.


aujourd'hui, c'est la première fois qu'il va vraiment voir quelqu'un, et l'idée de se retrouver dehors, dans la rue, (vulnérable), le fait déjà frissonner, alors qu'il n'est encore que devant son armoire, en train de choisir une tenue.
la confidence de sa sortie lui avait échappée hier avec l'assistante, une fille charmante, vraiment, mais un peu trop fouineuse, et elle s'était empressée de tout préparer, dans son dos, sournoisement.

Dallas contemple le costume noir repassé et plié la veille, la chemise blanche et... une cravate pourpre, déjà nouée.


il n'est pas idiot, il comprend immédiatement le message.
il fixe cette offense, ce noeud de cravate,

et se dit qu'il sera tout aussi convenable avec une simple chemise au col déboutonné.

tu es sûr que tout va bien ? tu n'as plus si bonne mine... enfin, c'est normal je suppose...

c'est une des pires humiliations, pour Dallas, et pourtant elle est bien méritée. ce « je suppose... » odieux qu'avait eu le producteur de son émission en baissant les yeux sur... sur quoi, d'ailleurs ?
sur rien.

rien.

c'est tout ce qu'il y a, maintenant.

rien.

il n'y a rien à voir, circulez.


et pourtant ce rien attire tous les regards, qui se détournent immédiatement, par gêne, par politesse. quand il a traversé les couloirs de la radio, on a d'abord souri, puis les yeux se sont baissé, relevé, gênés, et l'on s'est écarté avec délicatesse, sûrement de peur que ce ne soit contagieux.

et puis, une fois qu'ils se sont relevés, ces yeux, ils observent tout le reste sans pitié. oh, ils se veulent touchés, attristés, mais ils cherchent le moindre défaut, le plus petit signe de souffrance. et ils en trouvent assez pour se repaître, et pourtant ils en veulent toujours plus, quand ils voient ce que Dallas voit aujourd'hui dans le miroir de sa salle de bain. il ne voit même plus les cernes, il voit les cauchemars quotidiens. ce ne sont pas des rides, là, sur son front, mais des heures à se tordre de douleur à cause d'une crampe là où il ne devrait plus rien y avoir. et ce teint... pâle, il l'a toujours été, mais s'il est maintenant cireux, malade, c'est peut être ces matins nauséeux quand on croit que tout va bien, et qu'en se levant on essaye de tirer les draps comme on l'a toujours fait.

il se dévisage, et même lui a pitié de ce malade.

l'éclairage n'a jamais été bon, oui, il s'est d'ailleurs toujours bien tenu de le signaler au propriétaire, et a simplement essayé diverses ampoules, de plusieurs marques, des lumières plus ou moins chaudes, mais il sait aujourd'hui qu'il aura beau fouiller dans les cartons du cagibi, aucune ne fera l'affaire aujourd'hui. ni les autres jours à venir, car le problème, ce n'est pas le miroir,
ce n'est pas la salle de bain,
ce n'est pas lampe,

c'est lui.

c'est lui, le problème, et il n'a pas l'impression qu'il mérite le respect, dans cet état là. alors de l'affection...


ce jour là, il met des heures à se préparer, se nettoyer, appliquer des crèmes, ses raser soigneusement, une huile spéciale pour la moustache, une autre pour les cheveux, il y passe toute sa journée, après l'humiliation de la veille, mais ce n'est plus pour tout ces regards curieux et choqués qu'il se prépare, mais juste pour son regard. il avait toujours été exigeant avec lui même, soucieux du regard que l'on posera sur lui, mais aussi inquiet d'arriver à s'aimer en passant devant le miroir, espérant que si lui y arrive, les autres pourront aussi.

en fin d'après-midi, ou en début de soirée, il ne sait pas, les chiffres qui s'affichent ne veulent plus rien dire,
il regarde à nouveau dans le miroir, il ose pour la première fois depuis le matin.


