19:47 // ton estomac gargouille.

Elle a dit qu'elle reviendrait.

Elle a dit attends ici, Sen, je reviens vite
et Prudence n'est jamais
r̵̨̨͙̳͛̚͝è̶̙̞̈́̀͝ͅv̴̧̱̩͖̦͗̉͛̿è̸͈͆͑̐͜͠ṅ̴̲͍̫̝̳͊̈́̎͜ų̷͇̲͈͎͆e̸̐̀͌ͅ

Est-ce que ça t'étonne ? Assis par terre sur le perron défoncé d'un immeuble qui pue la pisse, dans une rue mal éclairée des CDC. Putain Sen. Putain. T'es tout seul, cette fois. Oh, il y a bien Isak quelque part, tu lui as envoyé deux trois messages, et il n'a pas répondu. Tu l'as pas senti mourir, c'est ta seule façon de te rassurer.

Tu te rends compte.
T'en es réduit à ça.
T'en es réduit à attendre de les sentir mourir.

Fray est parti. Andromède est parti. Icare est parti.
Levi et Vega sont partis, aussi.
Et puis Isak.
Et puis Prudence.
Ẻ̸̳t̷̰̉ ̵̠̋Ń̷͓á̸̝ỏ̴̜ ̷̟̈́n̴̤̾e̵̖͝ ̴̩́r̵̼͋é̵̺͝p̸̟͗o̷̢͊ṅ̴̳d̸͉́ ̸͔̒ṗ̶͉ĺ̷̢u̸͍͘s̸̳̊.̸̱̃

Il ne reste personne, ton frère te harcèle et tu l'ignore. Tu ne veux pas le mêler à ça.
Et pour le reste. Tu ne sais pas.
Il fait froid, tu n'as plus un rond, la bourse t'a été sucrée au début du mois mais tu n'as osé en parler à personne. Pas même à Prudence, de peur de l'inquiéter. Et Prudence est partie.

Il n'y a plus rien dans les placards.
Qu'est-ce que tu vas faire.
Qu'est-ce que tu vas faire... ?

19:47 // ton estomac gargouille.

Le chat. C'est le chat. Oui, il y en a des tas en ville, de chats, mais celui-ci est spécial. Celui pour lequel tu avais risqué ta vie de façon complétement stupide. Puis tu l'avais nourris, pendant quelques jours, puis il avait pris la poudre d'escampette. Et tu l'avais recroisé, devant chez Fray, alors que tu t'apprêtais à lui dire ce que tu ressentais pour lui. Et tu t'étais défilé.

S'il était venu pour se moquer de toi, c'était vraiment pas le bon moment. Mais tout de même, tu l'observas quelques instants avant d'esquisser un léger sourire, un sourire un peu timide et un peu coupable. Un sourire honteux. Tu avais honte, devant un chat. Comme quoi, tu pourrais vraiment avoir honte devant absolument n'importe qui.

« Salut toi.

Tu reprenais ton japonais natal en t'adressant à lui, pourquoi faire l'effort de parler anglais à un chat qui pigeait sans doute pas plus une langue ou l'autre.

« Tu tombes au mauvais moment, j'ai rien pour toi.

Sourire désolé, tu n'oses pas le quitter des yeux, il pourrait disparaître, tu en es persuadé. Tu te risques à tendre les doigts, pour lui proposer une caresse, sans doute. Tu as déjà maigri, Ashitaka te hurlerait dessus s'il te voyait comme ça.

19:47 // ton estomac gargouille,
tu vas devenir fou

Il s'inquiète pour toi, sûrement, il ondule entre tes jambes, se frotte, cligne tendrement des yeux en te regardant, et tu souris. Ton sourire est faible, pas aussi cassé et pas aussi maladroit qu'à l'habitude, juste faible. Il faut dire qu'avec toute cette histoire, tu t'es un peu enhardi. Pas beaucoup, on en convient, pas au point d'aller supplier pour de la nourriture ou voler, mais sans doute que tu ne sais pas si ça en vaut tellement la peine. Dans tous les cas, tu finiras par être condamné. C'est ce qu'on t'a fait comprendre. Prudence a tué d'autres liés, et des chasseurs sont venus pour tuer des liés. Enfin, vu ta dégaine, Sen, tu as tout de même peu de chance de passer entre les mailles du filet, que tu maîtrises ton pouvoir ou non.

Tu tends la main et lui offre des gratouilles sur la tête et dans le cou, il a l'air d'en avoir besoin, ou alors c'est toi qui en a besoin, allez savoir.

« Je suis content de savoir que tu vas bien, malgré tout ce qui se passe en ville.

Tes mots respirent la sincérité, peut-être un peu trop.

19:47 // ton estomac gargouille?,
le chat ,,, ?

« ...

Tu comprends sans comprendre. Trop vite, trop évident. Tu lui as sûrement déjà posé la question quand tu le logeais chez toi, en le regardant droit dans les yeux alors qu'il faisait sa toilette, sur le ton de la plaisanterie : tu me le dirais si t'étais pas un vrai chat, hein ? Pourquoi. Pourquoi ? Pourquoi maintenant, alors qu'il n'avait rien à voir avec tout ça. A moins qu'il ait eu tout à voir avec cette histoire de cercle et de chasse et d'enfer. Et de faim. Tu supplie mentalement pour te réveiller, te réveiller tout de suite. Parce que même si c'est sûrement une bénédiction, tu ne veux pas l'entraîner là dedans, tu ne veux pas que ce soit vrai, ça ne peut pas être vrai.

Et pourtant, il t'observe. Et tu l'observe en retour. Et tu es minuscule, même. Même debout, même droit sur tes jambes, comme un i, tu n'es pas bien grand. Tu ne le quitte pas des yeux. Tu as envie de demander pourquoi, ou même si ce ne serait pas sa faute à lui si tu te retrouvais emmêlé dans toute cette histoire, mais tu n'oses pas demander. C'est la première fois depuis longtemps que tu comprends parfaitement ce que quelqu'un te dit, et tu as un peu envie de pleurer, honnêtement. Tu veux rentrer à la maison. Tu n'as jamais eu autant envie de rentrer à la maison.

Mais tu n'oses rien répondre.

19:47 // ...

Tu as envie de pleurer.

C'est la première fois depuis ton arrivée à Polaris, depuis les événements, que tu entrevois une lueur d'espoir, et cette lueur vient d'un chat. C'est ... Aussi triste que ça en a l'air, peut-être même pire encore. Tu ne sais plus où tu en es, ce que tu dois faire, mais quand il lance qu'il t'invite, tu hoches poliment la tête et le suit de près. Tu n'as rien à dire, Sen, si ce n'est :

« Merci.

Tu te souviendras de comment le chat trouvé sur le toit t'a sauvé la vie.