karma.
Tu es … Non. Non, en fait, Aedan, tu n'en sais strictement rien. Tu t'en es sorti, c'est tout ce que tu sais, tu es remonté de ces égouts puants et sales avec le cadavre d'une jeune femme dans les bras, tu as dû faire des pieds et des mains dans la rue, pour éviter les rares piétons qui traînaient encore et pour le reste, c'était Halloween, et tu en as profité. Tu es remonté jusqu'à l'Hôpital, tu t'es glissé jusqu'à la morgue avec elle, tu l'as déposée dans l'un des casiers et tu t'es occupé de la paperasse. Tu as tout arrangé, tu l'as fait passer pour la victime d'un malheureux accident, tu as extrait la balle, tu as tout maquillé à la presque perfection avant de rentrer, de prendre une douche bouillante et d'essayer de dormir.
Évidemment, tu n'as pas trouvé le sommeil.
Tu as pensé à Freya. Tu as pensé à lui envoyer un message avant de songer que, si tu lui racontais tout, elle viendrait jusqu'à toi. Et tu sais, qu'elle doit rester loin de toi, tu sais qu'elle ne se limite pas, et que c'est à toi de l'épargner au maximum. Tu ne survivrais pas, Aedan, si tu devais la perdre.
Quand tu es retourné bosser, le lendemain, tu as fait en sorte d'annoncer tristement la nouvelle à d'autres infirmières, tu as glissé la carte d'urgence retrouvée dans les affaires de North à l'une d'entre elles et tu l'as chargée de prévenir la personne qui était inscrite dessus. Toi, tu n'as pas eu la force de le faire, tu ne te sentais pas non plus légitime à le faire. Pourtant, tu sais, le nom qui était inscrit s'est ancré en toi, s'est imprimé au fond de ton esprit. Alors, lorsque dans les jours suivants, tu l'as soudainement vu apparaître sur la liste des patients à prendre en charge aux Urgences, ton cœur à raté un battement, tu t'es empressé d'attraper le dossier et de te glisser jusqu'au box où il avait été installé.
Lorsque tu es entré, tu lui as lancé un drôle de regard, mais tu n'as rien dit de plus. Tu as posé le dossier, tu t'es installé, et enfin, tu as ouvert la bouche.
karma.
Tu sais parfaitement qu'il est là pour elle, la coïncidence serait trop grosse, tu n'y crois pas une seconde, et pourtant, tu t'armes de ta façade habituelle, celle du médecin qui s'apprête à faire son travail. Tu te présentes, comme tu le ferais auprès de n'importe qui, tu ne cherches pas à lui dissimuler qui tu es, autrement, tu ne serais pas venu ici, tu aurais délégué, tu poses la même question qu'à n'importe quel patient. Les réponses, elles, sont franches, aussi surprenantes qu'elles pourraient ne pas l'être, tu vois.
Tu tires le rideau du box de soin d'un coup sec, signe ici que des soins sont en cours. Personne n'a le droit d'entrer, sauf urgence absolue. Ensuite, tu viens simplement attraper du matériel. Tu enfiles une paire de gants, tu attrapes un bac, tu le charges de compresses, de désinfectant, d'un anesthésiant local, d'une aiguille, de fil. Ensuite, tu attrapes le tabouret, et tu viens attraper son bras pour commencer son travail.
karma.
Tu fais ton travail, minutieusement mais avec une concentration certaine pour faire ça le plus proprement possible, tu es penché sur son bras blessé, mais tu l'écoutes, tu l'écoutes même avec une immense attention, guettant ce qu'il est venu te dire. Est-ce qui va te demander des explications ? Poser des questions ? Est-ce qu'il va t'accuser de quelque chose ? Au fond, tu es en partie responsable de la mort de son … amie, ou peu importe ce qu'elle était pour lui.
Et puis, il entre dans le vif du sujet, et toi, tu restes silencieux, tu viens anesthésier le bras pour commencer la suture.
karma.
Franchement, Aedan, tu veux lui dire la vérité. Tu veux qu'il sache, parce que tu n'as pas spécialement trop de mal à te mettre à sa place, finalement, tu veux tout lui dire dans les moindres détails, tu veux qu'il puisse apprendre de source sûre qui a tué cette jeune femme à laquelle il semblait tant tenir … Mais. Il y a un « mais » oui. Tout ça, ça vient toucher à ces histoires d'étoiles, de cercles, de liés, et tu n'es pas certain d'avoir envie de mêler quelqu'un à ça, surtout pas quelqu'un qui est … normal. Qui n'a pas le moindre pouvoir.
Pourtant, au fur et à mesure que tu parles, tu sais que tu ne pourras pas faire autrement, et quand les questions finissent par tomber, tu te retrouves à finaliser les points de suture de son bras dans un soupir lourd, si lourd. Tu t'éloignes, rapidement, réinstalle entre vous une certaine distance en retirant tes gants. Tu as fait vite. Vite et bien. Mais c'est comme ça que tu t'efforces de travailler, depuis plusieurs semaines maintenant.
Tu te lèves, tu viens appuyer sur la pompe pour prendre un peu de gel hydroalcoolique, tu frottes tes mains entre elles pendant plusieurs longues secondes, en silence, mais dans un geste nerveux.