Trop. Beaucoup trop. Le débordement. Comme un évier bouché, le robinet laissé ouvert à pleine puissance … ça ne veut plus s'arrêter, et c'est la tourmente. Tu te sens comme enfermée, et l'eau monte, et la main qui jusqu'à présent ne cessait de maladroitement venir te récupérer, et bien, elle a disparu. Andras n'est plus, la douleur à été fulgurante, les larmes n'ont plus cessé jusqu'à ce jour, elles aussi, parfaitement inépuisables. Tu n'es que fatigue et colère. Sans cesse au point de rupture, à te demander quand ça va arriver, quand tu ne vas plus pouvoir tout retenir, quand les vannes vont juste s'ouvrir et tout déverser … Tu pries. Ça n'a jamais été dans tes habitudes, Amy, mais aujourd'hui tu pries pour que le jour où tout se brise, tu sois seule au monde.

Bégonia entre les doigts … La fleur est balancée dans la fontaine du petit parc. Un au revoir. Un adieu. Est-ce que vous allez vous revoir ? Etrangement, tu n'en as pas le moindre doute. Aujourd'hui. Demain. La semaine prochaine ou durant le mois en cours, la mort est partout maintenant que l'a provoquée, elle rôde, tu as l'impression de la sentir, comme une créature qui te suis, qui ne fait qu'épier tes faits et gestes et qui attends le meilleur des moments pour t'arracher la gorge.

Le soupir est lourd. Cœur douloureux, gorge serré, tes yeux se détournent de la fleur qui flotte tranquillement à la surface de l'eau calme, et tu quittes le parc, mains dans la poche de ton sweat large, doigts serrés autour du couteau. C'est tué ou être tué. Ces paroles, tu ne les oublieras plus jamais.

Tu songes à ton appartement que tu as décidé de rendre … ta tante n'est pas décidée à rentrer à Polaris, tu préfères de loin vivre au dessus de la boutique. Le quartier est plus agréable, l'appartement aussi, et puis tu fais tourner la boutique et tu te sens utile même si ce n'est qu'à mi-temps. C'est étrange de se dire que tu t'en sors bien mieux dans la vie, au beau milieu du chaos qu'est devenue ton existence.

Alors que tu t'arrêtes, immédiatement à la sortie du parc, tu croises son regard. Deux yeux bien bleus qui n'ont même pas l'air de ceux d'un être humain et pourtant, son apparence est celle d'un jeune homme blond. Tu sais qui il est. Ton cœur se sert … tu n'as jamais réellement eu à faire à ton étoile, il n'y avait qu'Hazel, avant. Avant que tu ne le tues de tes mains, par accident, certes, mais tout de même.

Et il approche. Il aboie. Animal sauvage dans le corps d'un être humain, n'importe qui le prendrait pour un fou, mais toi, tu sais. Tu crains qu'il ne te saute dessus, qu'il ne vienne se venger mais alors qu'il approche, tu ne décèles pas la moindre trace d'animosité … c'est même tout l'inverse, il semble presque heureux de te tomber dessus au détour d'une rue. « Alors tu vas bien. » Soulagement. Procyon demeure l'étoile à laquelle tu es liée, tu ne peux pas aller contre ça, tu ne sais pas si tu le veux ou pas, en revanche. « Pourquoi est-ce que tu es là ? » Même pas certaine qu'il va te répondre … questions superflues. Qu'est-ce que tu es censée faire, maintenant, toi, hein ?

Peu consciente de ce qu'était le simple fait d'être enfermée dans le corps d'Hazel, l'appréhension ne te quitte pas. Il était si différent. Si rigide, si sérieux, si dangereux, probablement aussi … Pourtant, Amy, tu t'étais attachée à Hazel, d'une certaine façon, sans même savoir pourquoi exactement. Est-ce que c'était l'hôte, que tu avais commencé à apprécier, ou était-ce parce que Procyon était là, quelque part ? Tu n'aurais peut-être jamais la réponse.

En tout cas, Procyon semble comprendre le sens de tes mots, tu le vois, et tu le sens à sa façon de te fixer et de te sourire … c'est le sourire un peu niais d'un gamin et ça te pousses à le lui rendre, son sourire. Pâle et fatigué, il n'a rien de radieux, mais c'est probablement le premier depuis un bon moment. Tu ne sais pas bien ce que tu dois faire, maintenant. Et les autres, où sont-ils ? Andras était le seul duquel tu étais proche et tu sais bien qu'il ne voulait rien de tout ça, il rejetait sa condition, son appartenance au Cercle. Il rejetait Procyon.

Tu n'as toutefois pas tellement le temps d'y penser plus en profondeur, parce qu'il bouge, un geste brusque qui t'effraies, durant un court instant, tu te dis qu'il va te sauter à la gorge, tu te crispe et puis … Non. Il vient t'étreindre, te serrer fort, bien trop fort d'ailleurs, à te faire mal, jusqu'à t'arracher une grimace. Et pourtant, tu souffles, et si tu parviens à faire un mouvement, c'est pour mieux lui rendre ce câlin. Parce que tu comprends, soudainement, que ton erreur n'en était peut-être pas une ? Il y a une raison pour laquelle tu n'as jamais eu le moindre échange avec ton étoile, jusqu'à présent … Hazel avait le contrôle. Est-ce surprenant ? Absolument pas. Finalement, c'est une lumière au beau milieu des ombres. « Je vais rester avec toi, et je vais t'aider … peu importe ce que tu veux faire maintenant. » Parce que si tu veux tenir bon, si tu veux rester debout et en vie, tu as besoin d'un but, tu as besoin de t'accrocher à quelque chose. Quoi de mieux que ton étoile ? Quoi de mieux que ce cercle …