Il commence la journée dans le plus grand silence. Il n'est personne pendant quelques heures, et puis il revient, et il est Yumi(?), et puis il disparaît à nouveau, et puis il est de retour. Il a reçu d'étranges paroles ce matin même, dans un regard sombre. Fais attention à toi, a dit la voix de son employeur, et Yumi(?) l'a regardé avec des yeux incertains. Qu'a-t-il dit là ? "Yumi" n'est qu'un objet. "Yumi" est une arme, un outil.
Alors Yumi(?) erre, et Yumi(?) panique.
Yumi(?) n'a jamais été d'aucune importance.
Yumi ? Yumi ? Yumi ?
Tu t'appelleras Yumi
Pour cette mission, tu seras Yumi
Yumi
Yumi
YUMI
Il n'a rien de réel. Ce matin, il a passé une heure à contempler le dossier, à retenir les informations, à organiser son changement d'apparence, le coeur lourd. Il n'a pas envie de changer d'apparence, il n'a pas envie d'approcher les autres avec son nouveau visage, il n'a pas envie de devoir dire à nouveau "C'est Yumi" sans y croire, il n'a pas envie d'entendre une voix qui ne lui correspond pas, à quoi ressemblait sa voix ? Comment était-elle ?
Ses pas le font errer jusque chez celui qui pourrait tout arranger
Celui qui pourrait le faire aller mieux
Il entre.
* Yumi ? Ça va ?
Sa voix te ramène un peu à toi. Autant que faire se peut. Il approche et vient poser sa main sur ton épaule.
* Tu as un problème ? Il s'est passé quelque chose ?
Après tout, tu débarques sans prévenir, c'est plutôt inquiétant.
Sa vie est dépourvue d'amour. Malchanceux, il n'a même pas pu connaître l'amour du Soleil et de la Lune, arraché trop tôt à sa patrie, baptisé enfant d'Astéria trop tôt.
Mais cet amour, il lui arrive de le ressentir - dans le regard d'un homme qu'il est censé détester, dans sa voix qu'il a utilisé pour faire de lui une arme, il a ruiné sa vie
Il a ruiné sa vie mais en aurait-il eu une, s'il était resté là-bas ?
Il a fait de lui une arme - aurait-il pu être mieux ? Aurait-il pu être mieux qu'un rat aurigain ? Aurait-il pu être MEILLEUR QUE CA ?
Ce n'est pas Celadon Hunter qu'il trouve dans le salon où il est entré,
c'est son fils.
C'est son péché, c'est sa peine, son fardeau. C'est la vengeance d'Astéria
Pour lui qui n'a jamais vraiment cessé d'être un fils d'Auriga,
qui n'a jamais cessé de prier la Lune
le Soleil
l'Aube
Et le Crépuscule.
"Yumi" dévisage l'homme, sous le choc.
Il est au bord du malaise, pour être honnête.
* À toi de me dire.
Il est tout proche et te souris un peu. Il a cette facette humaine lorsqu'il est loin du travail, lorsqu'on le surprend à vivre sa vie d'humain. Pourtant Spica n'est jamais loin, tu l'as appris trop de fois à tes dépends.
* Assied toi, je vais te préparer un thé.
Ta présence n'a pas l'air de le déranger.
Yumi(?) n'a jamais désiré être un homme libre, mais ces chaînes et cette obéissance ne lui conviennent pas non plus. Elles sont trop visibles, trop remarquables, trop gênantes.
Parce que Ruvik lui dit de s'asseoir,
et "Yumi" obtempère sans réellement s'en rendre compte.
C'est comme ça.
Ça a toujours été comme ça, lui fait remarquer Spica, presque moqueuse, si ce n'est pas avec Ruvik c'est avec son père.
Et on croit en sa loyauté ? Envers Ruvik, Spica, et les autres ?
Comment pourrait-on croire en sa loyauté ?
Il se mord l'intérieur de la joue, jusqu'à sentir le goût du sang. Bien. Ressaisis-toi.
Quand Ruvik revient avec une tasse fumante, Yumi(?) a l'air très embarrassé.
Il parvient, à demi-mots, à prononcer - la gorge serrée.
Non, il n'y a rien à dire.
Il accepte la tasse sans un mot.
Vous m'avez fait beaucoup de mal, il a envie de murmurer, sans savoir à qui adresser ces paroles.
* Tu ... ?
Et tu sens Spica reculer, c'est presque perceptible dans le soupir fatigué de Ruvik. Comme si elle savait ce qui les attend, comme s'ils savaient tous les deux. Si l'état du cercle était encourageant et n'avait rien à envier aux autres - au contraire - ce n'était pas pour autant que votre vie était simple. Et ils le savaient.
* S'il te plait, parle moi, Yumi.
C'est la première fois qu'il te le demande. Il a l'air désespéré.