il ne voit plus la douleur, au moins quelques instants, après s'être tant distrait pendant tout ce temps, il pourrait presque oublier comme elle peut déformer ses traits. il ne voit pas la fatigue, il a oublié l'heure, il ne pense pas à ça, pour une fois. ce n'était pas une journée passée juste car il faut bien continuer de vivre, ce n'était pas une journée où l'on espère qu'elle passera vite, comme s'il était pressé de toujours autant se détester le lendemain. car non, ce soir il ne se déteste pas. il voit son teint, un peu plus lumineux, assez pour ne pas être cruel au point de fixer ses cernes atténués, mais toujours là. il passe une main dans ses cheveux, les coiffe à peine, ses cheveux noir corbeau,



et il pense à la dernière fois que Ceylan Alterra lui a dit qu'il était beau.

depuis sa sortie de l'hôpital, Dallas n'est sorti qu'une fois.

enfin, qu'une fois de son plein gré.


cette fois encore, il avait regardé la cravate déjà soigneusement nouée par l'assistante à domicile, et avait du se retenir de cracher dessus, uniquement par peur d'abîmer le tissu. et cette fois encore, il s'était contenté d'un costume et d'une chemise, et de beaucoup de honte en choisissant des chaussures de ville sans lacets. malgré ces précautions, il savait qu'il arriverait en retard, et c'était volontaire.


comment la Matriarche des Decœur avait su ? il se pose la question, et se la repose, en boucle, en buvant avec un peu trop d'entrain un verre de spiritueux, et en n'hésitant pas à le tendre vers un des employés dès qu'il le vidait.

il était d'humeur massacrante, et se disait que s'il n'y avait qu'une bonne chose à tirer de sa famille, c'était sûrement leur cave. vivement qu'ils remplissent tous le Caveau, pour qu'il ne soit plus obligé de s'introduire dans la propriété comme un vulgaire voleur, la prochaine fois qu'il a envie de profiter des fruits d'un Clos français.


pourquoi se plaindre, pourtant, quand tout avait été si soigneusement pensé ?
un taxi l'avait attendu en bas de chez lui, il était resté dans la rue malgré le retard de presque une heure, puis on l'avait fait rentrer dans la Maison avec de grands sourires aussi faux que les siens. il avait appris l'hypocrisie chez les meilleurs, il faut le dire. c'est pourquoi il s'était aussi efforcé de rester souriant. agréable, probablement pas. un peu sec, même, lorsque le premier plat fut servi après le potage, et qu'il put constater que pour chacune des délicieuses recettes, les morceaux de viande et de légumes étaient déjà coupés en morceaux par le cuisinier. ils avaient même poussé le vice jusqu'à réserver ce traitement à toute la famille, pour ménager son égo fragile.

que d'attentions. et que de critiques, aussi, à peines cachées derrière la curiosité et l'inquiétude. tout de même, n'a-t-il pas choisi une vie de saltimbanque, avec ce travail ? il serait bien mieux ici, près des Siens, au moins le temps de sa convalescence. et à chaque pique, à chaque couteau qu'on plante dans ses chairs, Dallas boit une gorgée, et laisse son esprit divaguer dans les côteaux ensoleillés qui ont permis la création de telles bouteilles.



et puis après le café et le repas, quand les hommes se retrouvent dans le Petit Salon et offrent volontiers des cigares au vilain petit canard qui se contente de cigarettes depuis des années, il prend sur lui, et les accepte, tout en oubliant les affronts dans les spiritueux et la fumée lourde qui emplit la pièce.


quand il rentre enfin chez lui, Dallas s'effondre immédiatement sur son lit, étonné d'avoir réussi à tenir debout jusque là, et ne prend même pas la peine de se déshabiller. il ne sait plus si l'alcool l'aide à faire oublier, ou l'enfonce dans son malheur. il s'endort vite, non sans ressentir une dernière vive douleur,
celle de la honte.

c'est dur, en fait de ne pas travailler.

vu ses deux sorties, Dallas n'a toujours pas envie de sortir.


pas de sortie, pas de boulot. pas de boulot, pas de distraction. pas de distraction... veut dire rester seul à tourner en rond.
parfois, la douleur lui rend service et le met hors d'état de nuire pendant si longtemps qu'il n'a pas vraiment le temps de s'ennuyer. mais parfois il n'a pas cette « chance » et doit trouver quelque chose à faire pour ne pas devenir fou. écouter la radio est clairement interdite, et la télévision n'est pas d'une grande aide. les livres l'épuise vite, et la musique n'est pas si efficace.

