Tu ne comptes pas tes pas, juste tes respirations. C’est ça qui te pousse si loin, si fort, si vite. Tu n’as plus la douleur, juste l’adrénaline. Tu traverses le métro sans le voir et tu finis par atterrir les égouts. C’est l’odeur qui te ramène à la réalité, avant tout. Tu te recroquevilles là, pour regarder autour de toi. Ça ne te fait pas peur, pas encore. Tu sens juste la douleur qui pulse en toi, doucement, comme si ça commençait à s’écouler dans tes veines. Accroupi dans un coin, il te faut retenir ton souffle de longues secondes pour sonder les environs, te faire le plus discret, et enfin tu relâches la tension de tes épaules.

« Ça va aller. Ta voix est basse, grondante, alors que tu ramènes tes yeux à toi. Je suis vivant, je resterai vivant. »

Enfin, tu bouges un peu ton bras, en retenant le gémissement de douleur et tu observes la blessure. Tu finis même pas arracher une bonne bande de ton t-shirt et tu viens faire un bon bandage autour de ton épaule en soupirant. Il va falloir te sortir de là, maintenant.

Tu ne pleures pas… ce n’est pas ton genre. À la place, tes yeux observent ce qu’il reste de blessure visible sous le bandage improviser. Tu te sens lourde, fatiguée, North, tu connais le contre-coup d’une blessure de ce genre. Tu sais que tu ne seras plus aussi forte, plus assez réactive, que ton potentiel de survie vient de chuter. Et pendant quelques secondes, tes paupières s’abaissent, ta gorge retient de peu un sanglot sec, et tu te sens… fatiguée, par tout cela.

Et puis tu ne peux pas t’empêcher de revoir le visage South, celui de Maddison, de ceux que tu as croisé récemment. Tu ne peux pas mourir, pas encore, parce que tu as des choses à faire. Te voilà à inspirer à fond, puis quand tu relâches ton souffle, tes paupières se relèvent et tu poses sur les égouts le regard d’une panthère, d’une lionne peut-être. Tu ne vas pas mourir, tu n’en as pas le droit. Le premier mouvement est le pire, il te coûte de lourdes doses d’énergies mais tu finis par te remettre à bouger.

« Imagine que c’est de la boue, juste ça. Tu souffles en te glissant dans les égouts odorants. La saletée ne te fait rien, mais que tu puisses t’y noyer par contre… Tu dois le faire, North ! »

Et te voilà à avancer en longeant les murs et en testant la hauteur de l’eau avant de faire chaque pas.

Ils sont là, partout. Ils vont te tuer, te dévorer, t’enchainer, et tu redeviendras la petite fille enchainée qu’on a arraché à sa famille, qu’on avait mis en cage. Sauf que cette fois-ci, North, il n’y a pas South pour t’attirer contre lui, te tenir chaud à la première nuit glacée que tu vas passer. Tu es seule et l’eau ne demande qu’à t’avaler. Tu es seule et t’as toujours pensé que tu mourrais avec lui, que tu pourrais serrer sa main une dernière fois dans la tienne, en lui souriant. Mais tu es seule.

Tu ne pleures pas, North, tu n’en as pas le droit. Tes pensées par contre manque de te faire glisser dans l’eau, alors tu ressers tes mains sur la canalisation, fine et qui suis le haut du tube d’égout, qui te sers de guide. Tu sers fort. Tu ne dois pas tomber. Pendant un instant tu t’arrêtes, pour respirer à fond, et quand tu parviens juste à sentir ton coeur en toi, c’est sur son bruit de cheval au galop que tu te concentres, pour ne plus entendre les tirs et voir la guerre.

« Tout va bien… Que tu souffles avant de te remettre à marcher dans l'égout. »

Il faut avancer. Il faut que tu t’en sorte, que tu revois la lumière de la ville et que tu retrouves Maddison et les autres. Il faut tout un tas de choses, North, et tu les listes mentalement pour ne pas céder à tes peurs. C’est plus simple de penser à la suite que d’entendre les voix de l’angoisse en toi. Ca te fait parcourir quelques mètres avant que tu ne te rendes compte du silence. Il est assourdissant et oppressant. Pendant de longs instants, c’est comme s’il n’y avait plus que l’eau et le silence, et que l’un et l’autre essayaient de te dévorer.

