Yuzu Usuba s'inquiète beaucoup.

il s'inquiète pour sa famille, à des centaines de kilomètres, de l'autre côté de la mer. il s'inquiète pour Monsieur Wallace, qu'il n'a pas vu depuis très longtemps, et pour ce petit jeune qui le cherchait aussi et s'est enfui. il s'inquiète pour Ysé, ce petit chaton abandonné, qui a pleuré à chaudes larmes devant lui, et qui n'est pas revenue depuis.
il s'inquiète pour cet enfant sauvage qui a avalé ses ramens sans rien dire, et est parti tout aussi silencieux, en emportant son numéro, mais Yuzu n'a jamais reçu d'appel.

enfin, si, des appels pour commander des ramens.
est-ce à cause de l'atmosphère étrange ? les gens semblent vouloir éviter de sortir de chez eux, et préfère se faire livrer leurs repas. pourtant, son petit restaurant est proche de l'octant, ça n'est pas situé dans le pire des recoins des CDC, mais il reçoit plus de commandes à livrer qu'il ne sert de plats sur place maintenant. c'est compliqué à prévoir, on ne sait pas si on aura beaucoup d'appels ou pas, les habitués viennent toujours, mais les stocks deviennent plus dur à gérer.

Yuzu aime faire le marché, mais avant son service du soir, il est bien embêté, et doit se résoudre à aller se dépanner rapidement au mini-market. pas le pire établissement, mais... bon, rien à voir avec les petites mamies qui vendent du poisson frais et de jolis choux, vous en conviendrez. il fait donc ses petites emplettes, paie le tout, et quand il ressort il est surpris par la sonnerie de son téléphone personnel. les mains pleines de sacs remplis, le téléphone perdu au fond de la poche, la sonnerie qui ne s'arrête pas,
il n'en faut pas plus pour qu'il lâche un des sacs.

et au moment où il arrive enfin à prendre son téléphone, la sonnerie s'est enfin tue.

oh, non, mes épinards... les jolies feuilles choisies avec amour, en grande quantité, car dieu sait que les épinards réduisent, non, pire, ils disparaissent tout simplement, les Arsène Lupin de l'assiette, c'est pour ça que le sac plastique était si rempli, et maintenant tout est par terre. zut.

les feuilles d'épinards sont là, étalées par terre, avec la confiance en soi de Yuz- OH BAH TIENS !

mais qui voila, c'est le gars, là, mais si, il n'a jamais vraiment dit son nom, volontairement ou pas, mais il venait souvent ! il venait avec Monsieur Wallace, d'ailleurs, en y repensant, avant de complètement disparaitre, et c'est bien dommage car c'était un client adorable. enfin, pas le genre à forcément laisser de gros pourboires, mais qu'est-ce qu'il était sympathique, toujours à discuter, à blaguer, vraiment un gars cool.

et puis un jour, plus rien, et Nori Wallace a juste dit qu'il était en "arrêt maladie".

Yuzu sourit largement. oh, quelle surprise ! il est si content de voir un visage familier, il se réjouirait pour n'importe qui. il n'a même pas de réserves à se confier un peu. la journée n'a pas très bien démarré, c'est vrai, mais... dites moi, c'est la grande forme, vous avez l'air d'aller beaucoup mieux, c'est une très bonne nouvelle !

en quelques phrases, quelques sourires, les épinards au sol ne sont plus une catastrophe, mais juste un petit embarras.

tout de même, à Usuba Ramen, on ne gaspille pas, alors le restaurateur se penche pour ramasser les quelques feuilles qui n'ont pas l'air trop salies ou en contact avec le sol.

il est vraiment gentil ce brave monsieur roux, on se sent tout de suite bien à ses côtés, il irradie la bonne humeur, au point de se demander s'il a vraiment eu quelque chose qui l'a incapacité pendant si longtemps. il rayonne, il n'a pas la tête d'un malade qui s'en remet enfin... ?

il s'inquiète même pour Yuzu, quelle gentillesse... le restaurateur ne dit rien et sourit simplement, il n'est effectivement pas sûr que le peu d'épinards qu'il ai sauvé aille encore bien, mais il gardera tout ça pour ses propres repas, de peur de blesser un de ses clients. il les cuira bien et puis... ça ira sûrement. il n'y pense plus, le tracas est oublié.

