août 2007, maison familiale des Celestial

Les doigts dans les rivières de rubis tu observes le reflet de vos deux visages.

Leon, Leon, Leon.
Il te sourit, tu restes de marbre, toute sa tendresse coule sur toi, tu es imperméable. Tu as toujours été ainsi, piégé entre le frère et la sœur, piégé entre deux anges. Et toi, toi qui n'en a que le visage. Toi, la statue.

Souris un peu, Numa, on dirait que tu as vu un fantôme.

Vous avez quelque chose comme une dizaine d'années, mais Leon est déjà le meilleur, meilleur que tout ce que tu pourrais devenir. Tu veux le protéger. Tu veux le protéger de tout, même si ce n'est pas ton rôle. L'éclat froid de la paire de ciseaux entre ses mains te ramène à la réalité. Il te regarde avec intérêt, tu te perds dans l'or de ses yeux, il sourit, attendant une réponse.

Alors, tu promets ?
Quoi ?
Tu ne les couperas jamais ?
Je promets.

Tu promets, Numa, il jette la paire de ciseaux dans la corbeille près de la coiffeuse, tu observe le reflet argenté à travers l'osier, songeur. Tu ne sais pas ce que tu as promis. Ce ne sont que des cheveux. Ce n'est rien. Il perdra sans doute patience, avec le temps, Leon. L'idée lui passera. L'idée lui passera, oui, c'est ça.


( Son visage te manque )
( Ancré dans tes souvenirs, tu ne pourrais l'oublier )

oublie oublie oublie oublie

La boule au ventre lorsque tu traverses le parking de l'hôpital à grandes enjambées.

L'appel de l'opératrice résonne en toi, comme si tu étais entièrement fait de vide et de poussière.

Leon...
L e o n-

Les portes automatiques sont trop lentes, tu t'y glisses comme on cherche de l'air, comme on cherche la surface du lac qui nous noie.
Tu bouscules une femme, un homme, un enfant,
ton visage est rongé
r o n g é

Il ne peut pas te quitter, il ne peut-
Il a promis, il a promis de ne jamais t'abandon-

Monsieur Celestial ?
Le brun t'observe d'un air triste, d'un air morne,
son vide résonne
avec
le
t i e n

Je suis désolé.
Tu cilles,
tu chancelles,
il te tire jusqu'à une banquette,
tu t'effondres
tout en toi est cassé,
détruit
ravagé.

Leon est parti, Leon est parti.
Tu ne peux pas hurler, tu ne peux pas pleurer,
soudain secoué par un doute, une interrogation, une peur panique, immense, soudaine,
illogique ;

les paires d'yeux te regardent avec tristesse
tout n'est que tristesse
tout n'est que tristesse et
mort.

Leon est mort.
tu souffles, au téléphone, tu l'entends souffler en retour.

il veut t'aider, il veut t'aimer
il n'y a rien à aimer,
et il n'y a rien à aider

Je suis là.

17 juillet 2021

Tu es allongé sur le lit, dans les draps clairs, il fait chaud.
Une chaleur rassurante.

Les bras en croix, les cheveux lâchés, auréole d'or sur le coton blanc.

Tu sais qu'il est là, avant même que ton visage ne se heurte à sa présence.
Il est
s i l e n c i e u x e f f r a y a n t t r o p s i n c è r e
froid
il est froid
Dans toute sa lumière et sa prestance,
Orion est froid.

Tu te noie dans le bleu de ses yeux, il est assis dans un fauteuil près du lit.
Tu ne sais pas depuis quand
Tu ne sais pas pourquoi
Tu ne sais pas non plus depuis quand tu es allongé

Tu ne sais plus.
Tu as tué pour lui, une fois.
Vous n'avez rien dit depuis.

Tu as l'impression de voir un reflet,
Une désagréable impression.

Il tend les doigts, touche ta joue et-
Tu te sens aimé.

Son vide résonne avec le tien,
sa solitude
sa colère

Tu ne le comprends pas, tu ne comprends rien Numa
Mais tu peux essayer.

Tu veux que je te lise quelque chose ?
Tu demande, la voix rauque de jours et d'heures de silence.

Je veux bien.

reviens ne me laisse pas reviens m'abandonne pas

Il est venu te chercher, à l'hôpital, tu n'étais pas capable de parler, pas capable de marcher.
On aurait dit qu'on t'avait arraché le cœur.

Les quelques minutes entre le hall et la voiture t'ont semblé des heures.
Le trajet entre l'hôpital et la maison t'a semblé des semaines.

