désespérance —

Coincée.
Mais alors bien, bien coincée.
Idiote, en fait. Plus que coincée, surtout : idiote. Elle observe sa porte d'un regard terne, les merlans frits n'ont qu'à bien se tenir. Porte fermée, dernier rempart avant le réconfort et la chaleur et la tanière loin des regards et des autres.
En un mot comme en mille : Megumi s'est enfermée dehors. Les clés, elle sait où elles sont. Laissées pour compte sur la table du salon, la table basse en fait. Abandonnées au milieu d'une pile de paperasse, une pile de partitions sans sens qui dépasse largement sa concentration. Pas à leur place : leur place, c'est dans le bol-à-déposer-les-clés dans l'entrée. Et, elles n'y étaient pas, alors Megumi n'y a pas pensé en partant au travail et, dans un astucieux tour du système de sécurité haut de gamme des Clématis, la porte se referme solidement derrière elle, et,
voilà.

Premier réflexe ? Donner un coup de pied dans la porte, parce qu'on ne sait jamais, et puis s'acharner sur la poignée, parce qu'on ne sait jamais. Second réflexe, garder son front contre la porte glacée, et soupirer.

Bloquée dehors. Quelle blague.

désespérance —

Megumi regarde Nori Wallace comme s'il était un alien descendu sur Terre pour l'enlever loin de sa serrure coincée et de sa porte automatique.

Pourquoi maintenant ? Et pourquoi pas Danaé ? Pourquoi pas... Pourquoi Nori ? Elle sait pourquoi Nori Wallace et personne d'autre. Elle cille et soupire, et montre d'une main tendue la porte blindée.

Ben ouais, vous voyez bien... Tout l'air contenu dans ses poumons s'échappe, honteux. J'suis coincée.

Une petite moue boudeuse, presque penaude.

Je vais appeler un serrurier, ouais... mais bon, vous êtes là. J'imagine que vous voulez parler... d'elle.

Un silence.

Vous avez faim ?

désespérance —

Silence. Gros silence, même. Comme un gros caprice, ou une grosse honte. Finalement, Megumi vire au rouge tomate et soupire d'un souffle tremblant.

* Merci. Derrière ses pommettes cramoisies, une petite lueur curieuse. Vous... êtes cambrioleur ? Plus de silence, décontenancé. Elle agite la main devant elle comme pour balayer de la fumée. Non en fait on s'en fout. Café, du coup ? Je vais juste chercher mes clés. Ce serait con que je les oublie encore.

Elle se glisse dans l'appartement. Un ange passe - autant qu'il en passe à Polaris ces jours-ci. Elle s'extirpe de l'appartement avec un trousseau conséquent en main.

* Ok on est bons ! Tourne, clic. Café, donc. Vous avez un spot ou... ? Dans un geste de prévention, elle échange son portable avec ses clés au fond de sa poche.

désespérance —

Café avec ce cher Monsieur Wallace. L'idée n'était pas désagréable, mais Megumi avait la rude impression que Danaé était terrifiée à l'idée de perdre son fiancé. Megumi pouvait comprendre mais elle trouvait les moyens déployés pour la faire fuir un peu trop conséquents. Argh, elle détestait vraiment cette bonne femme. Elles n'auraient jamais aucun moyen de s'entendre, il semblerait.

Y a un Planetbucks pas loin, on peut y aller.

Elle l'écoute parler alors qu'ils se mettent en route. Non mais tout va bien, je savais que ce n'était pas Danaé qui viendrait à ma rencontre. Ou même... ouais. Vous savez. Elle se triture la lèvre, puis l'ongle du pouce anxieusement. Ca va, vous ? Votre cercle, le taf... tout ça. C'était si gênant.

désespérance —

Elle se fige. Megumi n'est pas douée avec les secrets. Sauf un, ou même deux, qu'elle garde proche de son coeur, qu'elle ne révèlera jamais. Elle croise le regard de Nori et détourne la tête, nerveuse.

De... De plein de trucs. Peut-être même autant que toi. Danaé t'a pas raconté ce qu'elle m'a dit ?

Une goutte de sueur roule le long de son dos et lui arrache un frisson dégoûté. La pression qu'il lui mettait...

désespérance —

Le Planetbucks comme terre promise. Elle pousse la porte avec peut-être un peu trop d'empressement et entraîne Nori au comptoir pour prendre rapidement une boisson et une pâtisserie, le laisser commander, puis filer quelques minutes plus tard à une table. Proche de la sortie. Dans quelle merde elle s'est encore fourrée.

Bon, en vrai... elle reprend la parole d'une petite voix, comme une enfante prise la main dans le sac. Elle m'a p'têt raconté des trucs, ouais. Toussotement gêné. J'te raconte... plus tard ? J'ai pas envie de trahir sa confiance.

Elle triture la serviette donnée avec son donut, nerveuse. Cet homme lui foutait les jetons, mais bon... ce n'était pas justifié pour un sou. A choisir, je préfèrerai qu'on soit dans le même camp. Je pense que Danaé préfèrerait aussi. Enfin, à priori...

désespérance —

Malgré tout, Danaé ne répond pas au sms. Peut-être qu'elle fait une sieste, ou quelque chose dans le genre. Megumi se contente de fixer sa boisson et son goûter plutôt que de passer à table. Inhabituel, mais pas illogique non plus. Nori lui fout les boules. Elle n'a pas envie de manger devant lui. Ce serait être vulnérable. Ce serait... non, en fait, laissons tomber, Megumi a faim. Elle attaque son repas en vitesse.

Oui, je comprends, elle répond tout bas, penaude. Mais la même, en fait. C'est pour ça que j'ai pas répondu cash. J'avais trop peur de dire une connerie.

Elle lui lance un petit regard.

J'espère que vous m'en voulez pas trop, je voulais juste protéger Danaé.

Ben tiens, protéger Danaé. En voilà une autre.