je suis vraiment ravi de voir que vous allez mieux, j'espère même que vous reviendrez me rendre visite, mais il n'ose pas le dire, de peur de passer pour un commerçant obsédé par ses comptes. s'il veut le voir commander chez lui, ça n'a rien d'une envie de remplir sa caisse, non, il espère juste avoir le droit à sa joyeuse compagnie bientôt. oh, tout se porte toujours bien au restaurant, je vous remercie. l'ambiance n'est malheureusement plus aussi insouciante, vu les évènements... il se coupe avant d'avoir à parler de choses aussi peu plaisantes, et se force à sourire à nouveau.

oui, tout va bien.

tout va bien, ou presque.

dites, je peux vous demander quelque chose... ?

le client roux avait toujours été un client débordant d'énergie, prêt à discuter de tout, et soudainement, en le voyant après cette absence, en le voyant hors du restaurant, Yuzu réalise qu'il a l'air... fatigué ? préoccupé ? il voudrait demander, mais n'ose pas, et puis la remarque sur les évènements que le restaurateur n'a même pas osé réellement nommer lui glace le sang.

oui, c'est une série de meurtres.
et ça fait déjà 1 an.

mais ça n'est pas que dans les CDC, non, malgré leur terrible réputation, quand on laisse ses oreilles trainer autour des tables des clients, on entend toutes sortes de rumeurs sur des choses bien sordides un peu partout à Polaris. ça fait froid dans le dos... mais il ne se démonte pas, et pose la question qui l'a tout de suite frappé en retrouvant cet ancien habitué.

vous êtes bien un collègue de Nori Wallace, n'est-ce pas ? ça fait un moment que je ne l'ai pas vu, et il y a même un de ses... (qu'est-ce que ce gamin affamé est, pour Monsieur Wallace ?) ... proches est venu me demander si je ne l'avais pas vu récemment. est-ce que vous savez quelque chose ?

ce n'est qu'une bouteille jetée à la mer, cette question, Yuzu ne s'attend pas à une réponse.

mais il se sent obligé de la poser. il pense au visage perdu du jeune homme venu lui demande où Monsieur Wallace était, et depuis ce jour il ne peut s'empêcher de s'inquiéter pour l'homme. il ne venait pas si régulièrement que ça, c'est vrai, mais aucune visite depuis tout ce temps...
Yuzu s'inquiète.

le sourire de l'homme disparait, et Yuzu s'en veut un peu de demander. puis, immédiatement, il imagine le pire. qu'arrive-t-il à Monsieur Wallace, pour qu'un de ses collègues ai l'air si... triste ? abattu ? nerveux ?

il y a cette série de meurtres.
et puis, tout le monde disparait, autour de Yuzu,
il se retrouve tout seul dans son restaurant, entouré de visages inconnus, qui ne restent pas.

il veut savoir. il mérite de savoir ?

oh, félicitations pour lui, c'est merveilleux, d'être père... qu'est-ce que tu en sais ? mais c'est ce que tout le monde dit. et puis, il y a quelque chose de bien plus terrible, que son client vient de dire juste avant. Yuzu fronce les sourcils, clairement intrigué. il ne se sent pas très bien, son interlocuteur non plus, pourtant il veut continuer de discuter. il a "pété les plombs" ? oh, le pauvre, ça doit être dur, toute la pression, tout...

il ne demande pas ouvertement ce qui est arrivé.

mais il demande comme le font ces petits vieux qui demandent des nouvelles au marché, et trouvent toujours un moyen délicat de creuser plus sur la dépression nerveuse du petit cousin que l'on n'a pas vu au réunion de famille depuis des mois.

Yuzu a lancé son hameçon à l'eau. et puis, il attend, patiemment, presque sûr de rentrer bredouille, il est mauvais pêcheur, après tout. le silence devient très long, le temps s'étire au delà de ce qu'il devrait, tout pour espérer un peu plus que ce simple "ouais", un peu décevant, on doit se le dire.

mais pourtant, la ligne se tend, quelque chose semble vouloir essayer d'attraper le ver qui se tortille au bout de l'hameçon. un poisson qui lui tend un perche, il semblerait. ou peut être juste que le jeune homme a faim, tout simplement, et dans tous les cas, Yuzu sera ravi de l'accueillir et de le nourrir.

alors il sourit, il ne sait pas où tout ça le mènera, mais au moins...
au moins il aura un peu de compagnie, juste quelques minutes, au moins le temps de finir le bol de ramen qu'il servira. peut être que le bouillon sera un peu trop chaud, pour retarder le moment où il aura fini de manger et repartira comme tous les autres.

il est toujours inquiet, mais il sait où il va. vers le restaurant, en souriant. voyons, la porte est toujours ouverte pour mes meilleurs et plus fidèles clients.

