La clef usb ne lui a apporté aucune réponse, c'était à prévoir. Veronica n'avait pas la patience ni les compétences pour décrypter les informations, et impossible de faire confiance à qui que ce soit en dehors du cercle pour lui donner une réponse. Lui, il allait comprendre.
D'une certaine façon, elle craignait de revoir Nori, et Sirius.
Elle avait tant espéré qu'il vienne à elle.
Ḑ̴̼͂͝a̸̤͝n̷͓͖̊ș̴́̄͜ ̸̙̗̀̃c̴͓̞͑e̶̢̿s̶̭̊ ̷̼́̾s̸͉̓̽o̷͓̐u̷͍̗̎t̷͓̗̀e̶̫̐r̵̹͕̿͊r̶̼̯̊ạ̴̺͒͒i̷̝͋͝ń̵̢s̶̲̓.
À cette fête.
Dans ce fossé.
À.chacun.de ses.excès.
Elle ne voulait pas le voir.
Elle mourrait d'envie de le voir.
Pourquoi n'est-il pas venu.
Toc, toc.
Il est temps d'entrer.
Il t'observe quelques instants, son visage se teinte d'expressions sombres et d'inquiétude, il t'invite à entrer et ferme derrière toi. Il ne te fera pas l'affront de te demander pourquoi tu n'es pas venue avant.
* Heureux de voir que tu es encore là.
La formulation est maladroite, mais elle sonne surtout désespérée. Tu ne sais pas si tu en veux à Nori, n'est-il pas une victime aussi, dans tout ça ? Où est Sirius quand on a besoin de lui.
* Ça semblait être urgent, tu as des problèmes Veronica ?
Difficile de savoir comment elle devrait prendre cet accueil, entre le reproche et le soulagement, peut-être.
Pourquoi ne suis-je pas venue.
Veronica réprime l'envie de détourner les yeux, par orgueil. Maintenant qu'elle est là, elle a un peu honte d'avoir laissé le cercle pratiquement sans nouvelles pendant tous ces mois. Mais qui pourrait lui en vouloir? Les souterrains, la mort d'Arden et de Karel, Danaé. Il y avait tant de colère en elle - une colère qui n'a pas encore complètement disparue. Mais il n'y a pas qu'elle qui en souffre.
Nori a l'air épuisé et soucieux, comme s'il portait toutes les responsabilités du monde sur ses épaules. Elle aussi, elle a l'air fatiguée, plus terne. Une fatigue différente. Son oeil n'a plus le même éclat qu'il y a quelques mois.
Elle s'avance jusqu'à l'ilot au centre de la cuisine, sur lequel elle pose son petit sac à main. Pas le même que cet après-midi, elle a troqué sa tenue d'endeuillée pour des vêtements clairs, moins mélodramatiques.
Distraitement, elle joue avec le bouton attaché à la manche de sa chemise satinée bleue poudre.
* Tu as rencontré mon frère.
Il répète, presque distraitement, pour appuyer ce que tu viens de dire, et puis il penche la tête et tend la main. Pourquoi Hazel n'était pas venu le voir en personne ? C'était sans doute dangereux.
* Combien de fois es-tu décédée ? Deux fois, c'est ça ?
Quitte a parler des choses qui fâchent, Nori n'est pas en reste.
Elle prend appui contre l'ilot, jambes et bras croisés et son regard s'égare sur ses pieds, sur la décoration (pratiquement inexistante). Partout sauf dans les yeux de Nori. Ses lèvres se resserrent comme pour s'empêcher de parler davantage.
Tu sais bien qu'elle ne dit pas tout.
* Qui a-t-il ? Tu as essayé de la lire, c'est ça ?
Nul doute que même s'il en savait peu d'Hazel, le contenu était probablement crypté. Il allait devoir plancher là dessus, en plus du reste. Enfin, c'était sûrement important.
* Tu veux boire quelque chose ? Tu n'as pas l'air dans ton assiette. Je te prépare un thé si tu veux.
