On pavane et on ricane sous nos grands airs, le goût de luxe anesthésiait ses plus profonds doutes. Marigold était un miroir aveuglant de ce qu’on attendait d’elle.

Il l’avait prit par la taille, hier soir
Ses mains étaient moites de tenir trop de pièces
Il lui a dit d’un ton traînant
“viens par là, chérie-jolie, on va te donner l’or”

Quel prix pour sourire ainsi ? Dans les bras d’un homme de sucre et s’écroulant à la moindre friction de la chaleur de ses émotions, quel prix Marigold ? Des sacs s’accumulent à ses bras, le reflet lui donne la sensation d’être la reine du monde sous l’avalanche de sourires hypocrites et des compliments fadasses du monde.

(il n’y a jamais eu aucun prix pour être en vie)
(on vit comme on peut)

Il était parti, pendant un instant. L’homme qui la transformait en sucre, la poupée pouvait respirer tandis que les chaînes de sa condition frappaient le sol d’un son mat. Puis un frottement, un léger frottement rien de spécial, juste le sac vomissant son contenu au pied d’un inconnu. Ses yeux croisaient ceux qui venaient s’écraser dans son monde, imposant son existence dans son univers déjà mort.

-Il y’en a trop, j’pense qu’on peut jeter celui qui est tombé, vous ne pensez pas ?

Elle n’y pense déjà plus à ses mots, son esprit fuit ailleurs très loin, trop loin. Alphecca douce mère, fais rire tes enfants.

n raconte que le désir de survie est la plus grande marque d’animalité des hommes, cette adrénaline simple et puissante ravage l’être même pour n’imposer qu’un mot.

“Vis”

La main ne faisait nullement mal et pourtant, elle pouvait sentir l’espèce d’ambivalence de ce mouvement. Il la tenait, il était comme ce chien avec l’oiseau dans la gueule, si l’oiseau pinaille, l’oiseau n’existe plus. Marigold voyait dans les yeux arctique le reflet de son apparence. Soit, elle n’était que vanité et luxe, une pintade comme des centaines d’autres. Mais elle avait un atout que toutes les femmes de son monde peuvent se vanter d’avoir, savoir garder un visage impassible. Les yeux glaciers de Marigold se posaient dans ceux de l’inconnu et d’une voix volontairement nonchlante, elle fit glisser les mots en articulant le plus possible pour que sa voix surplombe la foule :

-Difficile pour moi de me pencher pour ramasser si vous maintenez ma mâchoire otage.

La peur avait le goût de l’enfer dans sa bouche asséchée mais la peur était la drogue des monstres.

Elle ne le lâche pas du regard, sa nuque ne pliait pas face à la pression de ses yeux contre elle. Marigold avait peur certes, mais le son de son rire était ravissant, un crime qu’elle dû l’entendre dans une telle situation. Le danger faisait battre son cœur au point où elle le sentait au fond de sa gorge et elle n’imaginait que trop bien cet inconnu, comme un chat qui vient jouer de ses entrailles avec ses longues pattes.

La pression sur sa joue aurai dû lui tirer une grimace mais elle tenait son visage fermement sous la poigne de cet homme. Putain de merde, si il lui fait un bleu, elle pourra plus bosser, comment elle explique ça elle ? La colère vient se joindre à ses émotions tandis qu’elle tirait ses lèvres en une fine ligne dure.

Ses mots d’un ton trop bas viennent soulever les poils de son épiderme mais sa bouche reste dans une moue serrée. Si il trouvait qu’elle parlait trop, Marigold ne dirait plus un mot.

Sa respiration se fait profonde, Marigold est enfin libre. Le monde peut reprendre son cours paresseux, rien n’avait jamais eu lieu à part que sa mâchoire ressentait encore cette pression surhumaine. Le métier qui était le sien lui avait appris qu’il était parfois nécessaire de faire la morte, rien n’était plus ennuyant qu’un morceau de viande n’attendant que la lente désacration du temps.

Mais la fin n’est pas là. Il reste là, ses pieds plantés dans le sol et le regard balayant ses sacs. Il parle, la questionne. Marigold veut feuler son orgueil, lui demander de quels droits sous-entend-il qu'elle ne veut pas ça, comment pouvait-il prétendre la connaître ? Mais il émanait l’odeur rouillée du sang et sa force n’était pas d’apparat. Que désirait-elle…

-J’veux être libre. Aveu, fierté qu’elle crache à ses pieds, ses yeux dans les siens rempli de crainte et de colère mêlée. Je veux être libre, libre de ça, libre de tout ça.

Elle se relève, ramassant d’une main souple le sac porteur de la discorde. Il fallait partir, le plus tôt sera le mieux.

Les choses s’engrangent sans sens, ni contre-sens comme dans une histoire dont elle avait le malheur de faire partie. Elle n’aimait pas ça, elle se sentait comme un canari pris par dans les griffes d’un chat pervers et maintenant qu’elle est debout, il y avait une chance pour qu’elle disparaisse dans la foule, elle n’écoutait plus les mots proférés par ce grossier personnage, ses propositions de libération sonnaient comme un mort très prochaine et mourir n’était définitivement pas bon pour son teint.

Une femme émergea de la foule, une nouvelle participante. Chouette, elle venait rabrouer le nouveau venu, c’était là peut-être sa chance. Son ton était sans appel, celui des femmes qui maîtrisent le monde au lieu d’être maîtrisé par lui, et il était bien dur de supprimer le sourire de contentement sur les babines de l’adolescente. Pourtant une impression lancinante venait se loger en elle, elle voyait quelque chose qu’elle ne devait pas voir. Et le regard de la femme après avoir commandé le dénommé “Athéleïs” lui hérissait le poil d’appréhension, surtout que celui-çi lui jettait un regard mauvais, le genre de regard parfait pour raviver la terreur muette qu’elle subissait depuis quelques temps en sa regretté présente. Ses bras placèrent les sacs contre elle tandis que la promesse de ne plus jamais se vanter d’être grande vient emplir son esprit. Elle glissa d’un pas sur le côté, Marigold avec son air neutre, la volonté de s’effacer dans la foule avant que la terreur ne congèle totalement ses pas. Sa voix se fit chaude, souple, flatteuse face à cet étrange duo, une femme qui lui semblait connaître et cet homme qu’elle ne veut plus jamais revoir.

-Eh bien, il est temps de prendre congé. J’ai à faire.

On ne tourne pas le dos, jamais. Mais elle soutenait le regard tout en initiant sa fuite.