la nuit qui a suivi la fatidique soirée qui s'est déroulée ici, dans la Galerie, Dallas Decœur a eu la pire nuit de sa vie, hanté par ses pires cauchemars. la journée qui a suivi, après quelques verres poussés par terre et une de ses tasse brisée, il a eu sa meilleure journée.

il s'est dit que le pire est derrière lui. oh, ça a été si horrible, mais ce n'était que... qu'un cauchemar, voilà. et puis, il s'est réveillé, et tout allait bien. il a du halluciner, rien de tout ça n'était réel, c'est évident, maintenant qu'on y pense à tête refroidie. peut être une sorte de punition pour sa vanité, pour ses artifices, pour la carapace trop fragile derrière laquelle il se cachait ?

oui, bien sûr que c'est ça !

mais ça va mieux.
oui, ça va.

il ne refera plus les mêmes erreurs, maintenant. voila tout ce qu'il s'est dit. et puis, le jour d'après, il est allé au travail, et il a compris qu'il ne s'était pas réveillé, que ce n'était pas des songes troublés. son enfer personnel, il le vit maintenant. entouré, submergé, noyé sous les insultes, la compassion dégueulasse, l'hypocrisie. tout ça, c'est à vomir, mais ce n'est pas comme une maladie, non, ça ne passe pas. la cacophonie des humains, leurs bassesses un peu trop crasses pour les dire à voix haute, ces dagues cachées sous un ton mielleux, tout ça ne fait que s'amplifier pendant des jours avant qu'il ne réussisse à les faire... non, pas les faire taire, mais simplement les faire parler, non plus crier.



quand il ne travaille pas, il va à l'aquarium ou à la galerie des goélands, peu fréquentés, et fixe les toiles et les poissons, aucun des deux ne pensent, quel soulagement. il y a toujours le bruit des autres visiteurs et des employés, mais c'est toujours moins qu'un immeuble d'une dizaine d'étages.

aujourd'hui, il a choisi la galerie. il veut rentrer, mais s'assure d'abord que le lieu n'est pas rempli. il a peur d'arriver en plein... enfin, il a peur de croiser trop de ses semblables.
il va entrer.
il va le faire.
ça va aller, Dallas Decœur.

GRRRR OUAF OUAF OUAF GRRRRR BARK OUAF OUAF OUAF GRRRR OUAF OUAF OUAF BARK BARK BARK

Dallas Decœur est secoué d'un sursaut terrible, persuadé de vivre à nouveau une de ses terreurs nocturnes, il se tourne vivement mais... il y a bien des chiens, mais ils sont assis sagement. ils n'aboient pas. par contre, leur maître le fixe bizarrement. Dallas ne sait pas faire semblant de n'avoir rien entendu, il réagit à tout, que le son ai été prononcé ou pas. il s'attend à partir en vitesse pour ne pas s'humilier, mais on le salue.

étonné, il répond poliment. bonjour, monsieur. c'est simple. c'est facile. ça va aller. accroche toi, Dallas Decœur. nous nous sommes déjà rencontré quelque part ?

il voudrait partir en courant.
il doit lever la tête pour regarder l'homme qui le fixe, il fait tout pour se concentrer sur lui,
tout pour ne pas voir ce cerbère à qui il manque une tête, tout près de lui.

Dallas regarde l'inconnu. il avait été si perturbé par les bêtes féroces au bout de la laisse qu'il tient qu'il n'avait même pas bien regardé. un peu gêné, il pense sentir de l'agacement, il reconnait enfin le visage, qu'il a déjà vu de nombreuses fois sur papier, et peut être quelque fois dans les couloirs de la station.

putain, quel con. oui, c'est Neptune Lurantis. Lurantis, cette famille de gros riches, enfin, est-il bien placé pour les critiquer ? la sienne se porte loin des projecteurs, c'est tout, et trouve tous les reproches possibles aux Lurantis par simple jalousie.

il ne savait pas que Neptune Lurantis avait ce genre de... molosses. l'un d'eux se couche, et Dallas ne peut s'empêcher de le regarder, inquiet. c'est bon signe, s'il se couche, non ? il se sent ridicule, mais il n'arrive pas à contrôler son pouls qui s'emballe devant le moindre canidé, plus depuis... depuis. sa peau ne porte plus aucune trace, il ne reste plus que son cerveau, qui pense devenir complètement fou quand il contemple sa main intacte, et se demande parfois s'il n'a pas tout inventé.
mais il y a maintenant ces voix, les voix des autres, qui sont là, partout, avec lui,
ces voix amenées par cette paire d'yeux rouges.