(c'est sincère)

d'un coup, tout va mieux. le poisson s'est vu pousser des pattes, et viens tenir compagnie au pêcheur sur le rivage. le client roux sourit. Yuzu sourit aussi, en retour, soulagé. il avait peur de trop demander, peur d'avoir franchi une ligne interdite.

mais non.

il va rentrer, accompagné, ouvrir le restaurant, et faire à manger à quelqu'un.

c'est ce qu'il fait : ils marchent tranquillement, ils entrent par la porte arrière du restaurant encore fermé, et Yuzu emmène son client spécial dans la cuisine, le laisse rester derrière le comptoir, avec lui, alors qu'il enfile son tablier et prépare le bouillon à réchauffer. ce sont des gestes bien connus. la routine le rassure. (il espère juste que lui restera, ne partira pas en courant comme les autres)

tiens, en pensant aux autres. c'est marrant, j'ai ouvert juste pour quelqu'un, il y a quelques mois... un jeune un peu perdu. il avait été triste, de ne pas avoir de nouvelles. mais un autre ventre attend ses talents, ça le rassure.

Yuzu se sent bien dans sa cuisine. c'est toujours un lieu rassurant. il sait ce qu'il a à faire, et s'exécute, tranquillement. le bouillon est déjà chaud, l'eau est en train de bouillir à côté, il peut y plonger les yeux, et jette un oeil sur sa montre pour ne pas trop les faire cuire.

ça lui laisse le temps d'écouter. ah, c'est elle, sa compagne, cette actrice qu'on voit encore parfois à la télé... ? il n'est pourtant pas sûr que Monsieur Wallace ai une si belle vie. et la suite le prouve bien assez vite.

ah. ses mains s'arrêtent d'elles même, sans qu'il n'y pense. tout de suite, ça devient plus grave. la disparition d'un enfant, est-ce l'enfant que Monsieur Wallace vient d'avoir ? mais c'est terrible ! quelque chose que l'entreprise voudrait récupérer... Monsieur Wallace a-t-il volé quelque chose à son entreprise ?

tout cela semble fou.

ça ne ressemble pas à Monsieur Wallace, un peu grognon quand il venait avec son collègue roux, mais toujours poli, tout bien mis, toujours agréable.

ça n'est pas possible.

sans s'en rendre compte, choqué par ce qu'on lui révèle à demi mots, Yuzu s'est tourné progressivement vers son invité. il le fixe, étonné. c'est vrai, tout ça ? il ne réfléchit même pas à ce qui sort de sa bouche. ça fait plusieurs problèmes. oui. est-ce que...

gêné de sa question, il se retourne vers sa planche à découper pour finir de découper les blancs de poulet.

les yeux rivés sur la lame tranchante dans sa main gauche, et la chair du poulet encore rose dans sa main droite. est-ce qu'on peut l'aider ?

le couteau s'abat sur la planche à découper, les morceaux de viande son jetés dans la poêle déjà chaude, les yeux de Yuzu restent rivés sur les lames et l'huile qui crépite, mais il écoute attentivement. il n'arrive toujours pas à comprendre où travaillent le Gentil Client Roux et Monsieur Wallace, ni ce qu'ils font. ils sont bien habillés, ils ont de quoi payer et laisser de bons pourboires, il sont polis, parlent bien... ça ne veut rien dire. il a beaucoup de clients de ce genre, qui font tout et rien.

le temps que l'autre fouille ses poches et son porte monnaie, Yuzu verse tous les ingrédients cuits dans un bol, verse le bouillon par dessus. l'odeur qui s'en échappe est très alléchante, mais il n'a pas faim lui même, un peu trop perturbé par tout ce qui est en train de se passer.

il accepte la carte de visite en souriant poliment, et offre en échange le bol, avec une paire de baguettes. merci, c'est déjà beaucoup de votre part. son vrai numéro ? les hommes occupés t importants doivent tous avoir un numéro de téléphone professionnel, et un numéro personnel, ça doit être ça.

Yuzu regarde le numéro sur le petit carton, est-ce qu'il trouvera ce qu'il cherche ?

rassuré de savoir qu'il va peut être pouvoir faire quelque chose, il range la carte dans une des poches de son tablier, et retrouve sa bonne humeur habituelle, quoiqu'un peut forcée. encore merci. mangez tant que c'est chaud, c'est meilleur !