Spica s'en va - comme acceptant sa défaite, comme acceptant que Yumi(?) soit encore plus tenace qu'elle, même si ce n'est pas ce qu'il veut, même si ce n'est pas ce qu'il mérite. Il pince les lèvres et hésite, un moment, un bon moment, le silence s'étire et se tord et supplie Yumi(?) de dire quelque chose et finalement
Il a murmuré tout doucement, en sachant pertinemment que ce n'était pas possible, ce n'est plus possible depuis qu'il ne se ressemble plus ; avant, peut-être qu'il y aurait eu un espoir, mais avec cette apparence, ce n'était même plus la peine d'y penser.
Et puis, chez lui ?
Y avait-il encore un "chez lui" ?
"Yumi" n'a pas de chez lui. Sauf peut-être...
Non.
Il boit une gorgée timide.
Il peste, épuisé. Il n'y a rien derrière ces plaintes.
Il répond, sans attendre la fin de ce que tu as à dire, puis il fronce les sourcils. Son père te pousse à bout ? Cela ne semble pas l'étonner outre mesure. Il doit s'en douter, et il sait qu'il ne te simplifie pas la tâche, que ta charge de travail n'est pas allégée par ce qu'il te demande, ou la situation. Il semble embêté, mais n'en dit rien.
* Prends quelques jours pour toi, de mon côté.
Il sait que son père ne te donnera jamais de congés, Yumi. Ruvik n'a jamais eu un instant de répit, avec Celadon Hunter. Et il sait, il sait ô combien le Président peut s'avérer difficile à vivre. Il te lance un regard désolé, et un regard tout autant plein de compassion.
* Si tu as besoin que je lui dise que tu es souffrant, pourquoi pas.
Comme si vous étiez des enfants, en train de vous préparer à faire le mur ou à sécher les cours.
Il recommence, c'est presque suppliant, comme s'il demandait à Ruvik de décider à sa place - parce que lui n'en est pas capable. Il soupire.
Il demande, résigné, peut-être contre son gré. Il préfère que Ruvik pense à autre chose. Il préfère que Spica revienne, parce qu'il ne sait pas ce qu'il fera si Ruvik reste, si Ruvik continue de le regarder avec cet air-là, il ne sait pas ce qu'il fera.
Long, long soupir chargé de beaucoup de non-dits.
Petit regard à Ruvik alors qu'il lui parle de détails concernant son changement d'apparence, des détails et la marche à suivre.
Il le regarde... il pose sa tête contre son épaule.
Tu t'es posé contre son épaule, il s'arrête et te regarde quelques instants, il fronce les sourcils. Il s'est fait silencieux à nouveau. Spica n'est pas là.
* Je lui expliquerai. Considère que tu as quelques jours pour souffler à compter d'aujourd'hui. Tu peux rester ici, j'ai une chambre d'ami. Sinon, je te prendrai une chambre d'hôtel.
Il ne te laisse pas la possibilité de refuser, et ça semble d'ailleurs l'embêter de t'imposer ça. Il le fait uniquement parce qu'il s'agit de repos, et qu'en repos ou non, tu ne t'arrêterais jamais vraiment de travailler, pas vrai Yumi ? Il passe son bras autour de toi et caresse le tien distraitement. Ça ressemble à une étreinte.
L'étreinte dure un certain moment. Yumi(?) en profite, ce serait bête de ne pas en profiter, et puis. Il n'a jamais reçu de câlins, d'embrassades, avant le cercle. Avant Jade et ses soudains élans d'affection, Priam qui ne rate pas une occasion d'être tactile, Bérangère et ses longues étreintes réconfortantes. Il n'avait jamais connu ça, avant. Il n'avait jamais connu quoi que ce soit.
Il hésite.
Angoisse. Petite boule au ventre, imperceptible.
Ce n'était jamais agréable de devoir s'habituer à un nouveau corps.
* Oui, tu peux en profiter. J'ai une copie du dossier que nous t'avons fourni.
Il hésite un instant, se demande sans doute comment ça se passe pour toi, lorsque tu fais ça. Il détourne les yeux un instant.
* Après que tu ais changé, je te laisserai te reposer ici, le temps d'aller te chercher des vêtements adéquats.
Un instant de silence, où il va pour dire quelque chose, se ravise un instant puis se lance :
* Tu es sûr que ta nouvelle apparence te conviendra ?
Malgré lui il sait ce que tu répondras.
* J'imagine que notre avis n'a que peu d'influence là dessus, c'était le plus logique.
Vous ne pouviez pas vous permettre de faire disparaître quelqu'un pour te créer une apparence, pas vrai ?
Il ajoute d'un ton un peu dur, regrette instantanément. Ruvik ne mérite pas ça. Il ne s'est pas détaché de son étreinte, Yumi(?) est toujours lové contre lui.
Est-ce que tu aimes cette apparence ? La phrase ne vient pas. Yumi(?) soupire, se relève.
Il observe Ruvik pendant un long moment.
Il déglutit. La gorge est serrée. Ca va faire mal.
* Je serai là quand tu seras prêt.
Il désigne le canapé du salon, qu'il ne quittera sûrement pas beaucoup de la journée, pour s'assurer que tu ais une épaule rassurante si jamais tu en as besoin. Son appartement est bien insonorisé, il doute qu'on vienne lui attenter un procès pour tapage diurne, ou nocturne.
terminé, j'archive de mon côté.