L'été lui manque. Le soleil, la chaleur, la nuit qui tombe tard, les barbecues, les soirées allongées sur sa terrasse à regarder le ciel en écoutant la ville continuer de vivre, les vacances, la plage...
Louise n'aime pas beaucoup l'hiver.
Alors pour cette journée off, elle a enfilé un blouson jean cinq fois trop grand et qu'elle a décoré de tellement de broderies et de pins que l'on devine à peine le tissu en-dessus, un short bleu pastel qu'elle a bien été obligée d'assortir à des collants, ses Doc Martens rose, et elle s'est même payée le culot de chausser des lunettes de soleil aux verres irisés.

Le ciel est à peine dégagé, mais lorsqu'il y a quelques rayons de lumière qui passent, elle a vite fait de s'imaginer en plein printemps. N'ayant pas grand-chose à faire au Moon Embrace, elle opte pour une promenade au parc dans les beaux quartiers avec passage obligé au Planetbucks. Ça sera un grand bubble tea melon pêche, s'il vous plait !
Une main dans la poche et l'autre autour de son gobelet, elle flâne sans faire attention où elle met les pieds, jetant parfois un œil à son téléphone pour zapper sur la prochaine musique.

Finalement, elle trouve un banc sur lequel se laisser tomber.
Quel ennui... Personne à qui parler, rien de très intéressant à voir et elle ne se sent pas d'aller seule au cinéma ou dans un musée. Louise ne manque jamais d'idées pour s'occuper, mais parfois la vie en solitaire lui pèse. Elle voit tous les jours plein de monde et a même de nombreux habitués, cependant elle n'a personne à appeler en dehors des heures de travail pour proposer de boire un verre ou de regarder un film.
Et il arrive que son chez-elle, son nid douillet et familier, lui semble un peu vide.

Vaguement morose et la mine tristoune, elle dégaine une fois de plus son téléphone portable pour changer de playlist. Avec une autre musique, la vie redeviendra rose et elle pourra au moins faire le trajet de retour dans la bonne humeur.
Horreur !
Où est le charms qui pend normalement à son téléphone ? Elle n'y prête plus attention tant elle a l'habitude de le voir et de le sentir sous ses doigts, mais à présent qu'il n'est plus là, son absente saute aux yeux. Louise bondit sur ses pieds et commence à chercher au sol autour d'elle, une petite chaine avec quelques perles et des étoiles dorées accrochées tout du long, puis un croissant de lune avec un petit lapin assit dedans. Ça brille, ça doit se voir de loin...

Complètement chamboulée à l'idée d'avoir perdu son gri-gri, la jeune fille revient sur ses pas, le nez au sol et la paille à la bouche, comme si faire éclater les perles au sirop de melon sous sa langue allait lui conférer le don de retrouver les objets disparus. Ce n'est qu'un stupide charms de portable, et pourtant elle en a presque les larmes aux yeux.

Heureusement qu'elle n'a pas ses écouteurs dans les oreilles.
L'air soucieuse, elle lève le nez vers la voix et s'illumine instantanément en reconnaissant l'objet perdu. La voilà qui file au petit trot vers l'inconnu(e) qui a eu la bonté d'âme - car il ne peut s'agir que de cela, pas vrai ? - de ramasser son accessoire de téléphone.

— Oui ! Vous avez l'œil, ça n'a pas dû être facile de le repérer !

Soulagement.
Louise ne semble pas remarquer les yeux particuliers de la personne, ou si elle le fait, elle ne réagit pas. Dans son monde, il est tout à fait naturel de se teindre les cheveux en rose ou de porter des lentilles pour avoir les pupilles fendues. Rien d'anormal. Rien d'étrange. Alors Louise rayonne, simplement heureuse de ne pas avoir définitivement perdu son grigri.

— C'est gentil de l'avoir ramassé, merci.

Elle tend sa main ouverte, prête à recevoir l'objet.