il n'y a rien.


juste

le

temps

,

qui

passe

.



il aimerait bien avoir eu la supplication d'un admirateur,
mais il ne mérite rien d'aussi flatteur, il le sait bien.

alors une fois qu'il sait le danger de la septicémie écartée, et une fois qu'il est persuadé que s'il reste une seconde de plus chez lui, il cassera tout, et se fera ensuite casser les genoux pas le propriétaire, Dallas craque, rend les armes,
et retourne au travail.

c'est un cadeau de mariage,
cette montre.

c'était un mariage privé, caché, presque, donc Dallas n'avait prévenu aucun de ses proches, surtout pas sa famille, il était déjà assez détesté comme ça pour en rajouter. donc pas de listes de cadeaux, pas de jolis sourires en voyant la une des tables se couvrir de belles boites emballées pendant la réception.

donc c'était en fait son unique cadeau de mariage, cette montre,
offerte par son mari.

« tu es toujours en retard... » « mais c'est important, de se faire désirer. » « ... bon. au moins, tu auras un joli accessoire de plus. »


Dallas avait continué de la porter presque tous les jours, malgré l'éloignement, les disputes, puis le silence, terrible silence, et encore pire, la solitude. mais la montre, elle, restait, souvenir du moment où Atlas était heureux de se marier avec lui.


chaque matin, Dallas la prenait, posée soigneusement sur sa table de chevet, et la mettait à son poignet gauche. la main où il avait porté sa bague. après le divorce, il avait gardé son alliance... et celle d'Atlas, abandonnée sur la table avec les papiers du divorce, seul souvenir de lui. après le divorce, il portait parfois encore la bague, à la main droite, et cette montre,
à la main gauche.




il la regarde depuis des jours, cette montre.
il ne sait pas depuis combien de temps il a arrêté de la porter, entre l'hôpital et les mauvais jours, deux semaines ou trois, peut être ? deux ou trois de trop, il le savait. car il s'était attaché, il ne sait pas pourquoi. ce n'était plus par désespoir, ni par espoir stupide qu'Atlas revienne, non, tout cela était de l'histoire ancienne, maintenant, bien qu'il y pense encore, mais dans ces moments là il n'est plus habité que par de la tristesse.


c'est le 26e jour sans porter sa montre,
et ce matin il ne doit pas sortir, mais il demande à l'infirmière qui vient le matin de l'aider à la mettre à son poignet droit.

sombre, il fait sombre dans la chambre, et Dallas pense au bureau de l'avocat Blumenkranz, sans même comprendre le lien, après tout, il n'y a été que de jour. il n'y a été qu'une fois, en tout et pour tout, une belle fin de matinée, vers 11h, et ne comptais plus jamais y remettre les pieids.

il n'a jamais eu une mémoire photographique, mais il se souvient de tout. du bureau, de la façon dont il brillait au soleil, de la lampe soigneusement posé dessus, de la fenêtre, des rideaux choisis avec goût, du parquet... ah.
c'est peut être le parquet, peut être que celui de sa chambre est trop similaire ? tant pis, il faut sortir de la pièce. sortir de la chambre, ou du bureau, mais sortir, boire un verre, changer de vêtements et essayer de ne pas compter le nombre de fois où il s'est réveillé trempé de sueur avec la même impression et le même malaise.

mais.

quelque chose l'arrête.

là, dans les ombres de la pièce,

une forme qui se détache de derrière la chaise et la pile de vêtements,

...

une

forme

qui

G R O N D E ?



et là, Dallas ne peut plus bouger, qu'il le veuille ou non,
son corps refuse d'obéir et il ne peut que voir du coin de l'oeil la bête canine qui gronde et s'approche de lui, monte sur son lit, et chaque patte qui s'enfonce dans le matelas vide les poumons de Dallas, et pourtant son cœur bat et s'emballe comme s'il cherchait à s'enfuir de sa poitrine,
mais le molosse doit le sentir, car il pose une patte sur son torse, et semble appuyer de tout son poids. la pression est telle qu'il ne peut plus ni respirer, ni bouger. Dallas est paralysé sur le lit, le chien si près de lui qu'il sent son haleine chaude contre son cou.


et c'est un horrible jappement qui le réveille enfin et le fait tomber du lit en tentant de fuir la bête.

