in the end —

T'as merdé. T'as même sacrément merdé, pour le coup, Karhlya et c'est bizarre, hein, mais maintenant que tu t'en rends compte, que tu réalises, et bah tu te dis que c'est un peu toute l'histoire de ta vie, finalement. Le dernier combat n'avait pas été simple, tu étais rentrée à la maison ce soir-là avec l'impression fort désagréable d'être passée sous les roues d'un semi-remorque, maman avait encore une fois insisté pour savoir ce que tu avais bien pu fiche pour rentrer dans un pareil état et comme d'habitude, tu l'avais envoyée voir ailleurs si tu y étais, te glissant péniblement jusqu'à la salle de bain pour te plonger durant des heures dans un bon bain chaud. Ton corps était toujours marqué d'hématomes et de coupures, mais tu en avais rarement vu autant, à tel point que tu t'étais fait la réflexion qu'on y voyait plus de bleu, de violet et de vert que la couleur véritable de ta peau. Tu aurais dû prendre le temps de te reposer, tu aurais pu refuser le combat suivant, bien trop proche de l'autre, mais l'appel de l'argent avait été le plus puissant. Pas que tu en aies réellement tant besoin, pas non plus que tu sois du genre à t'accrocher à quelques billets, juste que … Tu avais ce besoin, de toujours faire plus, de toujours faire mieux.

Résultat ? Un bel échec. Le mec, en face, s'était avéré sacrément baraqué, et un peu moins con que les types que tu avais l'habitude d'affronter. Oh, tu aurais pû le démolir, si seulement la douleur n'avait pas été si forte, si omniprésente. Ça n'avait pas duré longtemps, tu étais ressortie de là sur les rotules encore plus abîmées qu'avant et puis, avec encore un peu de ta fierté complètement piétinée. Bien sûr, les défaites avaient d'autres conséquences … l'homme qui engageait de l'argent, et qui pariait toujours très gros sur toi avait aussitôt demandé à ses gorilles de te rapatrier dans son bureau. Tu imaginais passer encore un sale quart d'heure, finalement, il s'était montré plutôt doux. C'est vrai … Stephen avait toujours eu un faible pour toi. « Il va bien falloir que tu me rembourses, de toute façon. Récupère juste ma commande, et on va dire que je passerais l'éponge, pour cette fois. » Un pain de glace sur les côtes, un autre sur le visage, tu lui avais lancé ce regard agacé, excédé. Depuis quand est-ce que tu devais aller récupérer ses colis, bon sang ? « C'est bon pour une fois, j'te préviens. » T'étais pas en état. L'arcade ouverte, ça avait pissé le sang. Ta lèvre inférieure était gonflée, ta tempe avait pris un bien mauvais coup, et ça, ce n'était que la partie visible de l'iceberg parce que tu avais probablement une ou deux côtes fêlées, maintenant, ça pouvait se voir, dans ta façon de te déplacer, bien moins habile et souple qu'à l'ordinaire.

C'est comme ça que tu t'étais retrouvée là-bas, à tambouriner contre cette porte. La douleur était insupportable, tu voulais rentrer le plus vite possible et pour ça, tu devais récupérer l'alcool au plus vite, en terminer avec ça, après ça, tu t'étais juré de prendre au moins une semaine pour récupérer. Comme si tu en étais capable. « Hé, machin ! Ouvre j'ai pas que ça à foutre ! »

in the end —

De la patience, tu en as, cela dit, ce soir, elle est aux abonnées absente, chassée par la douleur qui inonde et irradie dans approximativement chacune des parcelles qui composent ton corps. Te te maudis. Tu te maudis d'être finalement si peu prudente, et d'oublier si souvent que tu as des limites. Tu maudis Stephen, aussi, d'enfoncer le clou de cette défaite en t'envoyant faire ses courses … De fait, tu n'y vas pas de main morte quand tu te mets à tambouriner à cette porte. Tu as déjà mis un sacré moment à la trouver, tiens, cette porte et évidemment, ça n'a fait qu'ajouter à ton impatience.

Tu cognes, encore, et encore. Tu insistes, jusqu'à ce qu'une voix te réponde à l'intérieur et là encore, tu t'acharnes contre la porte parce qu'elle ne s'ouvre pas immédiatement et que toi, tu n'as pas de temps à perdre. Quand elle bascule enfin, tu as cette mine des mauvais jours, les hématomes n'aident pas, et ce regard incendiaire que tu réserves habituellement à ceux qui sont parvenus à te mettre les nerfs à vif. « Ouais. Très drôle. Morte de rire, machin. » Tu rajouterais presque un vieux "hahaha" pour bien appuyer sur le fait que ça ne t'arrache même pas un sourire mais à la place, sans gêne, tu te faufiles à l'intérieur en profitant d'un espace de quelques centimètres. Il fait froid, dehors, tu n'as qu'une veste légère sur le dos, en dessous, un simple débardeur, autant dire que ça n'a rien d'une tenue d'automne.

