Soleil, pas soleil, c’est la même chose : un style de biker éternel. Bracelet de force, lunettes de soleil, chaîne en argent qui pend en haut du jean, bagues. Ton égo ne fait qu’un tour.

C’est ton jour de repos et pourtant, tu rejoins DESTINY ce soir, pour vingt-et-une heures. Après deux bières, une grande répétition s’annonce ; le concert approche à grands pas, l’un de tes tout premiers grands concerts, après tout. Cinq-cent personnes.

Le temps de décompresser, tu t’es permis une petite balade du côté de la plage des Clématis. Tu y connais un bar que tu affectionne particulièrement pour leurs diabolos grenadines : bien sucrés, bien frais, de la même couleur que tes cheveux, que demander de plus ?

Tu t’assois au comptoir, soupire un bon coup et adresse un signe de tête en guise de bonjour au serveur.

– Un diabolo, s’il vous plaît, attends quoi ? De la politesse ?

Le diabolo devant toi, tu agites doucement la cuillère qu’il t’a offert pour parfaitement diluer le sirop dans l’eau. Tu t’amuses en parallèle avec cette petite ombrelle de décoration, que tu affectionnes particulièrement - sans pour autant le montrer, car tu es bien évidemment trop fier pour cela.

Près de toi, une jeune femme fredonne jusqu’à ce qu’elle pose les yeux sur ton ombrelle. Instinctivement, tu te mets à la tenir fermement. C’est la mienne, penses-tu. Tu l’observes tandis qu’elle demande au serveur d’en avoir une à son tour, et tu laisses échapper un rire presque tendre - tu as toujours aimé les femmes aux manières puériles, parce que ce sont celles qui te ressemblent le plus.

Ton sourire s’efface bien vite lorsque le serveur refuse.
Mdr.

– Dis, ça te dirait d’arrêter d’être un trouduc deux minutes ? Elle te demande pas la lune à ce que je sache, t’en as des caisses derrière ton cul, j’les vois, lui lances-tu amèrement.
– Écoutez, vous n’avez qu’à lui donner le vôtre ! te répond le serveur.

Mdr.
Intérieurement, tu te dis qu’il est strictement hors de question que tu partages ton ombrelle avec cette fille. Déjà parce que tu l’aimes bien ton ombrelle, mais aussi parce que, tout simplement, elle est à toi.

Tu affiches une expression dure, presque terrifiante, et te contente d’abaisser tes lunettes de ton index. Le serveur reconnaît ton visage.

– Je, pardon monsieur Gl-…
– Ouais cool, le coupes-tu pour éviter le drame.
– Tenez, madame balbutie-t-il dans un sourire honteux, tout en offrant l’ombrelle à la jeune femme.

Elle te sourit. Tu te surprends à sourire, un peu, en retour.
Elle ne te reconnaît pas. Cela te perturbe. C’est plaisant, et vexant à la fois.

La mention de serviettes de plage te force à ricaner quelque peu - certaines personnes sont vraiment fleur bleues. Mais elle paraît si heureuse rien qu’avec ce bout de phrase, que tu restes troublé devant la beauté de sa spontanéité.

Tu la regardes tourner l’ombrelle sous les rayons du soleil, et l’écoutes avec une once d’intérêt.

– ... Les ombrelles. Elles sont personnalisables, et c’est toujours plus agréable de se croire à la plage, réponds-tu avec sincérité.

C’est bien la première fois de ta vie que tu te poses ce genre de questions. Toi qui te fous de tout en général, tu te retrouves à débattre sur une ombrelle en papier. Un rien semble l’émerveiller, et quelque part, ça te soulage. Mais de quoi, au juste ?

Ton ventre se dénoue.
Était-il noué ?

– T’es un drôle de numéro, toi, j’me trompe ? lui adresses-tu avec un semblant de complicité.

Rire.

– Mes bagues sont stylées, avoue-le, lui réponds-tu brièvement.

C’est fou comme tu peux être très agréable - bien que toujours aussi égocentrique - quand on ne cherche pas à t’énerver. Il faut dire qu’avec les femmes, tu as toujours tendance à être plus doux, plus sympa ; puis si tu veux te retrouver accompagné les soirs d’hiver, il faut bien maîtriser l’art de la gentillesse. Tu ne peux pas envoyer bouler tout le monde.

Encore moins ceux qui te paraissent être tout aussi décalés que toi.
Ce clin d’oeil t’arrache un sourire en coin, presque suggestif.

– Je ne suis ni normal, ni « les gens », et j’apprécie les drôles de numéros, rétorques-tu calmement. De là à te faire un compliment… peut-être pas, lances-tu en guise de taquinerie ; tu laisses échapper un léger rire en saisissant ta paille.

Une bonne gorgée de diabolo alors que tu l’écoutes.
Que tu te retiens de recracher sur le coup, en faisant en sorte que cela ne se voit bien évidemment pas.
D’habitude, il faut un certain culot pour lui parler ainsi. Elle, au contraire, est très sérieuse, et même sincère ; tu n’es absolument pas habitué à des compliments honnêtes. Tu lui adresses un regard curieux, presque séducteur.

