à cette heure-ci, le soleil se lève à peine, mais beaucoup sont déjà presque prêts à aller au travail.

c'est la dernière ligne droite, on finit d'avaler son café en enfilant ses chaussures, on vérifie que l'on a bien ses clés et son portemonnaie avant de quitter la maison, on se regarde une dernière fois dans le miroir pour être sûr de ne pas avoir oublié un dernier épi rebelle dans ses cheveux, et puis on y va, par peur d'être en retard et de se faire réprimander.

à cette heure-ci, Capri sort à peine du casino Lotus. les yeux cernés, le regard assombri et un peu hagard, il fait ses premiers pas dehors, et plisse les yeux, étonné. il s'empresse de regarder sa montre, mais son poignet droit est nu, le gauche au-... aussi... ? et puis, il se rappelle, il l'a jouée il y a quelques jours déjà. merde. mais alors, l'heure, enfin ? il ne trouve pas son téléphone, mais en a-t-il vraiment besoin ? le Soleil moqueur et les voitures et les piétons qui s'activent dans les rues en disent déjà assez long.

merde, merde, merde, merde,
merde.

c'est ce qu'il devrait penser. il devrait être embarrassé, inquiet, pressé, surtout, pressé de trouver une solution pour ne pas être en retard tout en restant professionnel.

mais le secrétaire reste là et sourit, comme s'il ne risquait pas sa place, comme s'il n'y avait que lui pour être secrétaire dans son entreprise, et c'est exactement ce qu'il croit, car le Destin lui a sourit, un vrai sourire franc, un pouce en l'air, enfin, non, surtout un TAS DE BILLETS dans sa poche, un tas de jetons quelques secondes auparavant, c'était un signe de l'Univers que tout allait bien. les gens qui sont dans les bonnes grâces du Destin ne se font pas virer, c'es tout.

c'est pour ça que Capri décide de ne pas retourner chez lui, tant pis si son costume est un peu froissé, et quand il veut resserrer sa cravate et que ses doigts se referment sur du vide. ... ah. il n'est même pas embêté de l'avoir oubliée quelque part. il ira au travail comme ça. ... au moins, puisqu'il était allé au casino directement en sortant la veille pour « deux petites parties », il a déjà tout ce qui lui faut.

il ne manque qu'une chose, en fait, l'heure précise, pour savoir quel mensonge il racontera quand il verra ses collègues. alors il s'approche de la première silhouette, si naturellement, avec le grand sourire de l'Homme Chanceux, et demande si poliment, Je vous en priez, auriez vous l'heure ?

bon. plus la peine de faire semblant, Capri est en retard.

en retard, et il comptait demander un coup de main, mais il a demandé l'heure au type le plus baraqué qu'il n'a jamais vu de sa vie, il est même obligé de relever la tête comme un enfant pour le regarder dans les yeux quand il s'adresse bien poliment à lui, mais peut être que ce n'est pas une très bonne idée de fixer ces yeux clairs, franchement intimidants.

ouais, ça fait peur, les espèces de statues vivantes comme ça,
depuis quand on les laisse librement se balader en ville, ça devrait être interdit d'intimider les bonnes gens à sept heures trente-neuf du matin, un mercredi. mais Capri n'a pas le temps, car il devrait être au travail depuis neuf minutes, et le temps de marcher jusqu'au bâtiment d'Aether Lab... bon. c'est... c'est pas la première fois, en fait. pas vraiment. Je suis grave dans la merde, je dois le dire. Oui. Comment vous faites, quand vous êtes en retard, vous ? ... J'ai un peu épuisé les excuses crédibles, et la patience de mes chefs...

Il a bien une idée, mais n'ose pas encore la proposer.
On verra.

C'est dur de savoir si Capri a conscience de déranger ou non. quand il s'agit de quelqu'un qui vient prendre son temps, oh, là, il est très doué pour se faire comprendre, à grand renfort de soupirs et d'yeux levés au ciel, de stylo que l'on tape sur le bureau, oui, il se fait comprendre. en revanche, ce brave monsieur qui se tient devant et au dessus de lui est plus subtil, et peut être qu'il n'a pas toute sa matinée pour lui, mais Capri s'en fiche,
Capri a des problèmes,
et il va les résoudre,
avec ce bon monsieur.

sûrement une des pires idées de sa vie, mais les billets dans sa poche l'aveuglent, il ne voit pas le danger. il n'imagine même pas être en danger, après une soirée entière à se sentir invincible. et c'est pour ça qu'il n' « arrête » pas, comme le suggère cet homme plein de bon sens. il n'a pas envie d'arrêter. ...