Dallas abandonne vite, quand il cherche le sommeil.

il avait toujours eu des problèmes, c'est vrai, mais passagers. ponctuels.

maintenant, chaque soir, allongé dans son lit, il fixe l'écran de son téléphone, ruinant tout espoir d'avoir une bonne nuit en tuant son cerveau avec la lumière bleue. parfois, il regarde des vidéos jusqu'à ce que ses yeux soit trop douloureux. parfois, comme ce soir, il relit la longue liste de ses contacts.

toi..
toi.
toi ?
oui, toi.
oh, toi ?
toi.
toi.

tout ces numéros, tout ces gens, il les a aimé, au moins un peu, il n'a enregistré que les numéros de ses conquêtes et ses date potentiels, après tout, il les a tous choisi(e)s.

et pourtant, comme d'habitude, il se dégonfle, soupire, éteint quelques secondes l'écran de son téléphone, et n'appelle personne. ce n'est pas vraiment l'envie qui manque mais... les questions tourbillonnent, est-ce que c'est normal de dépendre autant des autres ? de n'exister qu'à travers leur regard ?

maintenant qu'il a peur de trouver de la pitié au fond de leurs yeux,
il voudrait exister juste pour lui.


dans le fond, il n'a jamais choisi personne. comme un trou noir de sentiments, il a juste accepté tout ce qu'on a bien voulu lui donner, jusqu'à accepter le mariage sans même vraiment y croire, simplement convaincu qu'il serait enfin rassasié, qu'il serait enfin assez aimé. mais c'est Dallas, qu'on aime. plus ou moins.



si seulement quelqu'un pouvait choisir Donovan Decœur.

il est aigri, Dallas, et malheureusement, ça ne lui va pas du tout au teint.

c'est bien la première fois, qu'il se découvre ainsi, dans le miroir. ce n'est pas la première fois pendant sa « convalescence », mais il est presque étonné à chaque fois qu'il croise les sourcils froncés dans la glace de l'entrée ou de la salle de bain.

il ne se reconnait pas vraiment, en entendant les remarques sèches et blessées, les piques qui manquent un peu trop d'humour pour être sarcastiques, en entendant tout ces coups de couteaux qu'il lance à l'infirmière et à l'assistante à domicile, comme si c'était leur faute à elles. comme si elles l'attaquait, avec leurs regards emplis de compassions et leurs gestes attentionnés.

même sa voix n'est plus vraiment la même, elle dont il prend pourtant soin, elle est devenue plus fatiguée, plus rauque aussi, de tant crier dans la nuit pour chasser les démons aux crocs acérés qui prennent toujours le même visage pour le tourmenter.


il voit cet air aigri, qu'il déteste, qui lui va si mal, mais qu'il n'arrive pas à effacer. pas de crème ou de fond de teint, pour ça,
alors il renonce encore une fois à sortir,

et noie sa soirée dans les médicaments, des cocktails audacieux qui lui arrachent un sourire quand ils parviennent enfin à l'aider à rejoindre le sommeil, maitresse si volage depuis quelques temps.

cela faisait longtemps que Dallas n'avait pas pensé à quelqu'un d'autre que lui.

bien sûr, sa personne reste l'objet préféré de ses pensées, mais depuis des jours il pense à cette même personne, qu'il n'a jamais revu, qu'il ne veut jamais revoir, qu'il ne reverra jamais, même s'il ne le sait pas. les nuits, trempé de sueur, tremblant dans son lit trop grand, il pense à cette dernière journée passée avec lui,
la dernière journée de sa vie,
mais la journée c'est un tout autre moment qui revient.

les premiers sourires devant un café au prix honteusement cher. les premières insultes, quelques piques, et toujours ces sourires faussement enchantés. enfin, son égo blessé, qu'il a tenté de soigner, en insistant, trop, beaucoup trop, en courant après le diable et en tirant sur sa queue en pensant que tout ira bien. non, il n'a même pas pensé ça, en fait, Dallas, car il n'a jamais cru une seule seconde que quelque chose puisse mal se passer.


