le verrou ne lui a opposé presque aucune résistance. c’est avec une facilité déconcertante qu’il entre dans la maison, sans que personne ne l’interpelle. personne ne le regardait. oh, le banal anonymat d’une rue trop grande, d’un quartier qui s’en fout. il entre, mains dans les poches de son manteau, et fait un tour du propriétaire, sans se presser.

C’est donc ici que tu vis. De manière si incroyablement ostentatoire.
Alors que tu me dois de la putain de thune. Et une quantité non négligeable, en plus. Pourtant tu le sais, tu le sais, le bail était très clair, je pourrirai vos descendances pour récupérer mon blé, aucune exception, pas la moindre, je ne prête de l’argent qu’à crédit et à conditions, et l’une d’elle est que, si tu as la mauvaise idée de mourir prématurément, c’est bien dommage, mais ta dette passe à tes proches.
Et tu es le proche en question, c’est bien dommage pour toi… mais en fait je m’en fous.
Tu me dois une quantité d’argent assez colossale, ça coûte cher, de se refaire une vie, et je ne te parle pas des intérêts.

Tu ne pensais quand même pas m’échapper, pas vrai ?
Tu n’imaginais pas réellement que je ne viendrai jamais sonner à ta porte ? J’ai eu la décence de t’envoyer une lettre qui n’a jamais eu de réponse, un rappel de payement à l’amiable, mais je n’aime pas qu’on se foute de ma gueule.
Et, à en juger la qualité de ton canapé, l’argent n’est techniquement pas un souci pour toi. La qualité de ton canapé et, simplement, ta carrière toute entière, m’imagines-tu assez bête pour passer à côté alors que ton visage est placardé dans le moindre recoin de la ville ? Naïf ou imprudent, je n’arrive pas à savoir, mais tu es tombé sur la mauvaise personne, je suis pire qu’une hyène, j’ai de la force dans la mâchoire, je m’accroche et je ne lache plus, et je ne te lâcherai pas, Alecto.
Tu ne seras pas débarrassé de moi tant que tu n’auras pas payé.
Payé ta dette, ou payé le prix du sang.
Pas de négociation possible.

il s’assied sur le canapé, un bras étendu sur le dossier, une cigarette aux lèvres. il s’est installé au plus proche de l’entrée, au plus en vue de la porte. il ne voulait pas manquer le retour d’alecto

il accueille Alecto chez lui avec un sourire mauvais, comme il savait si bien les faire. les seuls qu’il savait faire, en réalité. ça faisait si longtemps qu’il n’avait pas souri d’une joie sincère que son visage ne parvenait, tout simplement, plus à le faire.

Il sait. Bien sûr qu’il sait.
Il n’a même pas l’air surpris de me voir. C’est peut-être pire encore.
Il a le regard du gars qui savait que j’allais débarquer un jour, je l’avais prévenu, en même temps, et il avait eu l’audace, le toupet de m’ignorer, alors oui, effectivement, il fallait s’attendre à ce que je débarque à l’improviste pour l’apéro, tu me connais peut-être mal mais je pense que tu as quand même une assez bonne idée du genre de gars que je suis, c’est-à-dire une véritable hyène, et quand je mords je ne lâche pas.
Je ne te lâcherai pas.
J’imagine que tu te doutes pourquoi je suis là. Bonsoir, Alecto. Bien le bonsoir. J’ai failli t’attendre. Heureusement que j’ai toute la patience du monde quand il s’agit de dettes. Enfin. Non. Je m’impatiente, alors je prendrai tout le temps qu’il faut pour t’attendre, pieds sur ta table basse. Alors je ne vais pas te faire l’affront de te faire perdre plus de temps. Et inversement, tu veux ?

il se lève et contourne la table basse, lentement, mains en poches. il s’approche d’alecto. son sourire narquois a disparu ; ses sourcils sont froncés en une expression sérieuse. l’énervement est au pas de la porte.

Je veux mon blé. Très vite. Je veux mon blé pour hier, Alecto. Je veux toute la thune que tu me dois ou je veux ton sang sur le carrelage, ta tête sur un présentoir, je te couperai chaque doigt s’il le faut, un par un, tu demanderas à un certain homme, je suis expert en la matière. Tu paieras, en or ou de ta vie, je m’en fous, mais tu paieras.
Avec les intérêts.
Tu pensais vraiment que j’allais pas venir ? Alors que tu fais semblant de rien ? Allons. Je pensais avoir mérité ma réputation, tragique tout de même, ce qu’on doit faire pour se faire respecter, de nos jours.
A mon époque on tranchait un doigt et puis ça suffisait.

il soupire. il a l’air presque sincèrement désolé, presque sincèrement embêté pour alecto.
presque.

