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fragile | leto
FRAGILE
Ton entrée dans l'hôpital est remarquée, un collègue à l'accueil te regarde étrangement, on te souffle que tu devrais te reposer, que tu ne devrais pas venir travailler aujourd'hui, que même si vous n'êtes plus ensemble, Aedan est encore allongé à la morgue. Peut-être pas dans ces mots, mais c'est ce que tu entends. Tu souris, faiblement, et annonce que tu viens voir ta sœur. La pitié dans les yeux des gens ne t'atteint pas, tu ne la comprends pas.
Lorsque tu arrives au service de Leto, tu n'as ni fleurs, ni chocolats, ni peluche, ni cadeau. Il n'y a que toi, toi toute seule qui pousse la porte de ta cadette. Tu n'as pas mis longtemps à venir, tu n'as pas dormi, juste dix minutes où tu as sombré sur le canapé d'Alecto, puis il t'a posée à l'hôpital, il était hors de question que tu prennes le bus ou le tram dans cet état. Leto ne dort pas, tu n'as pas répondu mais peut-être qu'elle savait que tu viendrais. Que tu ne l'avais pas abandonné.
Salut. Uh t'es vraiment pas faites pour savoir comment aborder les gens, pas vrai ? Tu approches et t'assois sur le bord de son lit, la pièce est à moitié baignée dans le noir et l'air ambiance est lourd. J'ai rien amené, si t'as besoin d'un truc dis moi. Depuis combien de temps est-ce qu'elle est là ? Tu pourrais le lire sur la fiche de soin, mais tu n'as pas envie, tu n'as pas la force. Tes cernes sont si creusées que tu pourrais te reconvertir en piste de ski.
Je suis contente de te voir. Pas ici, pas comme ça, mais c'est vrai. Ça fait une éternité que vous n'avez pas échangé autrement que par quelques sms, d'un jour ou deux d'écart, parce que vous êtes trop occupées ou trop distraites pour savoir comment agir l'une avec l'autre. Tu poses ta main sur la couverture, près d'elle. Tu peux me parler.
Re: fragile | leto
—Tic tac.Le temps passe, coule et jamais ne s'arrête. Ce temps perdu, il a bon dos à te découper l'esprit avec des lames d'ennuies. Tu tournes et tu vires dans ce lit dur aux draps qui sentent le plastique des bacs bleu de la laverie. Tu veux sortir d'ici au plus vite. Non pas pour échapper aux chasseurs qui te guettent, maligne goupil, mais plutôt pour rattraper ce fameux temps englouti. Qu'ils viennent, avec leurs fusils, leurs crochets et leurs couteaux, qu'ils te saignent, qu'ils te dépècent. Qu'ils t'empaillent tiens, ça t'est égale, tu n'es plus à ça près.
Mais il y a une chose que tu veux avant de passer l'arme à gauche, avant de te coucher pour la dernière fois dans un parterre d'étoiles pour y contempler l'herbe qui pousse.
Revoir Freya.
Revoir ta sœur.
Lui parler, rigoler, échanger, comme au bon vieux temps... quand les choses étaient plus...
simple ?
À bien y réfléchir elles ne l'ont jamais été.
Il y a un vous qui existe. Il est étrange, particulier et aucun mot ne pourrait vous décrire. Vous êtes vous, et cela vous suffit. Alors quand elle rentre dans ta chambre, quand elle te salue de cette façon si détachée qu'est la sienne, tu souris. Il n'y a rien de bizarre dans cet étirement de lèvres, si ce n'est qu'il semble emprunter au passé. L'espace d'un instant on dirait que tu redeviens une gamine...
Ta présence suffit.
Tu jures qu'il s'agit là de la vérité et rien que de la vérité. Croix de bois, croix de fer, si tu mens tu vas en enfer ? Tu caches cette main emmitouflée dans des bandages blancs sous tes draps et soupires. Avant toute chose.. Comment tu te sens, toi ? Vis-à-vis d'Aedan. Tu sais ce qu'il lui est arrivé ?
Re: fragile | leto
FRAGILE
C'est bizarre cette façon que vous avez toujours eu de gravité l'une près de l'autre sans jamais laisser vos univers respectifs s'entrechoquer. Tu acceptais le rôle de l'aîné effacée, avec plaisir, et Leto était Leto. Elle revenait à la charge des nouvelles quand tu disparaissais trop longtemps, comme pour t'ancrer dans la réalité, comme pour te souffler que tu existais encore, qu'il fallait faire un signe pour avoir l'air normale. Alors tu faisais un signe, et elle s'en contentait.
