scorpion.txt
au tout début du printemps, lorsque mars a à peine débuté et que les plantes ne se sont pas encore réveillées après un long hiver, quelques petites fleurs osent braver le froid.
Divine va dans les champs cueillir des fleurs. c'est calme, loin de l'agitation de la ville. c'est beau, lorsque le soleil brille, même s'il ne parvient pas à réchauffer l'air. c'est agréable, de marcher dehors, quand on est bien emmitouflé.
mais c'est Divine dont il s'agit, et il faut alors tout rentabiliser. elle ne prend pas n'importe quelles plantes, non, mais cueille les petites fleurs bleues de la bourrache, plante médicinale et comestible. elle en fait du thé qu'elle propose à ses clients, s'en sert pour parfumer des beignets ou d'autres plats, et en profite pour filmer quelques courtes vidéos avec ce beau décor champêtre pour son compte tiktok.
Divine est une petite abeille bien affairée.
elle se penche dès qu'elle aperçoit une tâche bleue, les yeux rivés au sol, et avance doucement, un peu après l'autre, en fredonnant.
Et il se met à t'observer.
Tu as un mauvais pressentiment.
scorpion.txt
le petit sac se remplit vite de fleurs. un petit sac plein de fleurs bleues délicieuses et parfumées.
ce n'est pas grand chose, le poids des pétales, alors Divine continue de s'affairer en fixant le sol. mais une ombre l'interrompt, une grande ombre qui glisse par dessus elle, par dessus ses mains, par dessus les fleurs, et quand la jeune fille se redresse, elle aperçoit le gros oiseau noir en train de se poser.
... le corbeau, c'est presque toujours un mauvais présage, en divination. un frisson remonte le long de sa colonne. figée, elle fixe l'oiseau. ... peut être qu'il vient juste manger quelques graines... ? Divine sourit, espérant attirer la chance de son côté en restant positive. le positif attire le positif, n'est ce pas ?
Il croasse.
Est-ce que ce craquement de branche était dû à un animal, au hasard, à quelqu'un ?
scorpion.txt
il fait froid.
il fait très froid.
Divine est bien couverte, mais elle est glacée en fixant ce corbeau, car soudainement tout ses sens sont en éveil. elle entend l'absence de chants d'oiseaux. elle sent le vent impitoyable. elle sent le regard du corbeau, oiseau de malheur.
qu'est-ce qu'elle fait ici ? pourquoi est-elle venue seule ?
elle n'a pas fait attention, voila ce qu'elle dira. voila ce qu'elle voudrait dire en rentrant. elle veut rentrer. il faut rentrer, Divine. elle pense à la boutique de Madame du Boisdulier, elle pense à sa chambre minuscule qu'elle n'aime pas, elle pense même à l'appartement de Ruvik qu'elle déteste, et tant pis, c'est mieux que les jolis champs remplis de fleurs.
Divine recule de quelques pas, elle n'ose d'abord pas tourner le dos au corbeau, puis elle se rappelle que ce n'est « qu'un » oiseau, et commence à rebrousser chemin pour regagner la ville.
Tu peux presque voir ton vélo, et tes jambes te démangent, il faut que tu cours. Il faut que tu te tire d'ici le plus vite possible. Est-ce que quelqu'un t'entendrait si tu hurlais ? Tu n'en es pas certaine.
scorpion.txt
le Corbeau est là.
elle ne sait pas comment, mais Divine est persuadée que c'est le même. qui la fixe. son vélo est à quelques pas, juste là, mais le Corbeau l'observe.
elle est seule. à cet instant, elle se sent terriblement, irrémédiablement seule. et c'est sa faute, et uniquement sa faute. elle dit toujours qu'elle s'en sort très bien toute seule, qu'elle se construira la vie qu'elle mérite toute seule, alors non, elle n'écoute pas toujours les recommandations de Spica, non, elle ne tremble pas toujours quand il leur parle des chasseurs. ... c'est un peu pompeux, quand même, comme nom.
mais là elle sent tout son corps trembler, pas juste à cause du froid,
à cause du Corbeau.
à cause de quelque chose d'autre, quelque chose d'inconnu.
elle tremble de peur,
seule,
et c'est sa faute.
pas le choix, elle doit s'en sortir toute seule, et court vers son vélo pour l'enfourcher le plus vite possible et s'éloigner.