Nori ne savait pas faire, avec Veronica.
Veronica sourit et hausse les épaules à sa supposition.
Soulagée.
Ne me parle pas de la mort, je t'en supplie. N'en parlons plus jamais.
Elle prend place sur l'une des chaises hautes, s'accoudant sur l'ilot.
Un silence. Veronica se pose pleins de questions qu'elle préfère taire.
Est-ce qu'il va bien.
Est-ce qu'il est fâché contre elle.
Pourquoi n'a-t-il jamais parlé de son frère.
Leur parlera-t-il de ce qui se trouve dans cette clef usb.
* Tiens, mais fais attention à toi. Tu peux toujours rester dormir sur le canapé si le besoin s'en fait ressentir.
Tu as la sensation qu'il sait pour le vingt-huit février, et que c'est sa façon de compatir, ou de te punir. Il n'ajoute rien.
* Je ne sais pas, je te tiendrai au courant une fois que j'aurais réussi à décrypter ça. Mon frère est prévoyant, il me faudra sûrement un peu de temps.
Le verre se vide lentement, à petites gorgées. La boisson lui semble beaucoup plus âcre qu'à l'habitude. Peut-être que c'est le type de Whisky. Ou peut-être que les mots de Nori ont eu leur effet.
L'invitation est une gentille attention, mais Veronica ne reste jamais dormir chez un homme (ou une femme), sauf si elle a l'intention de passer la nuit avec le·la concerné·e.
C'est moins triste que de boire seule.
Elle se laisse tomber sur le dossier de la chaise haute et observe Nori en silence, son index glissant en suivant la forme du verre. Elle pense au contenu de la clef usb. Les questions continuent à fuser dans sa tête.
Qu'est-ce que tout cela veut dire.
Comment se porte votre fiancée.
Où est Lycaon ?
Comment se porte le cercle.
À quoi pense Sirius à ce moment précis.
Est-ce que vous allez bien.
Il vous ressemble, vous savez.
Elle ne sait pas si cela le fâchera. Peut-être sont-ils en mauvais termes, peut-être n'a-t-il simplement pas envie d'en parler, de l'impliquer. Peut-être ne lui fait-il pas confiance, ou encore qu'il ne pensait pas que cela serait judicieux, vu leurs positions respectives.
Veronica ne sait pas faire, avec Nori.
* Écoute, Veronica. La situation est compliquée. J'ai appris l'existence de mon frère en le rencontrant, dans les souterrains, à Halloween. Tu comprends bien que les événements n'ont pas simplifié le fait de vous l'annoncer.
Son frère lui ressemble ? Il ne sait pas. Il sent le poids de la clé usb dans la poche de son pantalon et essaye de ne pas y penser. Il a tellement d'autres choses à penser. Il hésite un instant.
* Tu es sûre de ne pas vouloir rester ?
Il s'approche d'un tiroir et en sort un trousseau de clef avant de le glisser sur la table, vers elle.
* Tiens. Tu auras toujours un endroit où rentrer.
Veronica tend la main et attrape le trousseau de clefs, exaspérée par le comportement de Nori. Elle peut comprendre que la situation est compliquée, et que jamais elle ne pourra savoir tout ce qu'il porte sur ses épaules, tout comme le reste du cercle d'ailleurs. Mais comment pourrait-il en être autrement? Cela fait des mois qu'ils sont liés, et Nori a toujours ce voile de mystère qui le rend si distant. Une distance que même l'accès à cet appartement ne pourrait résoudre.
En une lampée elle termine son verre, puis se dirige vers la porte. La clef usb a été transmise, c'est tout ce qu'elle avait à faire. Il est temps de partir.
La main posée sur la poignée de porte, la jeune femme se retourne vers lui et reste silencieuse quelques secondes, cherchant ses mots.
C'est maladroit comme déclaration. Naïf peut-être. Mais Nori comprendra certainement ce qu'elle cherche à lui dire :
Puis elle quitte l'appartement.
Peut-être que la prochaine fois elle saura faire mieux.