Tu n’as pas d’appréhension. Tu ne sais pas si tu dois attendre une réponse, en particulier. Tu … en fait, Karel, comme depuis le début, comme depuis cette nuit-là, tu as l’impression de nager en pleine mer sans voir de terre à l’horizon. C’est effrayant, en un sens, mais comme tu n’es pas du genre à te décourager, ou à perdre espoir facilement, pour toi, c’est surtout atrocement frustrant.

De toute évidence, Nori n’est pas le seul concerné par tout ça, il y avait quelqu’un d’autre, quelqu’un qu’il a rencontré ce soir-là mais toi, ma grande, tu n’as pas le moindre souvenir d’avoir vu une autre personne. Tu n’as vu que Nori. Et s’il avait rencontré quelqu’un sous tes yeux, tu aurais pris des notes, tu aurais tenté de prendre des photos. D’ailleurs, tu en as, de cette nuit-là. Rien d’exploitable, cela dit.

Sirius. C’est le prénom qui tombe, subitement, et toi, tu plisses les yeux. Qui est ce Sirius, hein ? C’est comme si tu avais posé la question d’un regard, parce que, la précision ne traîne pas, juste derrière et … et quoi ? Sirius. L’étoile. Tu as probablement survolé, dans tes moments d’ennuis, quelques articles qui ne t’intéressaient pas particulièrement sur l’astronomie, Sirius est le nom d’une étoile, tu en es pratiquement certaine mais. Une étoile, Karel. Ce n’est qu’un point brillant dans le ciel. « C’est … surréaliste. » Et ta main retombe, tu la reprends pour toi, tu te redresses, tu le fixes. Il a de nouveau détourné les yeux, et son attitude était clairement plus assurée tout à l’heure. En fait, il n’est probablement pas loin d’être aussi perdu que toi et ça, ça te fait dire qu’il n’est surement pas en train de se payer ta tête. « Pas plus que mon super-pouvoir sorti de nulle part, cependant je vous l’accorde. » Tu ris. Ce n’est évidemment pas un rire amusé, juste … amer.

D’un geste de la main, tu appelles un employé du restaurant. Cette fois, c’est toi qui commande deux sakés supplémentaires et à peine le tiens est-il sous ton nez que tu l’avales, d’une traite, comme si l’alcool était pour toi un recours habituel alors qu’il n’en est rien. « Donc, pour résumer la situation … » Et là, tu baisses d’un ton. « Depuis ce soir-là, moi, je peux guérir les gens et vous êtes … possédé par une étoile tombée du ciel ? » Dis comme ça, ça parait ridicule, c’est vrai. « Je suppose que c’est lié. » Ça parait logique, en tout cas. « Et ce Sirius … il parle ? Et … si je sais guérir les gens, vous savez faire quoi, vous ? Voler ? » Bah quoi, c’est une étoile … « Dîtes vous êtes sûr que c'est une bonne idée de parler de ça ici ? »

Trop de questions. Peu de réponses. C’est comme une tornade à l’intérieur de ta tête, c’est puissant, incontrôlable et ça fiche le bazar. Heureusement, comme une grande, tu commences à faire les connexions dans ta tête. Nori. Sirius. L’étoile. Ton pouvoir. C’est lié. C’est peut-être surement lui, l’origine de tout ça, alors, tu t’imagines immédiatement qu’il sait faire de grandes choses. Qu’il est fort. Puissant. Qu’il a plein de super-pouvoirs et qu’il va repousser les aliens en un claquement de doigt. Ouais. T’as trop traîné devant la télévision durant tes trop nombreuses nuits d’insomnies.

« Il parle … » C’est bien de parler. « Il vole pas du coup … » Déception. Mais tu passes rapidement dessus, parce qu’il vient de dire autre chose de sacrément plus intéressant : tu n’es pas seule. Tu n’es pas la seule dans ton cas, à avoir hérité d’un pouvoir tout bizarre. « Huit ? » Tu finis par répéter, probablement un peu trop fort et en te redressant et en te penchant un peu trop vivement sur la table. « Qui ? Où ? » Comment. Bref. Tu voudrais tout savoir. « Vous les avez tous rencontrés ? Les huit ? Ils ont tous … des pouvoirs ? » Si tu t’attendais à ça … voilà qu’une bande de gens avec des capacités que tu supposes hors du commun se balade quelque part. Ici ? En ville ? Dans le pays ? « Je peux … je veux les voir. » Et tu es très sérieuse, hein, ça se voit, au regard déterminé que lui lances maintenant.

Etrangement, il n’est pas si difficile à convaincre, tu n’as pas besoin d’insister, même pas besoin d’argumenter non plus et clairement, ça te soulage, tu vois. Il vient de nouveau attraper une serviette en papier sur laquelle il griffonne. Des noms, des prénoms, des adresses, tout ça apparait à la suite et, curieuse, tu te penches un peu pour lorgner sur tout ça. « Merci. » Il aurait pu refuser, tu le sais, et toi, tu as besoin de savoir, de comprendre, tu as besoin de te sentir un peu moins seule dans tout ça, tu as besoin de faire face à ces gens pour être certaine de leur existence, parce que, d’une certaine façon, tu te dis que vous êtes tous … liés.