Dallas sent de la nostalgie. une vague de souvenirs, mais il ne sait pas si c'est son propre ressenti, ou celui que projette l'homme.

vous aussi ? il relève immédiatement ce détail. Lurantis parle comme quelqu'un qui sait. il n'a pas le regard d'un ignorant, ni celui d'un simple mondain qui parlerait d'avoir rencontré le propriétaire de la galerie autour d'un cocktail. pourtant... est-ce qu'il a vraiment vécu la même chose ?

Dallas aimerait ne pas avoir à demander, mais il ne comprend pas ce que pense l'autre, c'est trop confus, c'est mélangé à tous les passants de la rue d'à côté, à ce que pense aussi la fille à l'entrée de la galerie, elle aurait bien envie de quelque chose de sucré pour tenir jusqu'au repas, mais elle hésite, vous comprenez.

il n'arrive pas à réfléchir. il n'arrive pas à deviner. alors il demande, en essayant de rester poli. vous le connaissez depuis longtemps... ?

la pluie s'arrête un instant, de quand date la dernière éclaircie, à vrai dire ?

Dallas n'a plus aucune notion du temps. il entre, il sort, il va au travail sous le gris des nuages et en ressort les yeux aveuglés par les néons des lampadaires. il dort la journée, quand les autres sont trop bruyants, et reste éveillé la nuit, tourne en rond, s'épuise, essaye de penser à tout sauf ce qui lui arrive.

mais la pluie s'arrête. peut être que le soleil se cache encore derrière, peut être qu'il réapparaitra à un moment dans sa vie. peut être que c'est juste une Longue Nuit qui prendra bientôt fin. était-ce vraiment un cadeau qu'on lui a fait, à cette soirée là, du vernissage ? c'était quand déjà, puisque Monsieur Lurantis lui demande ?

deux mois, avoue-t-il, et rien qu'en prononçant ces mots, il est étonné. cela fait vraiment si longtemps... ? qu'est-ce qu'il a fait, pendant tout ce temps ? ... rien ? et puis, avant il avait déjà tout arrêté, à part se traîner au travail pour rembourses ses dettes.

qu'est-ce qu'il est en train de faire ?
où est-ce que ça a merdé, Dallas Decœur ?
quand est-ce que tu as arrêté... d'être ? que tu as juste subi ?

bien triste constat. il ne sait pas si c'est sa propre peine qui l'accable, ou celle de Monsieur Lurantis. Monsieur Lurantis... il a souvent vu ce nom, pendant les dernières semaines. cloitré chez lui, vivant la nuit quand les cris des autres se taisaient enfin, il a eu beaucoup de temps pour enfin lire tous les livres qui ornaient sa bibliothèque. il n'avait jamais pensé à les ouvrir avant.

est-ce que c'est malvenu d'en parler là ? il ne sait pas exactement s'il aura une autre occasion de l'avoir juste en face de lui, alors il surmonte son envie de mettre court à la discussion et de fuir loin des molosses. j'ai terminé la Mort du Loup il n'y a pas longtemps. je n'aime pas trop les romans policiers en général, mais la fin m'a... beaucoup plu. jolie façon de dire qu'il s'est reconnu dans cet homme qui finit par douter de tout et de lui même, comme il doute parfois de son esprit et de sa mémoire. il baisse les yeux sur ses mains, non, sur celle de gauche, celle qui ne devrait pas être là.

est-ce qu'on l'a vraiment prise ?
est-ce qu'on l'a vraiment rendue ?