« Concentre-toi… Tu forces ta voix à sortir de ta bouche, à briser le silence pour repousser un des affamés. »

Et tu comprends combien tu vas finir par vriller, si tu continues trop longtemps comme ça. Tu pourrais t’arrêter, reprendre ton souffle et essayer de savoir si les deux autres ont trouvé ta piste, mais tu n’es pas assez certaines de tes forces et de la résilience de ton esprit. Alors tu reprends une inspiration, tu fais résonner dans ta tête une comptine que South chantait, au tout début, pour t’aider à sortir… et tu avances une jambe. Il faut quitter ce tube d’eaux sales….

Parfois, une odeur s’échappe de la vase et te donne envie de vomir. C’est horriblement satisfaisant, parce que pendant une poignée de secondes, tu es heureuse de sentir autre chose que le sang de ta blessure. Et puis tu refais un pas en posant le pied avec concentration et tu te remets à avancer. C’est long. La vase entrave tes mouvements et tu sais que plus tu déploies d’énergie à ne pas te noyer, plus il serra dur d’en sortir, arrivé au bout de ce voyage.

Pourtant, si tu es coincée sur cette réflexion, voilà que tout à coup, tu sens quelque chose. C’est un bruit, il se répercute dans l’endroit isolé et résonne dans ta tête aussi fort que les battements de ton cœur. C’est quelqu’un qui vient, tu en es certain… presque. Si ton instinct hurle qu’il faut attaquer maintenant, cette envie de protéger est plus forte et tu te colles à un mur, dans un recoin assombri du tunnel pour écouter.

L’idée est simple : savoir qui approche avant de se jeter dessus. Attendre le bon moment. Garder tes forces, au maximum.

Attendre. Retenir ton souffle. Garder les muscles prêts. Préparer au fond de toi ce pouvoir que tu sais être ta seule clé de survie pour l’instant. Tu n’es pas armée, North, même pas d’une arme blanche. Dans l’eau écoeurante, il s’en faudrait peu pour que tu glisses et boive la tasse. Soudainement, toi qui était écrasée sous une tonne d’informations qui devenaient pesant, tu te découvres en hyper-vigilance.

Cet homme apparait, ses yeux se fixe sur toi. Tu l’observes, sans bouger au départ. Au fond de toi, tu as cette pensée soudaine, courte et puissante, pour Fenrir, parce qu’au choix, c’est lui que tu aurais voulu voir apparaître. Mais non, c’est un inconnu, et toi tu n’as pas mille choix. Sa voix se fait finalement entendre, et quand tu comprends qu’il parle de Madison, et qu’il te connait, tu bouges, lentement, sans le lâcher de ce regard d’enfant en guerre. Pas de confiance, que de la méfiance.

« Qui êtes-vous ? Souffles-tu en sortant de l’ombre, mais sans aller vers lui. Tu gardes une distance, pour te donner le temps de réagir s’il choisit de t’attaquer. Où est Madison ? Pourquoi êtes-vous dans les égouts ?! Ta voix grimpe dans les aigus et tu te reprends en inspirant. Sortez-moi de là, et je vous écouterai. »

Tu n’aurais pas dû. Tu y penses avec une force incroyable, parce que tu refuses de comprendre qu’il a l’arme en main et que tu ne pourras pas lui échapper éternellement. Cet homme veut te tuer, tu ne sais pas pourquoi. Aedan aussi ? Ton coeur se serre, c’était un de tes collègues. Il a toujours sauvé des vies, alors pourquoi toi, North ? Pourquoi te faire mourir ce soir ?

Et puis la balle part, et tu sens le choc sans sentir la douleur. Tu pars de travers, dans la vase, alors que pendant quelques instants, ton esprit devient véritablement très silencieux. Tu sens une pensées pour South glisser en toi, comme une étoile guide le marcheur dans la nuit. Et puis c’est Madison qui emplit ton esprit et ton coeur. Et tu pourrais simplerment accepter la mort, alors que la douleur commence à se répandre en toi, à chaque pulsation de ton coeur. Tu pourrais, mais tout à coup, le visage blond qui t’a abattu s’impose et…

« NUMAAAAAAAAAAAA ! »

Un hurlement inhumain, probablement à moitié inaudible à cause de la vase qui essaie de t’enlacer pour un dernier sommeil. Tu as mal, North, et tu sais que c’est grave, mais plus rien ne compte. Tu le connais… Le frère de Madison… LE FRERE DE MADISON T’A TUE ! Tout à coup, comme un dernier sursaut de vie, ou de haine, tu te jettes sur lui. Tu ne vois pas qu’ils se battent, et qu’Aedan essaie de l’assomer. Tu ne veux qu’une chose : mourir en l’emportant.

Parce qu’après tout, North, tu as une petite guerrière, non ?