Je sais pas Leto. On parle du mec qui m'a larguée par mail. Vous parliez aussi de l'homme de ta vie, tu en étais intimement persuadée. Tu n'avais jamais eu à le dire clairement à Leto, mais elle avait toujours compris. Elle n'avait sûrement pas toujours approuvé, mais au moins compris, et finalement c'était mieux que rien. Un soupir, puis tu fermes les yeux quelques instants. Tu ne pourrais pas mentir à ta sœur. Mais il ne serait pas content si tu balançais tout. La situation en ville est bizarre. C'était clairement un homicide mais l'affaire n'avance pas, je crois que je fais partie des suspects. Tu n'avais sûrement pas d'alibi pour la soirée, mais comment est-ce que tu aurais pu tuer Aedan. Ce n'était pas possible, même pas envisageable. Oh, bien sûr, Aedan te hantait. Probablement que c'était votre façon à vous d'être tous les deux, désormais, mais il n'était pas toujours là, et il n'était plus vraiment lui. Et je le vois encore un peu. Tu sais. Enfin... Bref.
Silence gênant.
Et toi ?
Re: fragile | leto
—L'évidence même.Aedan, lui aussi n'était pas descriptible. Un peu trop lui pour lui donner forme. Il était ce qu'il était, un homme perdu. Mais on peut toujours être perdu à deux, ce qui est toujours perdu, mais en mieux. Freya avait besoin d'être perdue avec lui. Tu le sais, tu l'as toujours su. Et bien des fois tu te disais que ta sœur avait surtout besoin de quelqu'un pour la retrouver pour l'arracher à son monde. Tu ne veux pas qu'elle change du tout au tout... non, juste... qu'elle prenne le temps de voyager, de vivre autre chose, avec quelqu'un d'autre.
Ouai je vois. Tu vois rien du tout, toi. Tu ne fais qu'imaginer. Tu te demandes même si il est là. Si il te voit. Si il te juge, toi et tes jappements, toi et tes pattes coupées par un piège à ours.
Ecoutes, tu parles aux morts, j'parle aux animaux, chacune son délire.
Tu soupires. C'est que t'aimerais bien qu'il te parle, ct'animal, ce Chat, cette ombre. Mais silence radio. Il en va de même pour ce "Maitre" renard, évanoui dans les limbes de Polaris. Il ne te manquera pas, pas personnellement du moins... ces informations cela dit... auront bon plaisir à laisser gouffre dans ton petit cœur de fouine.
Je sais pas. Ce n'est pas le genre de mots qu'on a l'habitude de t'entendre dire. Un mec immense m'est tombé dessus et m'a broyé la main. Et le pire c'est que je ne peux même pas jouer les innocentes. Je m'y attendais. Tu hausses les épaules, esquisse un sourire sardonique. Peut-être que finalement, les Chats noirs portent vraiment malheur.
rire
C'est qu'on parle jamais de ça. Mais toi aussi, t'es dans ce bordel d'étoiles, pas vrai ?
Re: fragile | leto
FRAGILE
Mh. C'est ce qu'elle recevra de ta part comme réponse. Installée près de ta sœur, tu ne te sens ni en danger, ni plus en sécurité. Tu sais que si l'une de vous deux doit disparaître, du fait de vos fréquentations, ce ne sera pas toi. Tu aimerais te dire que tu pourrais la protéger, tu es sa sœur, c'est ce qu'une grand sœur doit faire, il te semble (?). Mais tu n'as jamais ni réussi, ni même réellement essayé.
Il a un nom, celui qui a fait ça ? Tu ne savais pas à qui tu pourrais demander des informations, même si tu avais une vague idée sur la question. De longues secondes passent après sa question sur les étoiles, tu soupires profondément. Tu sais déjà, non ? Mais tu as promis de ne rien dire, sans avoir à formuler la moindre promesse. C'était par mesure de sécurité, pour vous, pour cette étoile et pour tous ceux qui pouvaient graviter autour de vous. Tu soupires à nouveau, ça fait beaucoup dans une seule minute, même pour toi, Freya. Tu fréquentes beaucoup de gens qui sont liés à ça, mais tu ne l'es pas toi-même, c'est ça ? Silence. Enfin, je suppose.