Tu n’aurais probablement pas su par où commencer dans cette liste, mais, quand il coche deux des noms, qu’il se met à parler de Cyllène qui, selon lui n’est pas loin – et tu as le réflexe de regarder autour de vous, sans pour autant voir qui que ce soit – puis de ce Lycaon qui aurait des problèmes avec sa famille, c’est l’évidence même, pour toi. « Des problèmes ? Quels genres de problèmes ? » Tu demandes. Il fuit sa maison, sa famille, c’est forcément que c’est quelque chose d’assez … problématique, justement. « Attendez … quel âge est-ce qu’il a ? C’est … c’est d’un gamin que vous êtes en train de me parler ? » Ça te parait presque évident, un enfant, un adolescent. Une raison de plus de t’y intéresser en premier. « Je peux ... peut-être me renseigner. » Voir s'il y a eu des signalements, des problèmes. Peut-être que tu pourrais contacter Minos qui ... figure sur la liste, tiens.

CHOIX : Demander à propos de Cyllène ou Lycaon. (Lycaon en l'occurrence.)

Seize. Comme prévu, c’est rien qu’un gosse et quelque part, ça te sers le cœur. Parfois, tu te sens impuissante face au malheur des autres, tu es devenue flic pour aider ton prochain, Karel, mais tu t’es rapidement faite à l’idée que tu ne pouvais pas aider tout le monde. Peu importe la raison. Parfois, c’est juste complètement impossible. « Je m’en doute… » A seize ans, tu n’aurais surement pas accepté qu’un flic vienne se mêler de tes histoires compliquées, et pourtant, tu n’as jamais été turbulente, tu n’as jamais eu particulièrement de problèmes. C’est l’âge, c’est tout. L’adolescence, c’est une période complexe … un gamin, ça se perd vite et à entendre Nori, il a l’air décidé à aider celui-là autant que possible. C’est presque … attendrissant. « Je n’ai jamais dit que j’allais intervenir, j’ai dit que j’allais me renseigner. » Tu lui rappelles, en souriant, comme pour le rassurer sur tes intentions. De toute façon, tu n’as aucun droit d’intervenir et même Minos ne pourra t’en dire plus que les grandes lignes … c’est son boulot, il y a des secrets qu’il doit garder, tu as toujours respecté ça, même si parfois, ça te frustes au plus haut point. « Vous pouvez lui donner ma carte, ou … au moins juste mon prénom et mon numéro, ce sera moins impressionnant. Après tout, on est dans le même bateau. »

Un soupir. Léger. Tu es de nouveau en train de fixer le bout de papier, tu relies tout, absolument tout. « Alors … organisez une rencontre. » Ça te parait si simple. Il a les noms. Les coordonnées. Il semble être le point qui vous lie, tous les huit. « Qu’est-ce qui vous en empêche ? » La peur ? L’appréhension. Tu n’en sais rien. Rien, même, peut-être. « Je répondrais présente, en ce qui me concerne. »

C’est fou comme tout parait … simple, avec ce type. Il n’est visiblement pas de ces gens avec lesquels on doit batailler durant des heures. Autrement dit, Karel, il est loin d’être comme toi, si têtue, si … prise de tête, en fait. C’est presque agréable, même si tu dirais probablement, avec un peu de recul, que ça manque assurément de challenge. En tout cas, tu hoches lentement la tête. C’est tant mieux. Il va organiser ça. Tu ne sais pas quand, tu ne sais pas où, tu ne sais pas dans quelles conditions non plus, mais, le fait qu’il parle de le faire te rends confiante. Tu veux te retrouver au milieu de ces personnes, voir et savoir qui ils sont, comprendre. Tu te dis juste que tu auras des réponses, même si tu ignores encore lesquelles.

« D’accord … » Peut-être qu’il n’y aura personne ? Ou peut-être que les huit ne viendront pas mais quand bien même, même si un, deux, trois se déplacent, tu te dis, toi, que ce sera une bonne chose, non ? Encore une fois, après tout, vous êtes dans le même bateau, s’il coule, vous coulez tous, et cette perspective est censée au moins vous ouvrir un canal de discussion. « Je vous remercie de m’avoir accordé du temps … Nori. » Tu t’es déjà occupée de régler ton repas – que tu n’as pas terminé – alors, tu te lèves, et tu attrapes ta veste que tu gardes entre tes mains. « Prévenez-moi, si vous vous décidez à organiser quelque chose, je me libèrerais. » C’est clairement une manière de l’encourager, de lui dire que sur huit, au moins une répondra à son appel.