dans tes pas
Au début il y a eu l’hésitation, bien sûr.
Ça revenait à se jeter dans la gueule du loup, à se replonger dans des souvenirs qu’il valait mieux ne pas trop remuer. Des souvenirs qui le hantaient, cependant, qu’il se repassait en boucle, à chaque fois qu’il fermait les yeux pour dormir. Toutes les nuits, depuis celle du 31 octobre. Toutes. Les. Nuits.
Il sentait à nouveau ses mains autour du cou de Lycaon. La fuite, la peur, la douleur de l’éboulement.
Il revoyait Orion.
Toutes les nuits.
Toutes les nuits il revoyait sa lumière. Celle qui l’avait guéri. A chaque fois qu’il se voyait dans le miroir, il contemplait son torse sans cicatrice, gage de la réalité de ce qu’il avait vécu.
Orion.
Son Étoile.
La rencontre où tout avait pris sens. Où il avait eu le tremplin dont il avait besoin pour recommencer à vivre. où il avait retrouvé un but. Orion. Tout n’était qu’Orion.
Et puis il avait disparu.
Rien.
Le néant.
Il s’était évaporé comme s’il n’avait jamais existé.
Et Nadir se retrouvait encore plus perdu qu’avant.
Encore plus perdu que quand Morgan avait disparu de sa vie. Maintenant il se retrouvait sans amour et sans lumière. Seule la foi le faisait tenir, encore un peu, au bout du fil, au bout du bout du rouleau, mais il sentait que ce n’était plus suffisant. Qu’il manquait quelque chose.
Il lui manquait la Lumière, voilà tout.
Il lui manquait Orion, plus que tout, l’être à qui il avait juré fidélité. Il lui manquait son guide. Il lui manquait son phare. Il lui manquait ce qui le ferait tenir debout.
Morgan avait disparu.
Morgan ne reviendrait pas.
Morgan était mort.
Restait Orion. Mais encore fallait-il le trouver.
Parce qu’il était encore quelque part, non ?
Il le saurait, s’il s’était effacé de la surface de la Terre. Pas vrai ?
Nadir était distrait, depuis la nuit du 31 octobre.
Et une nuit, il se décida. Ses pas l’attirèrent vers les souterrains. C’était là qu’il l’avait vu pour la dernière fois… c’était peut-être là qu’il se cachait toujours, qui sait ?
Sans prendre le temps de s’inquiéter pour son sort, Nadir, lampe de poche en main, s’enfonça dans la noirceur.
* Je savais que tu reviendrais, il t'avoue avec un sourire candide.
dans tes pas
Il le sent avant de le voir. Il le sent avant de voir sa Lumière. Il devine sa présence dans la pénombre et dans son cœur, comme si on lui ajoutait un battement en écho.
Nadir s’illumine, mais aujourd’hui, c’est de l’intérieur.
Le soulagement qu’il ressent est immense, oh il aurait pu en pleurer. Oh, il aurait pu en rire aux éclats. De bonheur. D’espoir.
Orion s’avance, radiant de Lumière.
Nadir est complet à nouveau.
- J’ai eu peur de ne plus jamais te revoir, murmure-t-il en s’approchant de son Étoile.
où étais-tu ? pourquoi est-ce que tu m’as laissé seul pendant si longtemps ?
Mais Nadir n’a pas envie de lui reprocher quoi que ce soit. Il ne peut pas, il ne peut pas, tout simplement, on ne peut rien reprocher à la perfection, même si il l’avait laissé sans rien dire. Alors Nadir sourit, c’est tout ce qu’il peut faire, parce que son cœur se gonfle d’admiration et d’amour.
- J’avais l’intuition que je pourrais te retrouver ici, ajouta-t-il d’une voix un peu étranglée d’émotion.
Oh, il se rendait compte, maintenant, Orion avait beaucoup plus manqué à sa vie que tout ce qu’il aurait pu imaginer. Il pourrait s’allonger dans sa Lumière et ne plus jamais se relever. Ça lui suffirait. Ça lui suffirait amplement.
Il avait mis si longtemps à venir, pourtant. Il avait tellement peur de ce qu’il pouvait voir.
Ou ne pas voir.
- Où est-ce que tu étais ? demanda-t-il finalement, après un silence. Mais dans le ton de sa voix, aucun reproche. Tu as disparu pendant si longtemps, je me suis dit…
... que tu m’avais abandonné.
* J'ai voulu découvrir les humains, il te répond, je voulais voir ce que je ne connaissais pas. Mais je suis là. Je ne pars plus. Sa lumière est froide. Je n'ai pas oublié mon but.
dans tes pas
L’étreinte le surprend tellement que Nadir se fige. Il ne sait pas comment réagir, il s’attendait à tout sauf à ça. Il connaissait à peine Orion, il l’avait à peine croisé, au final, mais une chose était sûre, c’est que depuis la dernière fois, il avait beaucoup changé. Il ne comprenait pas comment. Il ne comprenait pas pourquoi. Mais c’était un fait.
Mais il reconnaissait en lui toujours son Étoile. Celle qu’il aimait, sans avoir besoin de mettre les mots sur ce sentiment.
Il sortit de sa torpeur et serra Orion dans ses bras, les yeux fermés, baigné dans sa Lumière, s’y plongeant comme si elle pouvait guérir tous ses maux.
Toutes ses blessures à l’âme.
Ce qui n’était pas possible, bien sûr.
Toutes les cicatrices de Nadir étaient concentrées autour de son cœur, maintenant, à défaut d’être sur son corps.
Il se détacha de son Étoile, et tout prit sens. Il était vrai qu’il avait l’air… plus humain, d’une certaine manière.
Quelles allaient en être les conséquences ? Il préférait ne pas se poser la question. Il avait décidé de ne se poser aucune question, tant qu’Orion serait là.
- Ton but, répéta-t-il à mi-voix. Te débarrasser des autres Étoiles, c’est ça ? C’est pour ça qu’on est là.
Il repensa avec effroi à la nuit. Il repensa avec terreur à Lycaon.
Il ne pourrait pas refaire ce genre de choses, il en était incapable. Il ne savait pas ce qui lui avait pris la première fois. Il se détestait pour avoir attenté à la vie d’un autre être humain. Ce n’était pas dans les valeurs d’amour dans lesquelles il avait grandi. Ce n’était pas ce qu’on apprenait dans le Coran. Ce n’était pas le genre de personnes qu’il voulait être.
Mais si Orion le lui demandait, alors il n’avait d’autres choix que d’obéir.
Il répète, pensif. Tu te demandes, pendant un instant, s'il a abandonné l'idée folle de tuer étoiles, liés, tout ce qui se mettrait sur son passage. Il sourit, finalement.
* Est-ce que tu me suivras ?
Tu comprends qu'Orion ne voulait plus être seul.
dans tes pas
je ne veux plus avoir à tuer personne
je ne veux tuer personne
je t'en prie je ne veux tuer personne
je ne pourrai pas le faire, je ne veux pas le faire, je t'en prie je t'en supplie ne me demande pas encore de le faire
j'en serai incapable
je ne peux pas faire ce genre de choses
ce n'est pas qui je suis
ce n'est pas ce que je veux être
je t'en supplie je t'en supplie
Sur son visage, un sourire tranquille.
Faire taire la petite voix, à l'intérieur.
La faire taire.
Elle ne comprend pas, elle ne peux pas comprendre.
- Bien sûr que je te suivrai.
Ses mains viennent trouver tes joues et il t'observe en détail. Tu ne sais pas à quoi il pense.
* Continue à projeter ma lumière.
Il te sourit.
* Tout ira bien.