Asseyez vous,
Je vais vous parler un peu de la famille Castiglione. Je vous le cache pas, c'est un beau bordel. Je ne vais pas remonter des générations en arrière non plus.

Alors, partons de la fratrie d'Andrea. Et ! Vu qu'il s'agit de l'aînée, on va commencer par le cadet.

Lissandro Castiglione, né en 2006 à Lucera.
Il a quinze ans, les yeux marrons de sa mère, les cheveux châtains de son père, les joues encore rondes de l'enfance et est clairement le plus gâté des enfants Castiglione. Des montagnes de jouets en tout genre. C'est un gamin sociable, qui ramène ses copains aussi souvent qu'il le peut à la maison.

Je lui ai appris à coudre il y a quelques années, parce qu'il voulait impressionner une fille à l'école dont le doudou était déchiré. Le cœur sur la main, je n'arrête pas de lui dire de faire attention. D'après lui, au moins quatre filles au collège lui ont brisé le coeur. Il est un peu brusque, mais jamais avec de mauvaises intentions. Maman dit qu'il deviendra un époux aimant et un merveilleux père. Moi je dis à Maman que ce serait déjà bien qu'il termine la crise d'ado.

Vu qu'une famille fonctionnelle ne va jamais sans un élément perturbateur, laissez moi vous la présenter.

Dalia Castiglione, né en 2004 à Naples.
Des yeux bleus et des cheveux blonds comme les blés. Dalia n'est pas vraiment une Castiglione, pas vrai ? Papa n'a rien dit pendant toute la grossesse, et toujours pas à l'accouchement. Personne n'en parle jamais, mais tout le monde le sait.

Avec Dalia, ça ne passe pas. Ce n'est jamais passé en vérité. Rien à voir avec sa parenté, honnêtement. Maman m'a dit pour son aventure pendant la grossesse et ça ne m'a jamais empêcher d'aimer la petite, ce ne sont pas mes affaires. Dalia a bientôt terminé le lycée, mais elle est à la dérive. J'aimerai vraiment l'aider, mais chaque mot qui sort de ma bouche semble tout droit sorti des Enfers, pour elle. Je l'ai surprise en train d'embrasser une de ses amis, derrière l'Église, peu avant mon départ. C'est peut-être ça. C'est peut-être ça qui l'inquiète tellement, Dalia.

J'aimerai rentrer, prendre mon visage dans ses mains et lui jurer qu'elle ne fait rien de mal, qu'aimer n'est pas un vice. J'aimerai lui promettre de ne jamais l'abandonner, mais ... Pourrais-je rentrer à la maison ?

C'est récent, vous savez. Je ne les ai pas quitté depuis si longtemps, mais ...

Lorenzo Castiglione, né en 2002 à Lucera.
Il m'arrive de me perdre dans les yeux verts de Lorenzo, comme si j'y trouvais un écho aux miens. Il ressemble à Papa, dans les bons et les mauvais aspects, c'est sûrement pour ça qu'ils se détestent. Il s'est lancé dans des études de droit, il a un an d'avance sur les autres. Ce n'est pas un génie, mais il est travailleur.

Tout ce que Lorenzo a, il le tient de son acharnement. Il est celui qui gâte le plus Maman pour la fête des mères, et il a raté Noël l'année dernière. C'était la première fois, il s'est fait incendier. Lui et moi, ça passe ou ça casse. Je crois qu'il aime bien Kees, je crois qu'il aime bien Vassili aussi. Je ne sais pas, je n'arrive pas à le lire. Lorenzo est une énigme, Lorenzo est une boîte fermée à triple tour dont il aurait lui-même avalé la clef. Je pense qu'il lui est arrivé quelque chose, quelque part entre sa naissance et maintenant, quelque chose que je ne sais pas, quelque chose que je n'arrive pas à décrypter. Même s'il m'envoie des appels à l'aide, je n'arrive à en saisir aucun.

Je rentrerai, je te le promets. Je rentrerai et je t'aiderai à guérir, Lorenzo.

TW : mention d'automutilation et de troubles alimentaires.

Serais-je toujours la même, quand je finirais par rentrer ?