Elle ne baisse pas les yeux sur le charms, même lorsqu'elle sent son poids dans sa paume. Sa tête s'incline légèrement sur la gauche, elle semble basculer dans une intense contemplation, puis elle opine doucement du chef. Elle a l'impression de rougir, peut-être est-ce le cas. C'est qu'elle a maintenant un peu honte d'avoir été si négligente. Sa main se serre sur son grigri comme s'il pouvait tout à coup bondir au sol de sa propre volonté et lui échapper.

— Je ferai attention, c'est promis.

Louise lui adresse un sourire timide et un peu embarrassé. Elle n'a toujours pas cillé.

— Ça serait pourtant bien pratique si je pouvais avoir un ange gardienne qui veille toujours à ce que je retrouve ce que je perds. Ou ceux que je perds... Elle hésite. Tu ne sais pas où iels sont, par hasard ? J'attends seule depuis longtemps et je ne les retrouve pas.

Persuadée que cette personne face à elle a la réponse.

— Mais...

Louise se tait d'elle-même et baisse les yeux avant de hocher la tête une fois de plus. Elle sait bien que se montrer impatiente ne sert à rien et qu'elle n'a qu'à continuer comme d'habitude, mais elle aurait certainement regretté de ne pas avoir demandé. Ça valait la peine de tenter sa chance.

— J'espère juste que ce n'est pas perdu pour toujours fait-elle d'une voix un peu plus basse.

Allons allons, on ne va pas tout à coup se mettre à pleurer. On est une grande fille, on prend une longue inspiration et on garde le sourire. Le menton levé et les pensées noires au loin.

— J'allais retourner vers le Planetbucks. Je peux t'offrir quelque chose en remerciement pour ça ?

Sa main fermée se lève, pour désigner le grigri qu'elle tient toujours fermement.

— N'importe quoi qui te ferait plaisir, vraiment.

Voilà qui lui fait plaisir !
Cette fois, c'est un vrai sourire qui lui étire le coin des lèvres lorsqu'elle ouvre la marche. En chemin, elle raccroche le grigri à son téléphone et range l'appareil dans sa poche, en sécurité. Plus de bêtise à présent. Le trajet lui semble deux fois plus court qu'à l'aller, bien qu'elle ne se montre pas très bavarde. L'espace d'un instant elle est tentée de prendre l'inconnu(e) par le bras, mais marcher juste à côté lui semble plus approprié, pour une fois.

Puisque son bubble tea vient de se vider, elle passe commande pour deux donuts et un Iced Matcha Green Tea Latte. Elle tends la boisson et le premier donut à la personne qui l'accompagne.

— J'espère que tu aimeras. Le Moon Embrace fait de meilleurs thés et je prépare moi-même toutes les pâtisseries, mais ce n'est pas mal de commander ici de temps en temps.

Ses yeux pétillent alors que lui vient une idée.

— Puisque tu m'as trouvée une fois, tu pourras le refaire, pas vrai ? Tu passeras me voir au Moon ?

Elle rit à la question et répond sans une once d'hésitation :

— Bien sûr ! Je laisse entrer tout le monde.

Et par "tout le monde", elle veut dire "tout le monde". Des agents de police, des mères et leur enfant, des bikers, des professeurs, des couples, des vieilles personnes seules, des chats errants, des pigeons... Alors pourquoi pas quelqu'un capable de retrouver les objets perdus ?

— Et puis ça n'aurait pas de sens de te demander de me rendre visite si c'était pour te laisser dehors.

Soudain, elle se frappe le coin du front du plat de la main. Non mais quelle tête de linotte ! Elle n'a même pas pensé à se présenter. Peut-être que ne c'est pas utile, elle a l'impression que c'est même superflus, mais il faut rester polie alors elle le fait quand même :

— Pardon, j'ai oublié : je m'appelle Louise. Et toi ?

Louise s'arrête un instant, un grain de sucre accroché à la lèvre. Puis s'affole un peu.

— N-non ! Je ne voulais pas dire que tu m'as l'air vieille ! C'est plutôt ton âme qui a l'air... A-ancienne. C'est...

