18.11.2021
Selkie Jörmungandr
shadows are falling
Le soleil est parvenu à percer l'épaisse couche de nuages, aujourd'hui. Ce genre de journée se fait rare, et tu sais, Adriel, que ça n'ira pas en s'améliorant. Bientôt, un froid plus aggressif va s'installer, tu as déjà prévu le coup en faisant des réserves de bois, tous les ans c'est la même chanson, tu rempli le petit cabanon avec du bois qui sèchera pendant un an, et puis tu commences à te servir dans le stock de l'année précédente, toute une organisation. Tu es seul ici. Tu n'as pas spécialement d'emploi fixe, si ce n'est cette activité que tu t'es créé et qui fonctionne mieux que tu ne l'aurais imaginé, pour autant, tu es rarement sans rien faire et quand c'est le cas, tu prends l'air. Tu parcours la forêt. Aujourd'hui, par exemple, tu chasses. Ou plutôt, tu relèves les pièges que tu as posés un peu partout autour du lac et du chalet.
La routine est bien rodée, tu commences toujours par le même, tu finis toujours par le même. Généralement, la chasse est bonne et aujourd'hui n'échappe pas à cette règle. Tu relèves trois pièges, tu attrapes deux beaux lapins auxquels tu brises rapidement la nuque, ça ne te plait pas, d'autant que tu as toujours cette désagréable impression de sentir leur vie qui file entre tes doigts, mais tu dois manger, et tu refuses toujours d'offrir ton argent aux grandes enseignes ou aux supérettes de la ville … surtout parce que c'est toujours un supplice, d'aller en ville.
C'est à peu près là que ça dérape, Adriel. Quand soudainement, aux abords du lac, presque à l'endroit exact de la découverte du corps de Rose, quelques années auparavant, tu vois cette silhouette au teint pâle et cheveux clairs allongée. Elle ne bouge plus. Et toi, si tu restes figé, si dans ton esprit, ça vrille complètement, tu finis quand même par bouger, par poser les lapins au sol et tomber à genoux auprès d'elle.
SHADOWS ARE FALLING
Il aura suffit d'un message.
Ton téléphone c'était soudainement mit à vibrer.
Tu as tendance à l'oublier, à le délaisser, ici et là. Malgré les contacts qu'il renferme, malgré tous les souvenirs que tu n'arrives pas à gérer, tu le négliges. Tu préfères toujours t'abandonner à ton travail comme seul réconfort. Alors quand ça vibre de façon si spontané dans ta main; tu paniques.
Tu perds pied.
Tu suffoques.
b̧̦̗̺͛͗̔r̡̠̗̦̻̪̬͖̘ͧ̒̎̄ṛ͚̝͈͇͙͐́r̷̜̠̾̅̽r̥̟͎̤̗ͭ̉͋ͦ͘ŕ̪͙͕̽̈́͞b̢̠̞̪̗͍͈̚r̻̣̰̜ͫ̊̐ͦ͡ṟ̴̼̱̟̟͎ͬ̄ͫr̖̳̎̿͝r̛̘̘̺̬̰͈͍̳͂̍͂͂
Ça fait si mal. Ce nom qui s'affiche, ces lettres qui forment l'identité d'une personne qui ne t'inspire qu'un néant froid.... Pourquoi? Tu as toujours cette même secousse, ce même haut les cœurs qui te donne de terribles migraines. Puis le message, cinq petits mots.
"Tu te souviens du lac ?"
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─ Non. Je ne m'en souviens pas. Souffles-tu, debout faces au lac de la foret des Astrales. Tu as le regard perdu, la respiration calme, à grand coup de brume tant la température est basse aujourd'hui. Tu ne sais pas ce qui t'a prit... pour calmer la douleur, tu t'es sentie obligée de venir ici, de chercher le lac le plus proche et de t'y rendre. Combattre le feu par le feu devant cet étendu d'eau grise.
Sans réfléchir, tu enlèves tes chaussures et retires tes chaussettes. La morsure de l'eau gelée quand tu y déposes ton pied n'a pas l'air de te déranger plus que ça... au contraire. Tu finis par délicatement y plonger tes mains, et chaque pas te mène un peu plus sous la surface du lac. Tu ne te sens pas trembler et pourtant ton corps réagis en conséquence.
Frissons désorientés
Corps au ralentit.
Et l'eau qui t'englouti, qui cherche l'entrée de ton corps offert aux abysses.
Tu souris. Tu t'échappes, une fois encore et tu espères que cette escapade sera la dernière. Mais cette même voix résonne... encore et encore...
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Tu parviens a réouvrir les yeux, grelotantes dans les bras d'un jeune homme étrange... car il a tout d'un parfait inconnu, excepté ce sentiment de ▓▓▓▓.
Ça sent la mort.
Ça sent le froid.
─Rose...? Est la première chose qui te vient aux lèvres. Un écho de souvenir, attrapé au vol, tout simplement partagé, l'espace d'un très court instant.
18.11.2021
Selkie Jörmungandr
shadows are falling
Ça recommence. Pourquoi faut-il que ça recommence ? Tu as beau chercher, tu ne vois pas la Rose qui passe son temps à te tourmenter, cette petite fille aux couettes de travers et à la robe blanche tachée de boue en permanence. Celle qui t'observe jour et nuit, celle qui pose sur toi, la plupart du temps, un regard mauvais et qui l'instant suivant vient tapoter le haut de ton crâne, ou caresse tes cheveux quand tu t'endors. Elle est toujours là, il te suffit de tourner la tête pour voir son image. Ce matin, pourtant, alors que tu presses le corps inanimé de la jeune femme contre toi, Rose n'est pas là.
Tu secoues la tête. Il y a plus urgent … si cette Rose n'est plus là, tu as une autre chance. Tu peux encore la sauver, cette fois, tu sens qu'elle respire, qu'elle bouge. Il y a même cette voix qui te parvient et qui te force à pousser sur tes jambes plus fort encore. Tu ouvres la porte du chalet d'un coup d'épaule franc, la referme d'un coup de pied du même genre et tu déposes cette fille devant la cheminée. Un geste de la main, les braises repartent de plus belle, les flammes réapparaissent dans l'âtre et propagent une chaleur plus vive. Tu attrapes une couverture, tu la déposes sur elle.
Et puis tu te tournes à nouveau vers elle. Et tu la vois. Rose. La petite fille est là, assise près de la jeune femme, son visage est déformé par une grimace, un air boudeur. Les joues gonflées, elle fixe l'inconnue avec mépris, et quand elle revient à toi, elle lève les yeux au ciel. « Tu l'as sauvée elle, mais pas moi. » Et tu sais quoi ? Quand tu poses à nouveau les yeux sur cette fille, elle n'a pas l'air d'une inconnue, c'est vrai, mais elle n'a rien de commun avec ta sœur. Elle n'est pas Rose. Rose est morte, Adriel.