un autre que moi

L'étage est plongé dans le silence.

Graham, assis dans le bureau des infirmières, vide à cette heure, contemple le néant, les bras croisés pour cacher les tremblements de ses mains. Le Manque est terrible, la tentation est forte, il a le regard fiévreux, il a l'impression qu'il pourrait tourner de l’œil. Ils disent que c'est au début que la rechute est la plus facile. Que la dépendance se fait le plus sentir ; ils n'avaient pas tort.
Mais Graham leur avait promis : il n'y toucherait plus. Pour le bien de ses enfants, le bien de sa famille.
Mais le coup de boost aurait été plus que bienvenu ; il ne tenait plus le coup, depuis quelques temps. Depuis l'éveil de Minuit, il avait l'impression de se noyer, lentement.
Est-ce que tout s'arrêterait, un jour ? Il n'en pouvait plus de se réveiller en sursaut la nuit, de les chercher du regard, tous les deux, pour s'assurer qu'ils étaient toujours là. Il n'en pouvait plus de se lever le matin avec la boule au ventre, d'avoir sur le visage un sourire qu'il savait faux.

Il n'en pouvait plus - il était au bord du craquage.

Il devinait sa mine épouvantable au regard de ses collègues, de ses amis, des gens qu'il croisait.
Il y voyait de la pitié, un certain effroi.
Il s'en moquait, ça ne le touchait pas.
Ce qu'il ne voyait pas ne pouvait pas lui faire de mal, et Graham commençait à oublier les traits de son propre visage.

Travailler devenait dur, dans ces conditions.
La fatigue, la peur, le sevrage. Il faisait ce qu'il pouvait pour ne pas fumer plus encore, mais c'était tout ce qu'il lui restait.

Assis dans le bureau des infirmières, Graham, presque tremblant, n'arrivera pas à fermer l’œil.
Le silence est ponctué d'un léger bip qui résonnait dans une chambre pas loin.
Une seconde,
bip,
une seconde,
bip,
comme un battement de cœur
régulier
bip
bip
bip
il se laissait hypnotiser par le son

quand quelque chose bougea dans son champ de vision,
à un endroit où rien ne devait bouger, pourtant.

Dans le local des infirmière, il y avait un grand miroir (qu'il évitait comme la peste il faisait tout ce qu'il pouvait pour ne pas passer à côté pour ne pas en être proche mais c'est tellement dur de l'éviter il prend tellement de place et il le nargue, pourquoi est-ce qu'il devient de plus en plus grand à chaque fois qu'il posait dessus un regard qu'il ne voyait plus ?)

et dans ce grand miroir, du mouvement.
Une silhouette.

Graham ne sursaute pas.
Il se lève,
s'approche, lentement.

En face de lui, là où il aurait dû voir son propre visage, là où il avait pris l'habitude de voir le vide,
il y avait un homme.