Ok, bon, je vais arrêter, mais j'ai besoin d'une bonne excuse pour aujourd'hui, je suis déjà un peu sur la sellette...

... sans salaire, plus d'apport régulier pour jouer... c'est risqué. alors il ne lui reste plus qu'une solution, compter sur son idée brillante, l'excuse parfaite, qu'il ne peut malheureusement pas faire tout seul. (loin d'une idée parfaite, il vient d'y penser en rencontrant le Géant, en fait, mais Capri ne s'inquiète pas)

Bon. il perd soudainement une grande partie de son assurance, mais il faut pourtant qu'il demande l'aide de cet étranger, il en a besoin, il ne s'en sortira pas tout seul. Je vous en prie, frappez moi.

la main fend l'air comme une balle de revolver, et le bruit du coup n'atteint les oreilles de Capri qu'une seconde après, et puis il n'entend plus rien. il ne voit plus rien.
il n'y a plus que la douleur.

une douleur soudaine, mais qui dure, dure, c'est sa mâchoire, le point précis de l'impact, puis ça remonte le long de son visage, le bas de son cou, jusque dans les petits cheveux au creux de sa nuque.

il perd l'équilibre, ou pas, où est le sol, quand on ne voit qu'une lumière blanche ? où est le haut ? le bas ? le ciel ? Capri n'en sait plus rien. il subit,
et souffre.

et quand ses sens reviennent enfin, toujours atténués par la douleur lancinante, il relève les yeux vers l'homme, encore sonné, et se dit que c'était une mauvaise idée d'avoir demandé au type le plus baraqué, mais au moins il avait accepté sans broncher, et il était sûr de pouvoir prendre sa journée avec une blessure pareille. sa main gauche s'approche doucement de sa joue, mais dès que ses doigts effleurent sa mâchoire, il les retire et grogne de douleur.

au moins, le type sait rendre service.

... Merci. il essayerait de sourire, s'il n'avait pas mal au moindre mouvement de lèvres. Je pourrais au moins réclamer la journée entière... C'est bien.

aie.

ils sont deux à sourire. enfin, Capri affiche un rictus de douleur qui aurait du être un sourire. et l'homme gigantesque sourit vraiment, lui, les yeux un peu plissés, comme un félin heureux après une sieste au soleil.

bon.

ça fait deux heureux, à peu près.

au moins... au moins, Capri aura sa journée et... de quoi payer la facture, à l'hôpital. car plus le temps passe et plus... la douleur persiste. normalement, quand on se fait mal, elle est censée s'atténuer, non ? dans ce cas là, ce n'est pas vraiment le cas. ... c'est un peu inquiétant, pour être honnête.

Heu, écoutez... Je crois que je vais passer à l'hôpital rapidement. ... Merci ? Je n'aurais pas pu me faire ça tout seul, je n'aurais pas osé...

aie aie aie.

Capri espère que son « sauveur » ne croit pas lui apprendre quelque chose, en le traitant d'idiot. Il sait qu'il l'est, depuis longtemps, depuis des années, à vrai dire, depuis qu'il a du dire au revoir aux collines qui l'ont vu naitre pour ce pays rempli de malfrats qui acceptent de vous frapper sans ciller.

c'est un énorme idiot, oui.

mais un Idiot Chanceux, et ça lui remontera toujours le moral de le savoir, c'est un Idiot Qui Gagne, et c'est tout ce qui compte. un Idiot bien vu par le Destin, il en est persuadé. son portefeuille plein à craqué en est la preuve, et cet homme aussi qui a été placé sur son chemin, prêt à lui rendre un service. il est si Idiot qu'il ne recule même pas quand l'Homme s'avance. il tente un nouveau sourire, mais c'est simplement un nouvel échec.

Grazie, Signore ! et il recule avec cet air douloureusement insupportable,.il a envie de partir mais il se demande si, comme avec les grands fauves et les chiens de chasse, tourner le dos risque d'entraîner une poursuite.