Mais, ce lundi dix-sept janvier, alors que tu sortais d'une audience, et d'un week end chargé avec les petits, tu fus surpris de le croiser, encore une fois, et deux fois en moins d'un an, c'était trop, simplement trop. Trop pour être une coïncidence, trop pour être parfaitement supportable. La première fois, c'était pour ton divorce, et cette fois ton ex-femme n'était pas là pour s'ériger en barrière, alors tu avais abandonné ton collègue sur place et avait traversé le couloir, pas claquants sur sol de marbre impeccable, à grandes enjambées, jusqu'à le rejoindre.
Et tu ne savais pas quoi dire.
Parce qu'il n'y avait sans doute rien à dire.
Hazel. Tes mâchoires sont si crispées qu'elles pourraient se détacher et tomber à n'importe quel moment, les jointures de tes doigts sont blanchies contre les pochettes de dossier. Tu n'as pas voulu les lâcher, tu n'y as même pas pensé. Tu le détailles, de longs instants, peinant à recoller les souvenirs face à un visage qui a tellement changé. Tu avais disparu ? Je t'ai cherché. Tu préfères trahir de suite quelque chose que tu peinerais trop à dissimuler de toutes façons. Tu avais remué ciel et terre pour une piste, n'importe laquelle, et personne n'en avait. Juste... Cet homme, avec sa fille. Tu ne les avais jamais recroisés lorsque tu avais voulu lui parler.
Il n'y a eu aucune cérémonie dans son retour. Hazel est juste revenu. Alors, bien sûr, l'entièreté de ses collègues l'ont regardé avec des yeux ronds, parce que la rumeur courait avec insistance qu'il avait pris son enfant sous le bras et qu'il avait quitté Polaris, à nouveau pourchassé par son passé. Un passé trouble qui ne le lâcherait jamais vraiment complètement.
Hazel pince les lèvres, détourne le regard. Soupire. Plonge les mains dans les poches de son manteau blanc, immaculé.
* J'allais revenir.
Cephei aurait dû le savoir. Il savait qu'il revenait toujours. Qu'on veuille de lui ou non.
* C'est aimable d'avoir cherché. Il commence à passer son chemin.
...
Attends ! Attends. Reste, s'il te plait. Un instant. Tu ne sais pas ce que tu veux, tu n'es personne pour le retenir, mais tu t'efforces de ne pas le faire physiquement. Dans tes souvenirs ça avait toujours été une mauvaise idée, autant vous éviter ça, à tous les deux. Est-ce qu'on pourrait se parler, se voir ? Tu sonnes plus désespéré que tu le voudrais, tu sonnes plus désespéré que tu ne te l'autorise jamais entre ces murs, tu es loin de tes airs durs et froid lorsque tu toises Hazel Blumenkranz. Mais, tu ne sais pas. Il y a quelque chose, dans l'air. Quelque chose de mauvaise augure.
* Comme tu veux. Je suis libre, là.
...
Merci, pour l'audience du divorce, j'ai bien conscience que sans toi je n'aurais pas eu une situation aussi avantageuse avec les enfants. C'était déjà la première chose à dire, parce que c'était ce qui comptait avant tout le reste. Tu lui devais beaucoup et tu en avais pleinement conscience. Un soupir, tu l'observes encore quelques instants, cherchant à retrouver des traits familiers, pas tant dans le physique que dans le regard. Que t'ai-t-il arrivé, Hazel ? La question n'en n'est pas vraiment une, en tout cas elle n'appelle pas de réponse. Je me suis fais un sang d'encre pour toi. J'ai vu ta fille avec un homme au fin fond des CDC, est-ce que tout va bien ? Est-ce que tu as besoin d'aide ? Intrusif au possible, tu en as bien conscience mais l'inquiétude est aussi sincère qu'elle aurait pu l'être.
* De rien, il soupire finalement. Je haïssais ton ex-femme, je n'allais pas l'aider. Pour rien au monde. Ses derniers mots sont à peine soufflés, comme s'il les regrette à l'instant qu'ils sont prononcés.
* Il ne m'est rien arrivé. Cet homme...
Tu le sens hésiter. Et tu redoutes la suite.
* ... est un ami. Pause. Il m'aide avec ma fille.
Il y a plein de sens au mot "ami". Tu t'y perds un peu.
...
Oui, sauf que voilà, tu te retrouves vite à court d'argument et de sujets de conversation, tant il coupe court à toute tentative, et tu l'observes quelques instants, avant de soupirer faiblement, tu attrapes l'une de tes cartes de ton porte feuille et la glisse dans sa main. Il la jettera deux mètres plus loin si l'envie lui prend. J'aimerai qu'on se revoit, si tu veux bien. J'aimerai rattraper un peu de ce temps. Si c'est sincère, tu doutes que ce soit réciproque.
Il accepte la carte quand tu la lui tends mais lui jette tout de même un regard étrange. Finalement il relève la tête vers toi, sceptique.
* Tu ne sais pas donner ton numéro de téléphone comme une personne normale ? Enfin, ça ira. Il la glisse soigneusement dans sa poche. Je te sonnerai à l'occasion. Il se détourne. Prend soin de toi.
terminé de mon côté.