Pourquoi le temps ne va que dans un sens ?

Tu ne voulais pas penser, tu ne voulais pas réfléchir, tu ne voulais pas te rappeler.

Alors, quand il a fermé la porte derrière toi, tu as retiré ta veste et tu as décrispé tes poings.
Tes ongles t'avaient fait saigner, et tu n'avais rien senti.
Tu avais peur de ne plus jamais rien sentir.
Tu avais peur que ton vide soit si immense, si sombre, si froid qu'il finisse par l'engloutir lui aussi.

Baise moi, tu as dis.
Il a compris, mais il n'a rien répondu.
Parce qu'il n'y avait rien à dire, sûrement.

Il n'a pas bougé, et toi non plus.
Il savait que, comme toujours, tu camperais sur tes positions.
Il avait appris à te lire par la force des choses, dans la froideur, la distance, et les maintes et maintes fois où tu avais levé les armes, les griffes, les dents, les murs pour le repousser.

Baise moi putain, tu as répété.
Il ne t'avait pas entendu beaucoup jurer, surtout pas sur ce ton.

Et Ruben t'a cédé.
Cette fois là, tu t'en es voulu de lui forcer la main.
Tu l'as supplié de te faire oublier.

Dans ses bras, ce soir là,
quand tu t'es endormi,
tu as su pour la première fois
avec certitude
qu'il t'aimerait pour toujours.

juillet 2019

Vous choisissez toujours le même banc dans le parc. A cette heure, il est à la fois au soleil et à l'ombre. Il ne supporte pas l'ombre, tu ne supporte pas le soleil. Leon mange une glace, il fait tellement chaud, il faut dire, mais ça ne t'empêche pas de boire ton thé brûlant.

Deux facettes d'une même pièce.
Lui, pourrait occulter le soleil tout entier rien qu'avec ses sourires,
et toi.

Vous vous êtes bien trouvés, je trouve.
Il lance, sorti de nul part, tu sais de qui il parle, il est censé venir te chercher dans une heure toute au plus. Il sera en avance, il est toujours en avance pour venir te chercher. Dommage, tu serais bien passé au musée, aujourd'hui.

Tu n'as pas répondu, il ne le souligne pas, il se contente de passer une mèche blonde entre ses doigts, comme un moyen de pression, tu déteste ça. Tu l'aimes, autant que tu peux aimer, mais tu le détestes aussi, de te tenir en otage avec sa chaleur, comme si tu ne pouvais pas vivre sans. Tu souffles sur les volutes de fumée claire, il reprend :
Il a l'air de beaucoup t'aimer.

Idiot, tu penses. Il ne connait rien à l'amour, Leon, il s'entiche du premier abruti qui lui sourit, il ne se passe pas un mois sans qu'il parle d'un homme, ça ou là. Il t'aime, il t'aime, tu n'en sais rien, tu n'arrives pas à lire en lui. Tu n'as jamais su faire. Ce n'est pas le premier qui t'approche, pas le dernier, tu penses. Est-ce qu'il t'aime, est-ce qu'il veut juste te posséder ? Mais Leon a toujours su quand quelque chose dans ton comportement était différent. Tu ne savais pas s'il était doué d'un quelconque don de divination, mais...

Et toi, tu es amoureux ?
Lâche moi.
Il rit, doucement, mais il sait avant même que tu saches. Il pressent peut-être même les catastrophes, c'est peut-être pour ça qu'il brille autant, pour compenser les années qu'on va lui prendre.

Lorsque tu vois la silhouette de Ruben se détacher dans les allées du parc, tu sais qu'ils vont parler pendant au moins dix minutes et que tu vas supplier pour partir. Mais que dans ces instants là, tu seras heureux, sans t'en rendre compte. Il le seul qui t'ai approché que Leon n'a pas séduit involontairement. Parfois, tu supposes que c'est juste qu'il n'en a pas eu le temps, après tout, il s'est bien tapé ta sœur.

Peut-être qu'il savait qu'il ne pourrait jamais revenir de ça.
Peut-être que Leon savait que ça te détruirait.

février 2020

Essoufflé, ton torse se soulève et s'abaisse nerveusement, alors que tu es debout dans la pièce, tu as hurlé tellement de fois que ta gorge brûle, tout ton corps est en feu. La chambre est en ruines, rien n'a été épargné, aucun meuble, aucun tableau, aucune peluches qui dateraient de ton enfance.

Tu as détruis tout ce que tu pouvais. Tu devais tout détruire.
Tu les entends, tes parents qui chuchotent depuis le couloir, tu les entends se demander s'il doivent appeler une ambulance, s'ils doivent appeler la police.