et puis ce matin, devant les grimaces de l'infirmière qui doit à nouveau sortir du fil et une aiguille, et qui le réprimande, devant les gouttes de sang rouge vif qui tâchent la compresse posée sur la table,
il repense à ce couteau coincé dans sa main. planté, oui, mais coincé, car il n'avait pas osé le retirer, et puis les urgentistes lui ont dit qu'il avait bien fait.

il repense à ce moment dans la salle d'attente, les deux mains couvertes de rouge, et cette pensée le fait frissonner, mais il ne sait pas si c'est en repensant au sang, ou en pensant à ses deux mains crispées. les deux.
elles étaient là.
les deux.
rouges.
couvertes de sang.

et ce couteau qu'il garde encore dans un tiroir de sa table de chevet,
ce couteau qu'il a glissé dans la poche de son pantalon les deux fois où il a du sortir de chez lui.

la langue collée au palais, il a le goût du sang dans la bouche,
un goût métallique qui emplit tout,
il ne sent rien d'autre, que ce sang qui emplit sa bouche,

et il se demande,
les yeux dans le vague,

« est-ce que c'est ce qu'il a ressenti ? »


c'est juste un steak, l'assistante à domicile a sûrement voulu lui faire plaisir. elle le voyait devenir maussade et aigri au fil des jours, et se renfermer, son état empirait alors qu'il aurait du s'améliorer, comme sa cicatrice, qu'elle n'avait vu qu'une fois, mais non.
alors elle était partie au marché, et s'était approchée des étals des bouchers. elle avait inspecté, là bas, d'un œil connaisseur, et quand elle avait trouvé une belle pièce qui lui semblait convenable, elle avait du négocier, oh, elle sait se défendre. et elle était repartie avec le petit paquet bien emballé dans le papier blanc, heureuse, en sifflotant. et puis elle avait sonné et était entré, en demandant si tout allait bien, comme d'habitude. au moment de cuisiner, elle avait demandé quelle cuisson il préférait, mais il n'avait rien dit, peut être trop assommé par le nouveau dosage des médicaments. mais une si belle pièce, voyons, ça ne se demande pas de toute façon, on doit la faire saignante !

et en repartant chez elle, elle se demandait si Dallas avait aimé ce repas.


« est-ce que mon sang a le même goût ? »

bon, alors, comment ça va ? ça fait longtemps qu'on ne s'est pas vus, non... euh... attendez, que je me rappelle...

ah oui, oui, c'est bien ça. alors, d'après ce que l'infirmière m'a dit, la cicatrisation se passe plutôt bien ? ... oui, voila. comme je vous l'ai dit au moment de votre départ de l'hôpital, c'est surtout ça, le plus important, une bonne cicatrisation. une fois que l'on est sûr que le moignon n'a plus de risque d'infection ou de s'ouvrir à nouveau, et une fois que l'on est sûrs qu'il pourra supporter du poids, là, on pourra commencer à prendre rendez-vous avec un prothésiste pour la suite.

et comment ça se passe, au niveau des douleurs ? vous en avez encore régulièrement ? alors, c'est très courant, ne vous inquiétez pas, surtout vu les... enfin, surtout vu votre cas. la prothèse pourra d'ailleurs aider avec ça, si les douleurs persistent encore quand vous pourrez en avoir une. ça aide le cerveau à combler le manque du membre, vous comprenez ?

bon, mais si c'est encore très intense... oui, l'infirmière m'a dit de réfléchir à un autre traitement pour la douleur. mais personnellement, je pense que vous auriez aussi besoin d'un accompagnement psychologique, au vu des circonstances, cela pourrait sûrement beaucoup vous aider, avant de prescrire des anti-douleurs plus puissants. vous... qu'en pensez vous ? ... ah. oui, mais...
enfin...
vous savez...
non, mais...
d'accord...
avez vous pensé à...

... bon, très bien.

le médecin coche une case sur son formulaire, et semble un peu tendu.