Mais il toque, ne sonne pas.
Il est armé, mais ne dégainera pas.
* Allez, entre.
Il se recule pour le laisser entrer. Le salon est proprement rangé, avec quelques jouets d'enfant dispersés ça et là. Cela dit, elle n'est pas là. Elle est chez Zalera, plus en sécurité qu'ici. Une valise est posée sur la table basse près du canapé : il est en train de rassembler les affaires de sa fille pour les lui apporter. Elle ne viendra sûrement plus jamais ici. Ne le supporterait plus. Il ne sait pas ce qu'il supporterait, lui.
* Que me vaut l'honneur ?
Nori scrute, sans savoir ce qu'il scrute. Il observe sans comprendre. Mais les jouets d'enfants ne trompent pas. Il a trouvé son adresse sans mal, mais n'a pas cherché le reste. Il aurait dû, il réalise à présent.
* Tu déménage ?
Silence.
* Et tu as un enfant.
Peut-être était-il arrivé trop tard, finalement. Il échappe un soupir avant de retirer sa veste pour la garder sur son bras.
* Tu as quelque chose à boire ?
* Une fille.
Il rabat d'un geste distrait la valise et part vers le comptoir de la cuisine ouverte.
* Qu'est-ce que tu veux boire ?
Il attend que tu lui répondes avant de te servir. Sans relever les yeux vers toi, il prend la parole à nouveau.
* J'ai perdu Procyon. Je ne suis plus un hôte.
Une fille. Son frère avait une fille. Qu'avait-il pu rater d'autre de ta vie ? Tout le début, tout le milieu, et tout ce qui s'en était suivi, sans doute. Il soupire, te remercie poliment pour le verre. C'est un peu gênant, même si vous partagez du génome, vous n'êtes que deux étrangers. Mais tout de même, il tient à faire bonne mesure. Il tient à essayer.
* Ah, content pour toi.
Silence.
* J'imagine.
À quel prix t'étais-tu débarrassé de ton étoile ? Nori n'en savait rien.
* Comment ?
* Cadeau. Il le fait glisser vers toi. Te sourit. On m'a tué pendant la chasse. Une entité m'a ramené à la vie.
Il t'annonce ça comme ça. Tu n'oses pas imaginer ton frère mort. Tu ne peux pas.
* Ce n'est pas la première fois que ça arrive, dans mon entourage en tous cas. Une proche de mon... père. Il marque une pause et te toise d'un oeil. Adoptif, il précise en soupirant. Il avait payé le sacrifice pour la ramener à la vie, à l'époque.
* On t'a tué ? Tu es mort ?
Il avale une gorgée, une trop grosse gorgée.
* Attends une seconde. Je ne savais pas que les entités pouvaient faire ça.
Tu te dis qu'il n'a simplement pas rencontré les bonnes, sans doute. Il a l'air d'en savoir si peu, finalement. C'est un soulagement de le savoir protégé de tout ce foutoir, au moins un peu.
* Est-ce que ça va ? Je veux dire. Est-ce que je peux faire quelque chose ?
Il n'a pas envie de s'impliquer, mais il s'agit de toi, et pour toi il peut peut-être faire une exception. Et il ne manque pas d'en dire un peu trop.
* Ma fiancée est aussi une hôte. J'imagine que tu le savais déjà ?
Tu as l'air de tout savoir.
* Ca va. Mon corps s'est remis, depuis. A... peu près. Enfin bref.
Il observe le fond de son verre, qu'il n'a pas énormément rempli. Par rapport à toi, en tous cas.
* Oui, je le sais déjà. Il y a quelque chose que je peux faire pour elle ?
* Pour moi. Ne la tue pas.
Nouvelle gorgée, il repose ses yeux sur la valise abandonnée là, un air presque triste au visage.
* C'est ce que tu projetais de faire, dans les souterrains, non ? La chasse. C'est ce qu'elle a pressenti.
Et pourtant, même s'il se refusait à le penser, Danaé était un peu paranoïaque. Ceci dit, elle s'était tout de même rarement trompée, et il aurait pris toutes les précautions du monde pour la protéger. Il le lui avait promis.
* Je veux trouver un moyen de nous débarrasser de nos étoiles. Je veux qu'on vive en paix.
Sans passer par la case mort, si possible. Si Danaé revenait, qu'en serait-il de... Non, il ne voulait pas penser à ça. Il ne voulait pas penser à tout ce qu'il avait à perdre dans cette opération.
* Ce n'est pas moi qui décide de qui est tué et qui ne l'est pas.
Cela dit, à la façon dont il fuit ton regard, tu as l'impression qu'il t'a écouté.
* Et tu sais que ce n'est pas ta fiancée que je visais.
Il se ressert.
* Ce n'est plus besoin de faire profil bas. L'immeuble de Danaé ne restera pas imprenable éternellement. Que ce soit nous qui manœuvrons ou non.
L'annonce te fait froid dans le dos.
* Cette famille est maudite.
C'est une annonce qu'il souffle dans le plus grand des calmes, ça résonne particulièrement chez toi. Il repose le regard dans le tien.
* Si tout cela trouve une fin, m'autoriseras-tu à entrer dans ta vie ?
* Peut-être. Un sourire amer. Ca dépend de comment ça finit, Nori. Si tu t'attaques aux miens, je ne suis pas sûr de te considérer encore comme de la famille.
* Entendu.
Le ton est glacial, mais tu sais qu'il te rend la remarque. Ce n'est probablement pas une bonne chose, d'ailleurs. Puis, plus bas.
* Si jamais tu as besoin de quelque chose, n'hésite pas.
Tu devines que c'est plutôt l'inverse. En tout cas il s'apprête à partir.
* Nori.
Tu te retournes alors qu'il t'accompagne vers la sortie.
* Je... suis content qu'on se soit retrouvés. Et que tu m'acceptes.
Sans plus de cérémonie, il te ferme la porte au nez.