Non seulement il ne me répond pas, mais en plus il n’a tout simplement pas lu la lettre. Ça valait bien la peine que je me casse le cul à l’écrire. On ne m’y reprendra pas, la prochaine dois je viendrai directement sonner aux portes, c‘est bien plus rapide.
Les rappels de paiement, de toute façon, ça n’a jamais été ma tasse de thé.
Il est calme, il me nargue, il m’énerve. Je déteste le petit genre qu’il se donne, je déteste cette supériorité avec laquelle il me regarde, et oui d’accord, je regarde aussi le monde comme si j’étais mieux que tous (ce qui est chose avérée, en réalité), mais même moi je baisserais le ton face au gars qui vient me réclamer de la thune.
Et quelle quantité de thune. Ça se compte en plusieurs dizaines de milliers de dollars, plus les intérêts. Et mon taux est élevé, c’est dommage pour toi. Très dommage.
J’espère bien que tu peux payer, oui. Sinon ça va très mal se passer, mais ça j’imagine que tu t’en doutes. ... C’est un défi ? Tu me cherches ? Tu essayes de m’énerver ? Tu cherches à me faire sortir de mes gongs, à prouver ta supériorité, tu cherches quoi, au juste ? Tu cherches quoi, Alecto ?
Tu penses que je vais te dire non ? Que je vais me contenter de te rappeler que tu me dois du pognon et m’en aller ?
Alors que tu viens de me provoquer ?
Moi ?
MOI ?
Terrible erreur, Alecto.

Terrible erreur.

de la poche de sa veste, il sort un couteau à cran d’arrêt. il hausse un sourcil, regard noir fixé sur les yeux d’alecto

Tu n’imagines pas la quantité de sang déjà versée de mes mains.
Tu n’imagines pas à quel point je n’ai pas peur de la violence.

Tu veux venir tester, peut-être ?

TU N’IMAGINES PAS

la main serrée sur le manche du couteau, il regarde alecto avec méfiance. dans son regard il ne voit aucune crainte, juste une envie d’en découdre.
il trouve ça étrange.
il se méfie.
et en même temps… qui était-il pour lui refuser ce petit plaisir ?

le couteau siffle près de l’oreille droite d’alecto et se plante dans le mur derrière lui. profitant d’un très court effet de surprise, il sortit un autre couteau de sa poche, plus petit que le précédent, et se servit de la table basse comme d’un appui pour pouvoir se jeter sur lui, et le faire tomber. alecto était grand, alecto était loin d’être stupide, et il était à peu près sûr qu’il n’était pas le dernier quand il s’agissait de faire jouer les poings, mais rich était teigneux, volontairement inconscient et auto-proclamé increvable, et au petit jeu de la violence gratuite il se plaçait assez haut sur les échelons.

à califourchon sur le torse d’alecto, couteau sous sa gorge, il soutient son regard, allumé des flammes de la colère
(toujours la colère avec toi)

Tu veux vraiment mourir comme ça ?

Tu veux vraiment crever pour rien ?
Parce que si tu insistes, tu vas mourir. Tu vas mourir, Alecto, surtout si tu continues à te foutre de ma gueule comme ça.

J’espère qu’au moins tu vas te défendre.

quand alecto disparaît, comme s’il n’était pas là, comme si le sol n’avait pas de consistance, il met du temps à réagir.
abasourdi, il regarde le sol, les paumes posées sur le parquet, muet de stupeur.

qu’est-ce…
qu’est-ce qu’il venait de se passer ?
au juste ?

quelque chose qui n’existait pas
quelque chose qui ne pouvait pas exister
il ne pouvait pas
avoir
disparu
comme ça
ça n’existait pas
ce n’était pas possible
et pourtant il n’était plus là
il ne pouvait pas l’avoir halluciné parce qu’alecto n’était plus là

il s’était volatilisé
tout simplement
comme si c’était normal
comme si c’était possible
les humains ne peuvent pas faire ce genre de choses
ça n’existe pas
ça n’existe que dans les livres
que dans les films
pas dans la vraie vie
pas dans la putain de vraie vie

la hyène sort les crocs dans une grimace incontrôlable

ça
n’existe
pas

dans un geste irréfléchi, il frappe le mur en face de lui d’un coup de poing qui fait vriller tout son corps de douleur.
et encore
et encore
et il martèle le mur, il ne sent pas la douleur il ne sent que la rage, la haine grandissante qui lui monte au ventre et au coeur et au cerveau et il voit tout derrière teinté du filtre rouge de la fureur

il ne pouvait pas avoir disparu parce que cette affaire n’était pas encore réglée
il ne pouvait pas avoir disparu parce que les gens ne disparaissent pas
les gens
ne disparaissent pas
c’est pas compliqué putain de merde




la porte claque
sur le mur la trace rouge de ses phalanges meurtries, en souvenir

cette bataille était perdue,
mais la guerre serait sans merci