Re: fragile | leto
Je n'ai pas vraiment eu ce plaisir. Mais lui me connaissais, comme son pote que j'ai croisé.
Viktor.
C'est étrange, entre vous. Ça l'a toujours été et - d'une certaine manière- le fait qu'elle garde ce détachement si prononcé te rassure. Il s'agit bel et bien de ta sœur. Un peu ici, un peu ailleurs. Parfois tu aimerais passer outre tout ce qui te rattache à cette réalité morne, comme elle sait si bien le faire. Sans doute te trouves-tu terriblement banale en comparaison, ce qui te pousse sans cesse à fourrer ton nez dans des affaires qui ne te regardent pas.
Toi aussi, tu veux avoir ton propre monde et sans savoir dans quoi tu mets les pieds, tu t'obstines à avancer dans ce sens. Il se crée, petit à petit, il prend forme. il a d'abord pris la forme d'un chat et doucement il s'est vu modeler à l'image d'une constellation à la lame de Damoclès, planant au-dessus de ta tête.
T'avais parlé de cette histoire d'étoile un peu comme ça, connaissant déjà plus ou moins la réponse. Mais tu sais pas, tu voulais faire ta mijaurée, ta paumée, ta petite gamine naïve et perdue qui demande de l'aide à sa grande sœur. Alors tu souris simplement quand elle te répond.
Jadis, tu aurais sûrement répondu un : "Je n'ai pas cette chance !" complètement effronté mais après avoir perdu de l'intérêt dans ta recherche de Sen et d'avoir mit les pattes sur de nouveaux éléments, tu n'es plus aussi sûre de vouloir te trainer un boulet magique aux pieds.
Et pour être tout à fait honnête, tu n'es même pas sûre de ne pas déjà en avoir un au nom du Chat.
J'espère au moins que ça se passe bien dans ton cercle. Tu lèves ta main valide et soupires, lasse de ces étoiles qui se cachent. Ton regard va se perdre sur la fenêtre.
Freya. Dire son prénom à de nouveau cette consonance nostalgique.
Quoi qu'il arrive, sache que je t'aime. Tu finis par lui sourire en haussant les épaules.
Pas trop sûre de m'en sortir la prochaine fois, alors tant que je te tiens, j'préfère te le dire.
Ça te fait penser à Ofelia...T'as envie de la revoir, t'as envie de passer du temps avec elle. T'as aussi envie de lui balancer des je t'aime. à la gueule et de faire n'importe quoi, comme tout lui dire, tout ce que tu sais, quitte à en crever la seconde d'après.
Et chaque pensée de normalité amoureuse te pique l'orgueil.
Re: fragile | leto
FRAGILE
Tu ne réponds pas, Freya. Tu ne connais pas de Viktor - à part celui de la compta de l'hôpital mais tu te doutes que ça n'a rien à voir avec lui donc bon - et tu n'as pas le droit de parler du cercle, dans l'intérêt de ta sœur. Et pourtant, dans ses mots, ses gestes, tu retrouves tout d'une condamnée à mort. Tu ne sais pas combien de temps il reste à ta petite sœur, ou si elle verra ses trente ans, mais plus Leto respire et plus il te semble que non.
Tu devrais avoir un peu plus d'empathie, mais malgré toi tu sais qu'une fois partie, elle ne le sera jamais vraiment avec toi, que ce serait peut-être l'occasion de passer du temps ensemble. Certes, ce ne serait pas vraiment pareil, mais tu étais si proche des morts, par rapports aux vivants. Tu avais sûrement déjà un pied dans ce monde, sans jamais vraiment l'atteindre. La pensée te fait soupirer faiblement, elle va sûrement penser que tu l'ennuies.
Je t'aime Leto. Se souvient-elle de la dernière fois que tu lui as dis ça ? Toi tu ne t'en souviens pas. Est-ce déjà arrivé ? Sûrement, il y a longtemps. Tout te semble si embrouillé et nébuleux. Mais je ne peux rien faire pour t'aider pour le moment. Un silence, tu hésites avant de prendre sa main valide dans les tiennes. La sienne semble si chaude. Si jamais il doit t'arriver quelque chose, tu peux me retrouver. C'est ce que je fais, je vois les spectres. Bon, ceci dit tu n'étais pas tellement certaine de vouloir la voir se prendre le bec avec Aedan jusqu'à la fin de ta vie, mais ça pouvait être divertissant.
Enfin, tu n'aurais pas dû penser à ta sœur morte.