Winchester Nova sait qu'il mérite de nombreux reproches.

oui, bien sûr, il n'aurait pas du commencer cette bagarre stupide (enfin, si), mais surtout, il ne devrait pas se laisser dans une position si vulnérable. pourtant, il fait confiance à Richard Breckenridge. il se dit qu'il ne l'aime pas, mais il ne pense pas avoir à se méfier de lui. il ne s'attend pas à un coup en traître, ne pense pas être poignardé dans le dos, juste là. par réflexe, tout son corps se tend en sentant les bras se refermer autour de lui,
puis il oublie ses craintes.

il se détend dans l'étreinte. c'est confortable, ici, c'est bien. c'est... ?
c'est.

le cœur collé à son oreille s'emballe, est-ce qu'il a les mêmes craintes que lui ? Winchester Nova sait que leurs corps ne sont pas faits pour autre chose qu'infliger et ressentir la douleur. sculptés par la violence depuis des années, ils ne sont pas faits pour se reposer. pourtant ce simple contact lui donne envie de... d'autre chose. il pourrait croire bêtement que ce serait même possible, cet autre chose. il n'arrive pas à réprimer un soupir de fatigue, en recrachant la fumée de sa cigarette.

heureusement que l'autre est là pour couper court à ses réflexions, heureusement qu'il sort une connerie plus grosse que lui, qui fait tout de suite réagir le Sous Lieutenant. t'es sérieux ? c'est plus fort que lui, il rit, mais n'ose pas bouger la tête pour croiser le regard de Breckenridge. putain, ouais... il finit par avouer, bien sûr que ça fait mal, est-ce qu'il était là quand il lui a démoli la gueule ?

maintenant qu'il n'a plus une goutte d'adrénaline dans son sang, Winchester Nova sent la douleur s'accroitre, progressivement, et l'assommer doucement. ses yeux se ferment, il a peut être un peu trop forcé ce soir... il le regrettera demain, et les jours qui suivent, toute la semaine au moins, il sent déjà la morsure tirer horriblement au moindre mouvement de son épaule. il a tant serré les dents que sa mâchoire est douloureusement crispée. son propre arc électrique a engourdi ses muscles, qui s'enflamment en se réveillant.
oui, il a mal.

... c'était exactement ce qu'il était venu chercher. c'était tout à fait ce qu'il voulait : se défouler, se sentir vivant, se rappeler qu'il n'est qu'une boule de nerfs et de muscles qui ne pensent à rien. et Richard Breckenridge ne l'avait pas déçu, il avait même été au delà de ses espérances. il ne s'était pas retenu, et il lui avait demandé de rester la carne qu'il est.

(quelle belle soirée, hein ? et où sont tes bonnes manières ?)

merci. chuchoté contre le torse de Breckendridge, est-ce qu'il l'entendra ? est-ce qu'il a envie d'être entendu ?

il y a énormément de choses qu'il aimerait dire, mais elles ne parviennent pas à franchir la barrière de ses lèvres. certaines, qui remuent ses tripes, il n'arrive même pas à mettre des mots dessus. ou il n'ose pas, pas peur de regarder ce qu'il y a au fond de lui ?

(envie de dire de ne plus bouger de la soirée, de rester juste là,
envie de dire de recommencer bientôt,
envie de demander s'il va partir se coucher et le laisser tout seul)

si seulement tu pouvais rester là, Richard Breckenridge.
les battements de ton cœur ne sont pas réguliers, mais c'est une jolie berceuse.

on vous apprend rien, à l'armée, ou c'est juste toi personnellement ?

est-ce que c'est juste toi, Winchester Nova ? que sont devenus les autres ? il n'en sait rien, il n'a pas gardé de contact avec eux, méprisé des autres sous officiers, évité par les subordonnés, oubliable pour les chefs. ils ont appris beaucoup, pourtant, il sait en faire, des choses.

il sait être violent, il sait faire tout ce qu'on lui dit, même se jeter dans les flammes, même foncer dans un mur, il sait remonter son fusil les yeux fermés, il sait tuer quelqu'un de loin, si loin, il sait tuer quelqu'un de près, il sait mordre, il sait être cruel, vicieux, abject, il sait oublier qu'il existe,
il sait qu'il n'est qu'un déchet,
il sait qu'il n'est rien.
il n'est rien.
rien.

il ne sait pas être doux il ne sait pas parler gentiment il ne sait pas parler il ne sait pas dire ce qu'il pense il ne sait pas ce qu'il pense il ne sait pas être tendre il ne sait pas ce que c'est qu'aimer il ne sait pas aimer il ne sait pas dire qu'il aime il ne sait pas dire qu'il aime être dans les bras de Richard Breckenridge il ne sait pas comment ne pas se détester pour ça
parfois, il se donne envie de vomir.