Et enfin, la route se pare d'asphalte et tu peux te détendre un peu.
Puis PAN
un coup de feu, qui fuse pas loin de toi-
Et le crissement des roues d'une voiture noire, toute proche. L'appel d'air de son passage manque de te faire tomber dans le fossé. La voiture a pilé et tu y découvre un visage que tu n'espérais pas croiser aujourd'hui, tout te semblait perdu.
Ruvik te le hurle depuis le siège conducteur, il t'a ouvert la portière, est plié en deux pour te tenir la porte. L'air sent les pneus qui ont chauffé et tu jurerai que ça sent la poudre.
scorpion.txt
elle pédale Divine, oh, et son cœur s'emballe,
car elle sait qu'elle n'a pas le choix. il n'y a qu'elle pour se sortir de là.
alors elle continue, tant pis si ses poumons brûlent, tant pis si elle a l'impression que ses poumons vont exploser dans sa poitrine. il faut continuer d'avancer. il faut fuir.
et puis,
soudain,
PAN !
quelle frayeur, ce coup de feu, telle que Divine s'effondre, glisse par terre sur le bitume en sentant la peau de ses mains se déchirer, un tourbillon de petites fleurs bleues s'échappant de son sac à moitié fermé dans la précipitation.
elle se dit que ça y est.
et puis, une Lumière.
Sa Lumière.
La voix de Ruvik qui tonne, par dessus la peur, par dessus les palpitations d'angoisse, par dessus la douleur. Ruvik, ruvik, ruvik. Ruvik, ruvik, ruvik, ruvik, ruvik.
vite, Divine se relève comme elle peut, malgré la douleur, et se jette en avant vers la voiture. elle n'a plus de souffle, mais ce n'est pas le moment de faillir. vite, se jeter dedans, vite, fermer la portière, à l'abri.
elle n'est pas seule.
Tu t'attends sûrement à des reproches de Spica. Mais ils ne viennent pas.
* Est-ce que ça va aller ?
C'est toujours Ruvik qui s'adresse à toi, tu te dis que tu as bien de la chance, et à de multiples aspects aujourd'hui.
scorpion.txt
le moteur rugit, c'est le seul bruit qui parvient aux oreilles de Divine. ce bruit violent, aigu, mais qui se calme
petit à petit alors qu'ils s'approchent de la ville.
elle ne dit rien, et ne semble rien entendre pendant un moment. à part le moteur, aucun bruit ne franchit le sifflement qu'elle entend, depuis que la balle est passée tout près d'elle.
elle aurait pu y rester. elle le sait. elle aurait pu. mais elle est là, et Ruvik lui demande si ça va, et elle sursaute presque. depuis le début du trajet, elle fixait la route droit devant elle, comme si rien d'autre n'existait. comme si ses problèmes n'existaient pas.
oui, elle répond trop vite à la question. réponse automatique, ça va toujours, elle s'en sort toujours. c'est son premier réflexe, car il n'y a jamais vraiment eu quelqu'un pour poser cette question sincèrement. jamais personne qui a laissé entendre qu'ils apporteraient un soutien inconditionnel. jamais, avant... avant eux. avant lui.
... je sais pas, en fait.
c'est un tout petit murmure, jeté dans l'habitacle sans faire attention.
Divine retient son souffle.
* Prends le temps de souffler, je te déposerai où tu veux.
Spica t'aurait sûrement ordonné d'aller chez Bérangère, mais Ruvik n'en fait rien. Il a conscience que la situation est compliquée pour chacun d'entre vous, et que faire preuve de paternalisme n'aiderait en rien, voire même pire.
scorpion.txt
Ruvik est trop gentil.
ce n'est pas juste. Divine s'attendait à tout, des reproches, des cris, des soupirs exaspérés, un silence réprobateur qui en dit long... mais pas à cette simple phrase douce et un peu réconfortante.
ce n'est pas juste.
elle est là, les mains encore tremblantes, son coeur bat toujours à 100 à l'heure depuis avoir entendu ce sifflement juste au dessus de son épaule. et soudain, elle sent ses yeux inondés prêts à déborder, et elle ne peut que se mordre la lèvre et cacher son visage d'une main pour empêcher la façade de s'effondrer. il n'y a pas de larmes qui coulent sur ses joues, mais juste quelques sanglots silencieux qu'elle finit par réprimer douloureusement.
