il y a trop de bruit dehors. trop de monde, trop de recoins dans les pièces, trop de tout, trop de gens, et surtout trop de compassion.

on lui a offert des fleurs.

à lui.

un bouquet, si beau, mais que Dallas a détesté dès la seconde où ses yeux se sont posés dessus. glissée dedans, une petite carte qui lui souhaite un bon retour au travail, et des signatures, sûrement faites à contrecœur, ou en soufflant un peu, parce qu'il le faut bien, après tout, le pauvre, il a bien souffert.

mais c'est ça, sa souffrance : ces regards, ces attentions, ces gens qui s'écartent, ces mots doux, ces chuchotements dès qu'il tourne le dos.

Dallas serre le couteau dans sa poche et rêve de violence.


mais il aperçoit un oasis, dans ces couloirs horribles. une silhouette connue, reconnue, nationalement, même,
une silhouette qu'il est venu à aimer.

une silhouette qui offre les mêmes sourires, aussi faux, que ceux que ses lèvres forcent depuis des heures.
un autre menteur, qui cache bien son jeu,
mais les loups se reconnaissent quand ils ouvrent les yeux la nuit.

oh, Megistus, quelle agréable surprise ! et c'est dit avec un ton si faux, et pourtant il ne ment pas, cette fois, la surprise est bien agréable, car avec Alecto Megistus, on sait que notre interlocuteur ment, on n'a pas à se torturer l'esprit pour savoir si oui ou non.

alors Dallas s'approche en cachant son malaise, gêné de montrer que c'est un appel à l'aide, ou une bouée à laquelle il s'agrippe.

tout est dans le sourire.

et dans ces mains dans les poches, désinvoltes,
ces mains, n'est-ce pas ?

un changement de posture, le dos qui se redresse et se décolle du mur, ce sont le genre de détails que Dallas remarque. ce sont deux bons joueurs qui utilisent les même techniques, mais tout le monde fait semblant d'y croire, ou pas, et c'est peut être ça qui est agréable.

tout le monde sourit,
et les cochons sont bien gardés.

cette voix douce, Dallas ne s'en lasse pas, Dallas voudrait le faire parler des heures, rien que ça, et ça l'étonne presque que pour une fois, son son préféré ne soit pas sa propre voix, mais il y a quelque chose, une interférence dans la voix, une façon qu'elle a de glisser doucement, quelque chose qui donne envie de lui dire de répéter, encore et encore... quelque chose qui le ramollit.

oh, je reviens gazouiller sur les ondes, maintenant que je suis sur pied ! enfin, il n'a jamais été question de ses jambes, dans les racontars récents, et Dallas le sait très bien.

Alecto sait. Dallas sait qu'Alecto sait. Alecto sait que Dallas sait qu'Alecto sait. Dallas sait qu'Alecto sait que...

personne n'est dupe, mais tout le monde continue de jouer, et c'est peut être ça, le plus reposant.

mais oh, faiblesse, vieillesse ennemie, douleur assassine, est-ce que Dallas a oublié de prendre un de ses cachets ce matin, ou en sortant de sa réunion ? car des mots traitres lui échappent, des mots qui cassent le sourire, quelques petites secondes,
mais le beau masque se fissure.

je regrette presque l'hôpital, en retournant dans ce bâtiment... c'est une erreur, un faux-pas dans le jeu, mais c'est trop tard pour dire « pouce ».

il aurait du se taire.

oui, Dallas aurait du sourire, fermer sa gueule, et se forcer à dire que tout va bien, même si c'est dur, même si les mots font mal. de toute façon, tout fait mal.

quand les étoiles s'effondrent sur elles même avant de s'éteindre, ces veinardes, personne sur Terre n'en sait rien pendant des millions et des millions d'années. pour nous, elles semblent continuer de se consumer comme si de rien n'était. mais pour Dallas, depuis plusieurs semaines, la moindre fissure, le moindre pas de côté est douloureusement visible.

et oh, personne n'est assez méchant pour lui faire remarquer, mais c'est peut être pire, en fait, ces regards qui semblent dire « mon pauvre ». mais Alecto n'a pas ce genre de regard, pas exactement, et Dallas le sait car ses yeux sont plongés dans les siens, soudainement, sans trop comprendre ce qui s'est passé. mais il est là, et le regarde avec moins de pitié que les autres, et parle un peu trop gentiment.
et ça ne fait qu'empirer les choses. les fissures s'allongent, s'agrandissent, et Dallas essaye de tenir bon avec un sourire si faux qu'il finit par se faner.

le contact inattendu le fait sursauter et reculer d'à peine un pas, vaine tentative de défense.
mais le mal est déjà fait, depuis bien longtemps.

mais tout va bien, écoute la voix qui te parle doucement, tout va bien. je... heu... d'accord, attendez... est-ce qu'il demande un peu de temps pour trouver un lieu plus tranquille, ou un peu de temps avec de tenter à nouveau de faire preuve de compassion, il ne sait pas, mais Dallas veut quelque secondes pour lui. quelques minutes. plusieurs, même, et si Alecto le suit... eh bien, tant pis. ou tant mieux.

la salle dont il sortait il y a un instant, la salle de réunion, tout le monde l'a quittée, heureusement. elle n'est plus que peuplée de gobelets à moitié remplis de café. et de lui, maintenant, la tête baissée, la posture incertaine. rien à voir avec Alecto et son allure toujours si droite. pourquoi lui n'y arrive plus ?

vous vous ennuyiez à ce point ? il tente, blagueur, mais le ton est trop pathétique. c'est déjà trop tard pour tenter ce genre de diversions, il le sait, mais c'est plus fort que lui.