Valentina Castiglione, né en 1999 à Lucera.
J'avais neuf ans quand Valentina est venue au monde, et je m'en souviens encore. Je me souviens de Maman hurlant de douleur, malgré le fait que nous étions dans le couloir, avec Maria et Luciano. Je me souviens de Papa lui faisant la promesse que Valentina serait la dernière, et qu'elle n'aurait plus jamais à souffrir.

Est-ce qu'on t'a tous fait mal comme ça, Maman ?

Valentina est une danseuse, elle est entrée à la Scala a ses neuf ans. Je ne sais pas si Tina était déjà fissurée avant, mais la danse a fini de la briser. Je ne compte plus les fois où je l'ai entendue hurler sous la douche, faire des crises de larmes alors qu'elle pensait que l'eau couvrirait les bruits. J'ai appelé les urgences deux fois, pour elle, après l'avoir retrouvée inconsciente chez elle, à Milan. J'ai tenu ses cheveux un nombre incalculable de fois, pour qu'elle puisse se faire vomir. Chaque repas de famille était une torture pour Tina. Chaque fois que son corps prenait des formes, j'ai dû retenir sa main pour ne pas qu'elle se charcute. Je n'ai pas toujours réussi.

Dans une famille où les secrets sont aussi nombreux, parfois innocents, parfois terribles, Tina n'a jamais pu recevoir une véritable aide. Maman savait, mais elle était terriblement occupée, et Papa ... Papa a fait tout ce qu'il pouvait, mais leur lien s'est rompu, usé par le temps.

Peu avant de partir, elle m'a dit qu'elle était amoureuse, et qu'elle avait trouvé un nouveau psy. Qu'elle avait arrêté de fumer, et de boire, et qu'elle allait mieux.

Après ça, j'ai guetté chaque appel, la boule au ventre qu'on m'annonce le pire.

Je te promets qu'un jour ce sera sincère, Valentina.

...

Maria Castiglione, né en 1997 à Lucera.
Conçue à Paris pendant le renouvellement des noces de Papa et Maman, mais née à la maison. Maman n'a même pas eu la force d'attendre l'ambulance. Elle est juste arrivée au milieu du salon, comme ça. Je l'ai appris bien plus tard, je n'étais pas à la maison ce jour là, et je n'ai rencontré Maria qu'une fois qu'elles étaient arrivées toutes les deux saines et sauves à l'hôpital.

Je n'ai jamais vraiment su pourquoi Maman ne voulait pas voir Maria, pourquoi elle était toujours trimballée de bonnes sœurs en bonnes sœurs. Je n'ai jamais demandé non plus. Papa semblait en souffrir, en tout cas. Si j'étais son trésor, elle était son chef-d'œuvre. Maria et moi avons eut beaucoup plus de complicité que je ne l'ai jamais imaginé. Bien sûr, à côté du duo que je formais avec Luciano, elle devait se sentir bien seule, et le fait de ne pas tellement s'entendre avec Tina n'arrangeait pas les choses. Mais elle m'a toujours acceptée et encouragée dans tout ce que j'entreprenais.

Bon, sauf cette fois où elle a débarqué dans ma chambre, en furie pour me dire avec le ton le plus sombre que j'aurais pu humainement imaginer :
« Comment ça, vous avez déjà consommé ? »

Ce jour-là, Maria, j'ai prié pour que tu ne racontes rien à Maman, et j'ai appris bien plus tard qu'elle nous avait entendu. J'ai encore honte quand j'y pense... Tout cela me fait penser qu'avec les années, nos absences respectives, la médecine pour toi, l'art pour moi, nous sommes devenue des étrangères l'une pour l'autre.

Quel gâchis.

Tu me manques, tu me manques tellement.

Luciano Castiglione, né en 1991 à Lucera.
Je ne me souviens pas d'un monde sans lui, je ne me souviens pas d'un été sans lui. Dès l'école, Luciano avait un an d'avance, et aussitôt ensemble, nous ne sommes jamais quittés. Parfois, on nous demandait si nous étions jumeaux, et nous répondions toujours à l'affirmative. Quand bien même c'était faux. Mais au fond, quelle importance ?