il sait juste rester là, à écoute le cœur de Richard Breckenridge, et se contente de ça, de ce tout petit répit,
de cette seconde de calme avant de reprendre l'horreur de son existence. la main dans sa nuque est une si bonne distraction pour noyer les pensées qu'il essaye de réprimer. là aussi, il peut oublier qu'il existe, il peut juste être un tas de chair essoufflée et blessée. pourtant, ça n'est pas aussi répugnant que d'habitude.

il est, juste,
il est. là.

c'est ça, qu'il a manqué ? c'est ça, qu'il aurait pu avoir, tout ce temps ? il a du mal à y croire, mais maintenant il ne veut plus que ça s'arrête. maintenant qu'il a osé y gouter, il ne pourra plus s'en passer, et ça le terrifie. c'est ça, qu'il aurait du avoir ? mais la réalité le rattrape.

encore une blague cruelle de Breckenridge, qui lui propose que ça ne s'arrête pas tout de suite, qui propose de le soigner (il pense à Garance Giesler et leur rencontre, ses mains couvertes de MON sang) oh tu es si sadique, Richard Breckenridge, pourquoi tu oses te moquer ainsi de Winchester Nova et de ses faiblesses ? tu as senti qu'il ne voulait pas te lâcher, et tu oses en rire et en jouer ?

...

il attend la chute, il attend le rire, il attend que l'invitation soit retirée, ridiculisée. il attend les moqueries. il attend de se faire pousser, frapper, piétiner. il attend la douleur, il attend le rejet, il attend le dégoût, il attend l'humiliation. il attend.

...

mais rien ne vient.

(les mains de Garance en train d'appliquer la compresse qui devient si vite rouge sur ma peau)

la cigarette s'est consumée si vite, ou il a attendu si longtemps. il tire une dernière bouffée et jette le mégot plus loin, vite avalé par les ombres. il tourne la tête, appuie son front contre le torse solide, et soupire une nouvelle fois. ok. il attend le rire il attend la claque il attend le coup il attend le béton qui brise son crâne
je répond ok

ses bras trouvent la taille de Richard Breckenridge, et l'enserre.

(tu es vraiment sérieux, hein ?)

Winchester Nova s'accroche à Richard Breckenridge.

il n'ose plus rien dire, il n'ose pas bouger, il ose à peine respirer. il ne sait pas ce qu'il attend, mais il attend, sagement. il a promis de ne jamais se soumettre, mais il n'en a plus la force de soir. il a à peine la force de garder ses bras autour de Richard, surtout quand son bon sens lui crie de le lâcher et de déguerpir lécher ses plaies dans sa tanière.

(à quoi tu penses, Richard Breckenridge ?
à comment tu me feras payer cet instant au centuple ?
à comment me faire dégager ?
à comment me faire du mal ?
je ne t'en veux pas.)

pourtant il reste là.
il oppose même un peu de résistance, quand l'autre essaye de se lever. il n'a pas envie de bouger, malgré la douleur. il pourrait terminer la nuit dans cette rue, dans le froid, non, dans ces bras chauds, il pourrait y passer la nuit, oui, il oublierait presque le fourmillement qui irrite sa peau.

mais il lui a dit de venir, il l'a demandé, et Winchester Nova finit par s'exécuter. toujours silencieux, il saisit la main tendue vers lui, la remercie sans un mot, et se relève péniblement. le sol est trop dur, l'air trop froid, ses plaies trop fraiches. mais il ne se plaint pas, la main qui ne le lâche pas est chaude. il se contente de fixer Breckenridge, et se demande ce qu'il peut penser quand il soupire en regardant le trottoir derrière. lui ne pense plus à rien depuis longtemps, il garde tout ça pour le lendemain, ou un autre jour, plus tard. tout est enfoui au fond de sa petite tête, et il espère que ça ne surgira pas trop tôt.

pour l'instant il n'y a rien d'autre que le grésillement du lampadaire, et la voix qui revient l'insulter. ça y est, Breckenridge est de nouveau là. c'est bon, j'vais pas réveiller ton mec sur le canapé, fais pas chier, il soupire, mais ne peut réprimer un sourire qui s'entend jusque dans sa voix.

Winchester Nova s'accroche à cette main, comme il s'est accroché à sa taille, et le suit.


il ne fait pas un bruit à l'intérieur, ou peut être juste que ses oreilles se sont endormies avant lui. (pourquoi est-ce que je te suis ?) il a promis de se rebeller, mais il se laisse guider docilement en baillant. (je ne devrais pas te laisser me toucher comme ça) quand il se fait soigner, les yeux déjà presque fermés, plus assez conscient pour se forcer à se tenir droit. (d'où viendra le prochain coup ? je ne devrais pas me relâcher, tu vas bientôt sévir) le reste est confus, il n'écoute plus rien (ce n'est pas bien, ça fera encore plus mal, si je ne m'y attends pas) il ne sait pas comment il y arrive, mais il trouve le lit de Breckenridge très confortable.
(bonne nuit.)