– Va savoir, peut-être un peu des deux... Tu préférerais une chemise à manches courtes ? dis-tu en te reculant légèrement sur ton siège, afin de lui laisser tout le luxe d’admirer plus en détails ta tenue stylée.

Pousse le vice jusqu’au bout. Ton regard aguicheur en dit long.
Elle vient de t’avouer qu’elle te trouve cool, et tu cherches à en obtenir davantage, comme toujours. Tu n’es jamais satisfait.
Taquin, tu te redresses pour te délecter de ta boisson.

– J’imagine que tu es simplement là pour du bon temps ? lui demandes-tu en retour, presque sûr de l’avoir cernée : une simplicité sans égal.

Elle a tapé dans le mille. Pourquoi est-ce que tu prendrais le temps d’écouter l’avis d’autrui ? Après tout, tu t’es hissé jusqu’au sommet, seul, sans l’aide de personne. Tu dois ton succès à ta persévérance et ton désespoir.

Elle ne s’arrête pas de gigoter, et quelque part tu te reconnais en elle ; bien que tu sois cent millions de fois moins haut en couleurs que cette jeune femme, tu commences à l’apprécier. Elle ne semble pas te trouver si insupportable que ça - en même temps, tu as tout fait pour.

Un jour de congé ?
Qu’est-ce que c’est ? T’en as jamais eu. À la place, tu les prends de ton propre gré. Parce qu’au fond, t’en as pas grand chose à foutre, de cet agent colérique - un jour ou l’autre, tu lui mettras une baigne.

– Je vois.

Tu l’observes alors qu’elle sort ce téléphone multicolore, hausse un sourcil - elle aussi, visiblement, est dans l’abus d’un style qui lui est propre. Le temps qu’elle fasse ce qu’elle a à faire, tu te délectes de nouveau de quelques gorgées de ton diabolo - frais, goûtu, comme tu les aimes.

« Destiny ».
Malgré tous les efforts du monde, cette fois, tu recraches tout sur le comptoir.
Un regard noir vers le serveur au-dessus des verres de tes lunettes de soleil ; il a tout entendu, et s’apprêtait à réagir, ce simple regard suffit à lui faire comprendre qu’il est préférable pour sa survie qu’il ferme sa gueule.

– Désolé, c’est pas bon finalement, j’en veux plus, oses-t-il en repoussant son verre sur le côté du comptoir. Destiny ? Non, je connais pas, de nom, peut-être. Ça ne me dit rien, acquiesces-tu tout en jetant un œil à l’affiche qu’elle lui tend. Ça a l’air sympa, plutôt hardrock je dirais au vu de l’affiche, ouais… Tu m'en diras des nouvelles ? C'est quoi ton prénom, au juste ?

Pourquoi tu te caches ?
Parce que c’est hilarant.
Et que c’est réellement la première fois que l’on ne te reconnaît pas. Alors tu en profites autant que tu le peux.

Elle va venir à ton concert ?
Pour une raison inconnue, tu réprimes un sourire digne d’une satisfaction insoupçonnée.

Tu te mords discrètement la lèvre, pour ne pas trahir ce sourire naissant.

Ah bah, pour y aller, tu y vas ouais. Mais tu lui diras pas. Parce que c’est trop drôle comme ça.

– Je pense pas, je suis pris ce soir-là, lui réponds-tu le plus naturellement du monde, et sans mentir, en plus.

Tu la regardes écrire sur un bout de serviette et hausses un sourcil. Cette fille est sérieusement perchée, mais c’est tout ce qui fait son charme, finalement. Le papier qu’elle te tend contient quelques mots, un certain blaze à retrouver sur instagram - ce qui veut dire que tu devras te créer un faux compte rien que pour elle, encore plus intéressant.

Tu hoches doucement la tête tout en faisant mine de la rechercher sur ton téléphone - en réalité, tu as déjà un faux compte de prêt pour toutes ces opportunités hilarantes. En deux ou trois clics, te voilà déjà abonnée à elle.

Elle te tend une main que tu fixes avec attention, un sourire en coin. Sans dire un mot, tu comprends qu’il y a une perche à saisir, quand bien même cela ne lui a certainement pas traversé l’esprit. Tu relèves enfin tes lunettes sur le dessus de ta tête, prêt à tout donner.

Tu saisis sa main, délicatement, du bout des doigts.
Tu plonges ton regard de braise dans ses prunelles pétillantes, pour finalement porter sa main à tes lèvres et y déposer un doux baiser. Là, tes émeraudes dérivent un peu plus bas.

– Neven.

Ceci fait, tu souris grandement, fier de toi.
Tu te redresses d’une traite, déposes un billet sur le comptoir.

– Sur ce, même si ta compagnie est très plaisante, je vais devoir m’éclipser. Je t’ai follow, n’oublie pas de me dire ce que tu as pensé du concert. J’y tiens vraiment ! lui lances-tu accompagné d’un clin d'œil, insistant grandement sur ce dernier mot.

Tu te lèves rapidement de ton siège et commence à t’éloigner ; et alors qu’elle ne peut qu’apercevoir ton dos, tu lui fais un signe de la main, en guise de dernier à bientôt.