Aujourd'hui, quand je passe devant tes étals de fleurs colorées, je me demande si c'était vraiment ce que tu voulais. Je me demande si tu voulais vraiment revenir à la maison après tes études, si tu voulais vraiment récupérer la boutique de nos grands parents. Si tu voulais vraiment de ça. Je sais qu'au fond j'ai raison, je l'ai su après que tu fasses un trait sur ta dernière relation, parce qu'elle ne voulait pas quitter Rome pour Lucera. Tu prends soin de Maman, tu prends soin de Papa, et des plus jeunes, mais ce n'est pas ton rôle, Luciano.

Je pense que je l'ai compris trop tard, dans l'avion, sans doute, ce regard que tu m'as fais après avoir appris pour les billets... C'était un appel à l'aide. Toi aussi, tu voulais venir, toi aussi tu voulais tout plaquer et tenter autre chose. Bon sang, je suis idiote. J'aurais dû te supplier de venir, de m'accompagner.

Je le sens dans chacun de nos appels, tu comprends que je mens, tu lis à travers moi, tu me connais par cœur.
Je sens ton cœur se briser à chaque fois que je souffle que je rentre bientôt.

Tu dois être si fatigué de m'avoir supportée et soutenue tout ce temps, pourquoi est-ce que je m'en rends compte que si tard ?

Avant d'attaquer le reste de la famille, il me semblait important de faire une courte interlude pour évoquer les deux hommes de ma vie.

Vassili Kalantzis, né en 1991 à Firá.
J'ai rencontré Vassili au cours d'un voyage scolaire en Grèce, et il était mon correspondant. J'attendais toujours avec impatience de recevoir ses lettres. Même si je pense que déjà à l'époque j'avais conscience que ce qu'il racontait ne faisait pas toujours sens, je les ai toutes gardées, je les d'ailleurs encore avec moi. Vassili a toujours été quelqu'un d'adorable avec moi, quand les autres n'y allaient pas de main morte. Et j'ai un journal à part du mien pour y étaler tout ce que je me souviens de nos moments passés ensemble, ou de ce que ses sœurs ont pu me raconter. Je me suis promis de lui donner, un jour, pour qu'il se raccroche à quelque chose de concret.

Vassili a été là pour moi, même s'il ne pouvait sécher les larmes, ou enlacer de part la distance, il écoutait, il était attentif, il conseillait, il distrayait. Tous les soirs où je m'endormais finalement, bercée par les crises de larmes et les histoires astériennes qu'il voulait bien me raconter, je chérissais son existence et le fait qu'il n'ait pas encore voulu me rayer de sa vie.

Et si ça changeait, maintenant ?
Je ne sais plus tellement quoi penser de tout ça.

(Je suis toujours persuadée que tu es fou amoureux de Luciano, Vassili, quoi que tu en dises.)

Oh, mon amour...

Kees Vanobbergen, né en 1995 à Leeuw-Saint-Pierre.
Il a volé mon cœur il y a de ça des années. Quand j'ai rencontré Kees, ça me semblait être une évidence, quelque chose d'encré en nous depuis toujours. Je n'ai jamais douté de mon choix, et je n'ai jamais voulu revenir dessus, malgré les épreuves que nous avons traversé, et que vous traversons encore, ça a toujours été Kees. N'en déplaise à ma mère, ou à Luciano, ça a toujours été lui. Et ce sera toujours lui.

Je ne sais pas pourquoi le destin semble vouloir s'acharner sur nous à ce point et pourquoi notre vie de couple a soudainement pris des allures de tragédie grecque - quelle ironie - mais ce n'est pas grave. Il n'existe aucune épreuve que nous ne sommes pas capables de traverser et il est hors de question de tirer un trait sur tout ça. J'ai toujours fait aveuglément confiance à mon instinct, et mon instinct me hurle de m'accrocher coûte que coûte à Kees.

Désolée, tu ne risques pas de te débarrasser de moi avant un bon moment. ♡

Regarde le ciel, même si je suis loin de toi, même si les teintes sont différentes, ce ciel est le notre.