peut être qu'elle n'avait pas vraiment cru aux dangers qui guettent, malgré tout ce que Spica et Ruvik avaient dit. après tout, même en entendant parler de morts, c'était toujours les autres. les autres cercles. pas le sien.
pas elle.
mais là, c'est elle qu'on a visée. et elle se dit que Ruvik devrait vraiment l'engueuler, mais peut être qu'il sent qu'elle a compris.
je vais rentrer chez moi, rester à la maison pour un moment...
amère leçon.
* Tu seras toujours la bienvenue chez moi si jamais tu as besoin de quoi que ce soit.
Tu n'imaginais pas qu'il puisse être possible de rentrer chez Ruvik, et a bien y réfléchir, il ne te l'avait jamais proposé. Lorsque vous deviez vous voir, c'était chez Bérangère, parce que c'était facile, et qu'elle acceptait toujours, parce qu'après tout, vous étiez une grande famille.
scorpion.txt
Divine se sentait prête à craquer, elle était persuadée qu'elle n'arriverait pas à retenir plus longtemps ses larmes...
et puis l'offre de Ruvik, si gentille, oh, bien sûr qu'il est gentil et compréhensif, Ruvik, eh bien, cette offre semble si incongrue que la jeune fille oublie un instant ce qui pèse sur eux, un bref instant qui lui permet de se reprendre. les visites du Cercle, c'était toujours chez Bérangère, jamais chez Ruvik. pendant longtemps, Divine s'était demandé si Ruvik vivait avec quelqu'un d'autre, qui ignorait tout des étoiles, mais elle avait fini par se dire qu'il avait sûrement juste un appartement froid avec une décoration médiocre, et que c'est pour ça qu'elle ne l'avait jamais vu.
tout ça la fait presque sourire, la toute petite esquisse de sourire que l'on fait quand on était au bord des larmes et que quelqu'un réussit à nous réconforter.
merci beaucoup, Ruvik. je te renvoie l'invitation, si tu veux un jour en apprendre plus sur ton avenir... le ton est presque joyeux, presque car son coeur bat encore la chamade, mais l'idée de tirer les cartes à Ruvik est amusante. ... j'ai des amulettes pour augmenter ses chances de réélection.
là, elle sourit presque franchement.
* Je pourrais me laisser tenter un jour, qui sait.
Tu doutes qu'il croit à tout ça, mais au moins il fait l'effort et c'est quand même plutôt agréable. Il jette un regard autour de vous, mais tout semble normal dans la rue. Lorsque tu sors, il te jette un dernier regard.
* Sois prudente, et n'oublie pas que nous sommes ensemble là dedans.
Et le voilà parti.
Terminé de mon côté !
scorpion.txt
il y a quelques minutes à peine, enfin, selon ce qu'elle a ressenti, elle se faisait menacer par un étrange corbeau, puis elle a entendu cette balle siffler si près d'elle. et maintenant, elle est là, juste en bas de chez elle, dans la voiture de Ruvik, qui lui parle si gentiment.
Divine ne comprend pas tout, mais elle comprend qu'elle a eu énormément de chance. elle ne sait pas qui est son ange gardien ou sa bonne étoile, mais ils étaient là aujourd'hui pour veiller sur elle, enfin non,
Ruvik Hunter a été là aujourd'hui pour elle.
elle le savait déjà, le danger qu'ils courraient, mais après trop de temps à se cacher, on finit par ne plus penser à la menace qu'il y a hors du terrier, on finit par se dire que ce n'est pas si grave. elle repense à toutes les conversations avec Ruvik, avec Spica, ... avec les autres, avec Bérangère. vous êtes tous en très grave danger de mort. Pauvre petite inconsciente, comment tu as pu faire une chose pareille ? Tu mérites de sérieuses remontrances. En attendant, jeune fille, remonte dans ta chambre.
un dernier regard vers Ruvik, un dernier sourire, un petit signe de la main.
ce soir, elle mettra des heures à s'endormir, blottie sous sa couette, dans le noir, sans oser respirer, de peur de faire trop de bruit. les soirs suivants aussi.