Il va bien, il va bien.
Il répond, pour toi, sachant que c'est ce que tu veux dire, ce que tu veux qu'ils entendent.
Lui, appuyé contre l'un des murs, les bras croisés, il a des griffures sur la joue, et surtout pire ailleurs.
Tu ne sais pas, tu as essayé de lui éviter la tempête, mais il s'est interposé.

Lorsque tu t'écroules, tes genoux tapent fort contre le parquet. Personne ne dit rien, ni tes parents, ni Ruben, et ta colère qui t'a empli pendant les vingt bonnes dernières minutes s'est envolée.

Il ne reste que le vide.
Et le vide se heurte à lui, ricoche.

Pourquoi n'est-il pas encore parti ? Tu lui as hurlé tant de fois, pourtant, tu lui as craché tant de venin au visage, et il n'a pas bougé, il n'a pas cillé, il a sourit, il a tendu les bras, il a tendu la joue pour se faire battre.
Connard.


Qu'est-ce qu'il espère accomplir, même ?
Est-ce qu'il veut qu'on lui donne une médaille ?
Ton fiancé, l'idée te glace.

J'ai froid,
tu annonces.
Il te regarde, ne répond pas, ne bouge pas, tu t'a plus la force de t'agacer.

décembre 2019

Tes doigts vont et viennent sur la bague à ton annulaire.

Tu te sens mal à l'aise dans le costume sombre,
observe le trou béant dans la terre,
observe le cercueil de bois clair,
observe ta sœur et ses yeux plein de larmes,
observe ta mère qui cache ses sanglots,
observe ton père qui t'observe en retour.

Tu n'as rien à faire là.
Tu n'as rien à faire dans cette famille.

L'enterrement est long, si long.
Tout le monde veut vous serrer la main, tout le monde veut vous donner du courage, vous dire que tout ira bien, qu'ils sont là, que c'est triste, que c'est dommage, que c'est injuste. Le regard de ton père te brûle, tu le sens dans ta nuque, tu le sens dans chaque seconde, il ne te quitte pas des yeux. Tu n'as pas fait de crise, depuis l'annonce de l'accident, de la mort. Tu n'es resté que vide, que silence. Tu n'as pas dis un mot à qui que ce soit d'autre que lui. Ton paternel attend que tu exploses, et dans sa façon de faire, il te supplie de ne pas le faire ici. De ne pas le faire maintenant. Alors tu prends sur toi. Tu prends sur toi et chaque minute en est un coup de plus que tu devras porter, plus tard.

L'enterrement, puis la veillée, puis lorsqu'ils sont enfin tous partis, tu prends l'air. Et tu marches, tu marches, tu marches si longtemps.

Tu réalises que tu ne sais pas où tu es.
Tu n'es plus en ville.

Tu marches sur le bord d'une grande route,
il fait nuit,
il fait nuit et froid.

Il fait nuit et tu supplies le ciel de ne jamais laisser le soleil se lever à nouveau.
Tu n'as pas envie d'être réchauffé, tu n'as pas envie d'être rassuré.

décembre 2020

Le soleil filtre à travers les rideaux légers, dans la petite maison,
dans la petite chambre.
Tu observes les grains de poussière qui volent calmement,
tu observes son torse qui se soulève de ses respirations.


C'est rare de te réveiller avant lui,
c'est rare d'apprécier ces moments,
c'est rare de ne pas avoir envie de fuir.

Tes doigts trouvent ses cheveux, sa peau brûlante, ses lèvres,
patient, sûrement,
heureux, peut-être,
amoureux, assurément.

Il ne se réveille pas, il dort profondément, et les caresses s'étirent,
s'étirent
s ' é t i r e n t,
je t'aime, tu murmures, il n'entend pas, tu ne t'agaces pas.
Merci de m'apprendre à aider, tu ajoutes, il n'entend pas.

Personne avant lui n'a voulu t'apprendre.
Personne n'a voulu te montrer,
personne n'a vu ton monde se déchirer sans vouloir échapper à la tempête,
lui s'est tenu debout dans l'œil du cyclone, accueillant toutes les vagues,
prêt à les arrêter, à les retenir.

Tu ne le comprends pas, mais...
Tu peux au moins l'accepter.

Tu baisses les défenses, tu le sais, tu le sens.
Ça te fait peur, il ne peut pas comprendre comme tu es terrifié d'aimer à nouveau, après tout ça.

Tu seras déjà parti à son réveil.