Ce matin, tu t'es rasé pour le première fois depuis des mois. C'était comme si tu te voyais pour la première fois après un long, très long coma.

Tu as glissé tes doigts dans tes cheveux en bataille, une tignasse encore plus longue et incontrôlable qu'avant. Tu as fouillé dans les tiroirs de la salle de bain et y a trouvé un élastique, appartenant à tu ne sais qui. Margaret accueillait tant de personnes avant que l'on peut retrouver toutes sortes d'objets du quotidien qui ne lui serviront probablement jamais mais qui trouvent toujours leur utilité lorsqu'on en a besoin. Tu as attaché ta chevelure argentée en une queue de cheval (un peu bancale), puis tu as entrepris de retirer la barbe, retrouvant un peu de toi-même. Mais tes yeux noirs sont toujours le reflet d'une tristesse infinie.  

Ton corps est parsemé de bleus, et ton poignet a encore des relents de la foulure que tu t'es faite il y a plusieurs semaines. Toute ta vie depuis janvier s'est résumée à t'occuper de Mme Carpender et à t'entrainer - ou plutôt à te défouler à bras-le-corps. Qu'importe la douleur et les blessures, si tu t'arrêtais l'espace d'une seule seconde tu étais persuadé que ton cœur allait tout simplement s'arrêter de battre tant tu souffrais.

Après la routine du matin avec Margaret, tu as vidé ton sac de voyage et quitté les CDC en direction des quartiers résidentiels de l'Octant. Il aura fallu que le temps te torde le bras pour que tu remettes finalement les pieds dans cet appartement. Juste y penser te donnait envie de vomir.

Tu as monté les escaliers d'un pas lourd jusqu'au numéro 204.

Tu ouvres la porte et c'est le silence qui t'accueille. Tu reste coincé dans l'encadrement de la porte pendant de longues minutes, immobilisé et avec un souffle court, comme si tu n'arrivais plus à trouver de l'air pour respirer.

Pourquoi tu restes planté là comme un con? T'as peur? C'pas comme si t'allais y trouver mon cadavre putain, alors entre!

La porte claque derrière toi. Sur le canapé, y a encore ton oreiller et les couvertures en pagaille. Deux bouteilles de bière vide trainent sur la table basse. Pourquoi tu te laissais aller comme un adolescent mal élevé?

Dans la cuisine il y a encore une tasse de café vidée sur la table, mais tout le reste est en ordre. La vaisselle propre repose près de l'évier, la cafetière a été rincée. Tu ouvres les armoires et y trouve un mug sur lequel il est imprimé en lettres noires « I hate people » au dessus d'une illustration de grenouille à l'allure mécontente. Ça te fait sourire, alors tu la prends et l'enveloppe dans une serviette en tissu pour la mettre dans ton sac. Dans la salle de bain, tu piques les cachets de Circadin - depuis combien de temps n'as-tu pas eu un sommeil naturel, Milan?

C'est dans la chambre que tu te rends en dernier. Tu ouvres les rideaux pour laisser entrer la lumière du jour. Tu soupires profondément en observant la pièce. La désordre était peut-être de famille, finalement. Tu ouvres un tiroir après l'autre, la plupart d'entre eux sont vides ou occupés de choses sans intérêt. Visiblement, Cyrus n'aimait pas s'encombrer de matériel. Dans son sac, il met une pile de livres, un étui contenant diverses cartes d'affaires et des numéros de téléphones griffonnés sur des bouts de papiers, une flasque vide.

Au fond d'un tiroir de sa table de chevet, il y a une photo de vous, avec papa. Tu dois avoir 11 ou 12 ans. Papa est assied derrière le volant de sa vieille voiture rouillée, cigarette entre les lèvres, un regard indifférent porté vers la caméra. Tu es debout près de la voiture, avec une expression au visage que tu ne saurais décrire. Ta main gauche serre celle de ton jeune frère, qui est le seul d'entre vous à sourire, à égayer ce portrait. Derrière, il est inscrit « Todd, Milan et Cyrus, été 2000. ♡ ». C'est l'écriture de maman.

Tu n'as aucun souvenir de cette photo, ni de cette journée. Tu l'observes longuement, traversé de sentiments contradictoires. Tu pensais que Cyrus n'avait rien gardé de votre passé, et encore moins de votre père. Cela te fait réaliser que tu ignores si Todd a été mis au courant de son décès, c'est à peine si tu te souviens des jours suivants la mort de ton frère tant le choc était violent.

Tu termines par le placard. Tu ne gardes aucun de ses vêtements, hormis son blouson style aviateur que tu plie soigneusement, glissant la photo dans l'une des poches. Tu attrapes la boite à chaussures qui se trouve sur une tablette, tu l'ouvres
et
tu.
te.
brises.

Des lettres que tu lui as envoyées lorsque tu étais mobilisé. Des échanges de courriels avec Sarah et Olivia. Le bracelet d'hôpital de maman. Des photos de lui, d'elles, d'inconnus dont il n'aura jamais l'occasion de te parler... ton regard s'embrouille et l'air te manque de nouveau. La boîte s'écrase au sol et toi aussi. C'est trop.
c̵̢̻̬̩͍̊̀̌'̶̡̪̞̙̂̅̚͝ę̴͖͈̤̺͊ͅs̶̛̥̈́t̵̛̤̮͕͋̃͋͘͝ ̷̦͈͋́͗ͅT̴̺̉R̶̯͍̺͈̣̣͠Ȏ̵͎̪̏̍̈́ͅP̶̙͕̣̥̔̊͋̕̕ ̵̧̡̗̺͚́̅͛̓͜À̵͕͓̖̹͔̅̄̐͊̐͆ ̷͎̘̩̈̌̈́͆Ṣ̸̨̻̫̊̍͆̒ͅÜ̷̧̹̤͕̹̥̍̋̾̚P̸̫̱̲̖̻̆̔͛̋̾̽P̵̿̊͜O̶̠̦̹̺͙̓́̚̕Ȑ̷͈T̶̺̽̀̈́̀̎Ȩ̷̜͎̖̼͉͐R̴̪͕̬̈ͅ.

Pourquoi êtes-vous partis, et pourquoi suis-je encore là.
Aussi bien mourir là, maintenant.

Il ignore combien de temps il est resté étendu sur ce vieux tapis malodorant. Une douleur lui martèle le crâne, son visage est brûlant et il a l'impression que sa poitrine a été transpercée de cent coups de couteau. Chaque parcelle de son corps lui semble peser une tonne et c'est là qu'il se rend compte que pendant tous ces mois il n'a jamais fait son deuil, il l'a simplement fui. Il n'aurait pas dû survivre à son frère et Milan Winter-Greaves est incapable de faire face à la réalité. Il en a toujours été ainsi.

De peine et de misère il se relève, remet chaque photo, chaque lettre, chaque papier dans la boîte qu'il range dans son sac de voyage. Bandoulière à l'épaule, il quitte la chambre, passe devant la salle de bain et la cuisine, traverse le salon et se prépare à sortir lorsqu'il entend gratter à la fenêtre.

Le chat est là. Assied sur le rebord de la fenêtre il l'observe en miaulant. T'es encore là, toi? Milan lui ouvre pour lui offrir une conserve de pâté, comme il en avait l'habitude. Il s'assoit sur le canapé pour observer l'animal. Naolane doit te manquer Se léchant les babines, le chat s'approche pour se coucher sur sa cuisse, ses griffes traversant son jean et griffant sa peau. Elle me manque, à moi aussi. Milan se tait, et les ronronnements du félin viennent occuper la pièce.

[incomplet]