Si tu prends le temps de regarder un peu autour de toi, c'est toujours sans gêne que tu viens t'asseoir en allant te percher sur un coin de table. Là, tu viens fouiller dans ta poche pour y dénicher la carte que t'as confié ce gros abruti de Stephen et tu la tends au type, attendant qu'il s'en saisisse. « Je viens pour ce gars-là. Il a dit qu'il avait commandé plusieurs bouteilles, et il m'a envoyé les récupérer. » Tu fourres tes mains dans tes poches, te recroqueville un peu sur toi-même, profitant de la chaleur qui règne à l'intérieur. « Par contre, j'ai pas ton temps, si tu pouvais juste me filer sa merde que je puisse lui ramener, j'suis pas trop en état de m'amuser là. » La preuve, tu trembles, tu sais pas si c'est le froid ou la douleur, mais, ça te fais chier.

in the end —

Tu te dis que la prochaine fois, c'est probablement à Stephen lui-même que tu mettras sa raclée … mais tu sais aussi que c'est la colère qui parle, que tu ne seras réellement jamais en position de faire ça parce que c'est probablement ta source de revenus la plus rentable. La plus risquée, aussi, mais tu n'as jamais tenu compte des risques, et ça, c'est une chose que ta mère ne cessera jamais de te reprocher. Tu es comme ton père, qu'elle dit souvent, et quand ça revient, tu sais qu'à ce niveau ça n'a rien d'un compliment.

Tu presses l'homme de te fournir ce que tu lui demandes, seulement, une part de toi apprécie grandement d'être enfin assise, tu as même un instant durant lequel tu fixes intensément le canapé, comme si tu n'avais qu'un rêve présentement : t'allonger au milieu des coussins pour dormir durant des heures, oublier la douleur qui martèle. Toi qui est toujours en alerte, tu te rends compte que rien ne va quand tu te retrouves surprise par cette veste qui vient s'étaler sur ta tête et avec laquelle tu te débats comme si elle venait de t'attaquer. « J'ai pas froid… » Mais tu la gardes quand même contre toi, cela dit. « J'ai mal … je crois que je fais un peu de fièvre. » Un peu, beaucoup, même. Tu ne sais pas si tu es malade, si c'est dû à la faiblesse de ton organisme, ou si c'est le contre-coup de ton combat perdu, mais si immédiatement en sortant de là, tu avais l'impression de bouillir, maintenant, c'est comme si tu te trouvais dans le grand Nord en t-shirt. « Ça ira mieux quand je pourrai dormir. »

Et tu l'attends. Et tu patientes. Plusieurs fois, tu te penches un peu pour essayer de voir ce qu'il fait, il ne s'écoule sans doute que quelques minutes mais toi, tu as cette impression que ça fait des heures que tu es là, assise à attendre. « Hé … machin … t'aurais pas un peu de paracétamol ou … un truc dans le genre dans le coin ? Je crois que je vais gerber … » Il n'y a rien qui va. Ni ton état, ni ce que tu racontes. Rien. Absolument rien.

in the end —

Tu soupires, et puis c'est tout. Dans d'autres circonstances, tu aurais probablement soufflé du nez, levé les yeux au ciel pour souligner son humour d'un autre temps, mais là, tu n'es certainement pas en état de plaisanter. A la place, tu te contentes de passer une main sur ton front, il est humide de sueur froide. T'en as pris des mauvais coups, ce soir, t'as certainement bien besoin de voir un médecin mais comme toujours, tu n'en feras rien, tu vas te débrouiller toute seule parce que t'as clairement pas envie de répondre aux questions qu'on pourrait te poser. « Parce que l'autre connard veux que je m'occupe de sa merde et que j'ai pas envie de reporter. » T'aurais pu faire ça demain matin, ouais, n'empêche qu'il aurait fallu que tu te sortes du lit, que tu viennes jusqu'ici, que tu ramènes sa connerie à Stephen. Trop galère pour toi. Autant tout faire ce soir, après ça, tu pourras rentrer et dormir pendant des jours. C'est le plan.

Et au moins, il se dépêche. Tu le vois s'agiter, même si c'est clairement pas encore assez pour toi, parce que, tu sens bien que ça va mal, que tu vas finir par ne plus savoir tenir debout, et que t'aimerais pouvoir ramener sa commande à Stephen avant que ça arrive … Espoir, hein. Parce que ça tourne, ça fait mal. La douleur éclate de partout, comme si ton corps essayait de te forcer à tout arrêter ici et maintenant.

En quelques secondes, tu te retrouves pourtant avec un médicament, un verre d'eau, et même un saladier sur les genoux. Tu lances un drôle de regard à ce type avant d'avaler le comprimé avec une longue gorgée d'eau fraîche et puis, tu descends de ton perchoir, tu tangues, tu sers le saladier contre toi comme une enfant sers contre elle sa peluche … et finalement, tu te laisses littéralement tomber dans le canapé, entre les coussins. Un long soupir s'échappe d'entre tes lèvres, ça te fait un bien fou de t'allonger comme ça, ton corps semble d'ailleurs t'en remercier. « Merci machin. » Tu marmonnes, en te recroquevillant sur le canapé. « Cette espèce de gros enfoiré s'est bien lâché, quand j'irais mieux, je le défonce putain … j'ai l'impression d'être un hématome géant. » Un soupir. Une grimace, aussi. « Ca rapporte, au moins, ton business ? » Changement de sujet, ouais...