Elle hausse les épaules avec un sourire gêné. Les gens ne comprennent pas, elle essaye de ne pas trop aborder ce sujet pour éviter de les mettre mal à l'aise. Mais est-ce qu'elle n'aurait pas enfoncé le clou en plus de passer pour quelqu'un de très étrange ? Bah, c'est trop tard maintenant. De plus, elle aime être honnête.
La réponse la surprend. Elle penche de nouveau la tête sur le côté de quelques degrés et les lunettes de soleil qu'elle a piqué dans ses cheveux glissent un peu.

— Vraiment ? Et tu aimes ce qui a été construit ? Ça n'a pas pris la place de quelque chose qui était mieux ?

Voilà ce qui la préoccupe le plus. Parce que Louise croit les gens sur parole lorsqu'ils disent avoir 5000 ans, qu'ils ont fait un voyage astral jusqu'à la lune ou qu'ils peuvent sentir les cours d'eau dans les profondeurs de la terre. Quoi de plus normal que de croire à l'idée que Rachelle puisse être là depuis la construction de la ville ?
Est-elle tout à fait convaincue de que la jeune femme lui raconte ? Peut-être, peut-être pas. Quoi qu'il en soit, elle joue le jeu sans hésiter.

Plus approprié pour ce qu'elle est. Louise veut demander, mais quelque chose la retient. De nouveau, elle croit sur parole ce qu'on lui dit. C'est vrai que la grande ville, ce n'est pas pour tout le monde. Si elle n'avait pas le quartier tranquille du Moon, probablement qu'elle non plus ne se sentirait pas à son aise.

La remarque lui fait hausser les sourcils et elle prend le temps de réfléchir. Est-ce que c'est trop grand ? Trop peuplé et trop vide à la fois ? Est-ce qu'elle se sent seule ? Un petit grain de sucre sur la table accapare son attention un instant et elle se met à jouer avec, du bout du doigt.

— Ça serait très égoïste de retenir tout le monde. C'est déjà bien si on me rend visite de temps en temps. Et puis c'est bien une grande ville, ça me donne plus de chance de rencontrer les bonnes personnes. Elle a un sourire un peu gêné. En plus, les gens comme moi passe plus facilement inaperçu ici. Être dans un tout petit village, ça veut dire voir toujours les mêmes têtes et entendre toujours les mêmes remarques.

Louise réalise qu'elle se cache à Polaris autant qu'elle y cherche les gens dont elle se souvient sans les avoir rencontrés. Ce n'est pas très courageux sans doute, mais personne n'aime être connu comme "la cinglée" du village et se l'entendre rappeler toutes les semaines.

Elle pique un fard en regardant la table, comme si elle était prise en faute. Est-ce que c'est une réponse ridicule qu'elle vient de donner ? Les railleries et les regards de travers, elle connait, mais ça reste déplaisant et Louise n'aimerait pas passer pour une imbécile devant sa nouvelle amie. Mais ce n'est pas de la moquerie, si ? Il doit y avoir quelque chose d'amusant dans ce qu'elle a dit, rien de plus.

— Peut-être que je devrais essayer, oui...

Un petit sourire et un haussement d'épaule chassent son malaise. Rachelle a l'air de savoir ce qu'elle dit, pourquoi ne pas suivre son conseil après tout ? Il faudrait essayer, un jour, d'être un peu égoïste.
La dernière remarque l'intrigue un peu (mais qu'est-ce qui n'est pas intriguant chez son amie ?). La plupart des gens aiment se voiler de mystères et prennent comme un défaut d'être facile à comprendre, cependant Louise n'est pas certaine que ce soit une si mauvaise chose. Si on arrive à bien la cerner alors c'est qu'elle est assez claire pour être comprise, pas vrai ?

— C'est plutôt bien, non ? Comme ça tu n'as pas de mauvaise surprise avec moi. J'avoue que de mon côté j'ai un peu de mal à tout comprendre à ton sujet, mais je suis sûre de pouvoir me fier à tes conseils ! Tu as l'air de quelqu'un qui sait beaucoup de choses ! Tu es peut-être professeur ? Ou scientifique ! Non non, je sais : tu es une exploratrice !